Cuisinier, serveurs, plongeurs... Sur les 25 salariés du restaurant "La Diff' à Brest, 17 sont porteurs d'un handicap. Un projet imaginé par deux restaurateurs pour améliorer l'accès à l'emploi des travailleurs handicapés. Mais à leur grande surprise, la Préfecture de région leur a refusé le statut d'entreprise adaptée et les aides afférentes. Leur restaurant est menacé.
12h30, au restaurant la Diff' à Brest, c'est le coup de feu. Au service, ce jour-là, Julie, 33 ans. Elle termine un stage d'un mois dans cet établissement :
"Ça m’a plu de découvrir ce restaurant, je trouve que c’est bien projet d’intégrer les personnes en situation de handicap dans le milieu ordinaire."
Car Julie est porteuse d'une maladie orpheline. Comme elle, sur les 25 salariés employés par ce restaurant brestois, 17 sont des travailleurs handicapés.
Un établissement imaginé par Noura Mihoubi et Jonathan Philipona, déjà gérants de deux restaurants voisins. Des reportages les ont sensibilisés aux difficultés d’accès à l’emploi des personnes en situations de handicap. En Bretagne, leur taux d'emploi est de 5,2 % seulement.
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Ils ont ouvert les portes de ce restaurant le 8 mars 2024. Nous les avions alors rencontrés avec toute leur équipe lors de leur premier service :
"On n’est ni dans l’Esat (Établissement et service d’aide par le travail), ni dans l’associatif, soulignait à l'époque Noura Mihoubi. La fiche de paie et la mutuelle seront celles d’un salarié en milieu ordinaire."
10 salariés de plus que dans un restaurant classique
Mais les salariés sont bien plus nombreux que dans une entreprise classique. "On pourrait tourner avec 15 salariés seulement, explique Jonathan. Mais ici, on travaille en binôme, il y a deux personnes ou une personne et demi pour un poste. Ça leur permet d'être rassuré dans ce qu'ils font, dans ce qu'ils cuisinent."
J'ai besoin qu'on soit patient avec moi. Dans cette entreprise, c'est possible. Ils peuvent répéter les choses
LéoCommis de cuisine
Un mode de travail dans lequel semble s'épanouir Léo, 23 ans : "Moi, j'ai des problèmes de concentration, je ne vais pas pouvoir me concentrer sur une seule tâche parce que je vais recevoir plein d'informations et je ne vais pas forcément tout retenir en même temps. J'ai besoin qu'on soit patient avec moi. Dans cette entreprise, c'est possible. Ils peuvent répéter les choses, ce n'est pas un problème."
15 000 € d'aide par poste adapté
Mais prendre le temps, cela coûte cher. Alors que dans une entreprise classique, le coût de la masse salariale représente un tiers du chiffre d'affaires, dans ce restaurant, c'est plus du double.
Pour faciliter son lancement, face aux charges qui s'accumulent, Jonathan demande finalement le statut d'entreprise adaptée. Car avec ce statut, chaque poste de travail adapté peut être financé à hauteur de 15 000 € par l'État, soit 240 000 € d'aides au total pour l'établissement.
Jonathan estime qu'il n'en aurait besoin que de la moitié pour pérenniser les postes, et ce, pendant un temps seulement. "On suit notre prévisionnel et on commence à être dans le vert au niveau du chiffre d'affaires, on n'a besoin que d'un coup de pouce."
Pourtant, il y a deux semaines, un courrier de la Préfecture de Région vient doucher les espoirs de la brigade : "J’ai le regret de vous informer qu’il n’est pas possible de répondre favorablement au conventionnement et au financement de votre projet", indique la Préfecture, sans plus d'explication.
Le site internet du ministère du Travail et de l'emploi précise qu'une entreprise adaptée est "une entreprise du milieu ordinaire, soumise aux dispositions du Code du Travail, qui a la spécificité d’employer au moins 55 % de travailleurs handicapés parmi ses effectifs de production."
Avec près de 70 % de travailleurs handicapés, l'établissement dépasse largement ce seuil. L'article du Code du travail mentionné dans le courrier n'apporte pas plus de précisions concernant les critères d'attribution.
"On nous dit qu'on aurait des emplois pas stables. Mais sur 17 salariés en situation de handicap sur 25 collaborateurs en tout, tous sont en CDI."
Jonathan PhiliponaGérant du restaurant "La Diff'"
Le couple ne comprend pas ce refus et interroge les membres de la commission qui les a auditionnés :
"Ça serait une situation économique d'entreprise pas stable, rapporte Jonathan. Forcément, on stabilise une société au bout de deux trois années, pas au bout de 6 ou 8 mois, sachant qu'on a eu énormément de charges au début, pour la réalisation de ce projet."
Autre argument, plus difficile encore à comprendre pour le restaurateur : "On nous dit qu'on aurait des emplois pas stables. Mais sur 17 salariés en situation de handicap sur 25 collaborateurs en tout, tous sont en CDI. Il faut qu'on m'explique ce qu'est un emploi stable dans ce cas."
Contactée vendredi, la Préfecture de Région n'avait pas apporté davantage d'explication à ce refus ce dimanche 16 novembre.
Pour obtenir le statut d'entreprise adaptée, le couple de restaurateur n'a plus qu'une solution : former un recours auprès du tribunal administratif.