Brest : rencontre avec Manu Brabo, photoreporter de guerre, à l’honneur au festival Pluie d’Images

“Les guerres, là-bas”, c’est le titre de l’exposition consacrée au travail photographique de Manu Brabo pour le Festival Pluie d’Images à Brest. Entretien avec un résistant.

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C’est la deuxième fois que Manu Brabo met les pieds en Bretagne. La première fois, c’était pour les vacances avec son père quand il était enfant, mais il ne s’en rappelle pas. Peut-être qu’il y a trop d’images et de souvenirs dans la tête de Manu Brabo ? Depuis vingt ans, il parcourt le monde pour photographier les zones de conflit comme la Syrie, la Libye ou encore l’Ukraine. Les photographies, saisissantes, sont accrochées à la médiathèque des Capucins de Brest et à la médiathèque de Saint-Marc jusqu’au 29 février.

Pourquoi devenir photographe de guerre ?
A 15 ans, je suis tombé sur des photos de reporters de guerre au Vietnam qui m’ont marqué. J’ai toujours pensé que nous étions ici pour une raison. Mes parents sont docteurs, je n’ai aucune formation en médecine mais j’ai l’intention de laisser un monde meilleur que celui que j’ai trouvé. Je veux que ma vie soit utile, pas seulement pour moi mais pour les autres aussi et je pense qu’informer permet de construire une société plus libre, c’est pour ça que je fais ça. Alors, parfois, j’y arrive, parfois non. 
Comment photographiez-vous ? Et en particulier la guerre ? 
Je fais appel à mon subconscient. Quand je réalise qu’il se passe quelque chose, qu’il y a une photo potentielle, je creuse, je me déplace, je vérifie la lumière, je cherche l’expression, la larme, le moment précis où la fumée sort du fusil.


C’est de l’ordre de l’instinct. C’est comme conduire, quand tu conduis, tu ne penses pas : « maintenant je passe la première puis la deuxième puis je vais tourner à droite ou à gauche », en photographie c’est pareil, tu règles ta caméra de façon mécanique : la vitesse d’obturation, l’ouverture… tout en faisant attention à ne pas te faire tirer dessus ! Il n’y pas de manuel pour faire une bonne photo.


En 2015, la photo du corps sans vie d’Aylan, un enfant syrien de 3 ans échoué sur une plage en Turquie avait fait le tour du monde et bousculé l’opinion sur la crise des réfugiés en Europe. Est-ce que votre but, c’est de réveiller les consciences ?

La photo du petit Aylan, c’est de la m**de. Enfin, je veux dire, techniquement :  la composition, le cadrage, c’est mauvais. Et à la fin : est-ce que ça a changé quelque chose ? Les migrants continuent à débarquer sur Lesbos. La société oublie vite. En tant que photographe, c’est décourageant. J’ai pris tellement de photos en Syrie, des images horribles, mais ça n’a rien changé et si tu commences à y réfléchir, ça peut se retourner contre toi car tu prends conscience que ton travail ne sert à rien.

Je ne crois pas qu’on puisse changer le monde avec une photo

Peut-être que j’y croyais quand j’ai couvert la guerre pour la première fois. Mais ce dont je suis sûr, c’est que si les photographes arrêtaient leur métier, le monde serait déséquilibré. Oui, nous prenons des photos et pourtant oui il y a toujours des guerres mais essaie juste d’imaginer à quel point les guerres seraient barbares si personne n’était là pour en raconter la brutalité. En fait, je pense que l’impact des images est temporaire. Mais continuer à mitrailler, à mitrailler sans cesse pour prendre des photos, c’est infliger des petits impacts sans interruption sur l’opinion et ça permet d’améliorer les choses davantage que si nous n’étions pas là. 

Faut-il tout montrer de la guerre ? 
A la guerre, la mort des hommes est souvent répugnante. On voit les entrailles, la cervelle, les os, enfin tout ce que tu peux imaginer, c’est vraiment dégueulasse. Mais si tu montres ça à quelqu’un ici à Brest, qui est très loin de tout ça, ta photo peut provoquer l’effet inverse de ce que tu voulais. La personne dira : « Je ne veux pas voir ça, c’est dégoûtant ». Et alors l’information ne lui arrivera pas complètement. Le photographe doit se censurer et éviter l’aspect « boucherie » pour trouver un moyen, peut-être plus délicat, pour atteindre son public. Parfois l’imagination est plus puissante qu’une photo directe, brutale et crue.

Malgré tout, quand une exposition me le permet, j’aime ajouter un cliché où l’écoeurement est poétique. Ce n’est plus une photo qu’on ressent avec notre cerveau ou avec notre coeur mais avec nos tripes. Tu as la nausée direct. Ce type de photo pris au coeur d’un ensemble de clichés peut fonctionner, pas si la photo est montrée seule. Ce serait contre-productif.

J’essaie de contrôler ma peur


Comment gérez-vous le danger ?
Je le gère et c’est plus que suffisant ! (rires). J’essaie de me concentrer sur autre chose comme la composition ou la lumière dans mon image et ça m’aide beaucoup. J’essaie de contrôler ma peur car quand tu paniques tu commets beaucoup d’erreurs. Dans cet environnement, les erreurs sont souvent fatales. C’est aussi une question de chance alors tu deviens superstitieux : tu as besoin de ton briquet porte-bonheur ou de ton casque porte-bonheur… Parfois tu te surprends même à prier « s’il vous plaît mon Dieu, aidez-moi à traverser la route » ! (il rigole). 
 

En 2011, vous êtes fait prisonnier par des miliciens du régime libyen ...
Oui, j’ai été invité par Kadhafi à passer du temps chez lui… Mon erreur a été d’aller trop loin, de suivre un petit groupe d’éclaireurs sur la ligne de front et nous avons été pris en embuscade. En fait, ma véritable faute, ça a été de rester en Libye alors que j’étais fatiguée, que j’avais faim et que je n’arrivais plus à réfléchir. C’est important de se reposer, d’avoir de bonnes conditions de travail et de vie. Quand tu es fatigué, tu n’arrives plus à te concentrer et c’est là que tu commets des erreurs. Le 4 avril 2011, le jour où j’ai été fait prisonnier, je n’ai pourtant rien fait de particulièrement téméraire, c’est juste que rien ne s’est passé comme prévu. Mais j’ai eu de la chance, j’ai fini en prison alors que mon ami Anton (Anton Hammerl, photographe sud-africain NDLR) a été tué par les forces pro-Kadhafi. Je n’ai pas à me plaindre, je suis là, en vie, je continue. 

Pourquoi ? 
Parce que c’est le travail que j’adore faire, parce que j’étais plus inquiet à l’idée de ne plus pouvoir exercer mon métier que d’être tué. Photojournaliste, ce n’est pas mon métier, c’est mon mode de vie, même si je dois en payer le prix. Bon et puis maintenant, ça fait presque dix ans que j’ai été fait prisonnier, j’ai pris de l’âge et même si je n’ai pas changé d’état d’esprit, je suis peut-être moins radical qu’avant. Je ne travaille plus autant sur la ligne de front car photographier la guerre, ce n’est pas juste du « bang bang » ou ce genre de spectacle. J’ai gagné en maturité et je me concentre davantage sur les civils, les victimes. 

Dans son livre War is a force that gives us meaning (PublicAffairs), le journaliste américain Chris Hedges explique que chez les reporters de guerre : « l’adrénaline du combat provoque souvent une dépendance puissante et mortelle, car la guerre est une drogue »
La plupart d’entre nous, à un moment de notre carrière, on se rend compte qu’on n’est plus nulle part, ni ici, ni là-bas. Dans les zones de conflit, tout est si pur : les amitiés, les liens, les émotions, tout est si pur, si grand, si… (il ferme yeux). C’est juste incroyable et quand on rentre et qu’il n’y a plus tout ça, oui, ça fait bizarre. 

L’adrénaline, c’est la drogue la plus addictive du marché !

Quand tu es en montée d'adrénaline, c’est incroyable mais la guerre ce n’est pas que ça ; il y a tes camarades, l’aventure. Chaque jour, tu te dépasses physiquement, mentalement, visuellement. Ta vie devient un challenge permanent. Bien-sûr, tu n’as plus à penser aux impôts, à ta petite amie, aux élections, à l’assurance de ta voiture. Tu ne penses plus qu’à te lever, à prendre des photos, à manger et survivre pour recommencer le lendemain. La vie se résume aux actions les plus basiques et c’est génial. En même temps, mon principal objectif ces dernières années c’est d’apprendre à vivre dans des endroits comme Brest ou dans ma ville natale (Saragosse en Espagne NDLR), bref, d’avoir une vie normale.

C’est difficile ? 
Parfois oui. Mais je crois que c’est difficile pour tout le monde. Pour moi, pour ma soeur et probablement pour toi aussi. Mais finalement, je crois que je ne m’en sors pas trop mal.


 
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