Le 1er octobre prochain, la déconjugalisation de l'allocation adulte handicapé entrera en vigueur. La loi prévoit que, désormais, le calcul de l'AAH ne dépende plus du revenu du conjoint. Une autonomie financière réclamée depuis de très longues années par les personnes en situation de handicap.
Quand elle retrace sa vie, Laurence ne s'embarrasse pas de détails. La ligne de temps qu'elle déroule est nette. 1994 : mariage. 1995 : naissance de son premier enfant. 1996 : sclérose en plaques. 2000 : invalidité. "En tout et pour tout, je n'ai même pas travaillé dix ans, dit cette femme de 53 ans. Je touche une pension d'invalidité de 600 euros par mois et un complément sous forme d'allocation adulte handicapé (AAH) de 370 euros versés par la CAF. C'est cette dernière partie, l'AAH, qui est calculée en fonction du revenu de mon mari. Quand il gagne plus, je ne la perçois pas. Et c'est cela qui ne va plus".
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"Sentiment d'infériorité"
À la maladie, "incurable et déjà difficile à vivre", s'est ajoutée "la dépendance financière". "Si j'avais travaillé, on n'aurait pas diminué mon salaire parce que je suis en couple, remarque-t-elle. Alors pourquoi nous, handicapés, n'avons pas droit à la même chose ?".
Depuis 20 ans, Laurence milite pour la déconjugalisation de l'AAH, dans les rangs de l'APF-France handicap (anciennement Association des paralysés de France). "La dépendance financière amène un sentiment d'infériorité" relève cette Finistérienne dont le tempérament "bien trempé" a souvent tenu à distance "l'envie de baisser les bras". "La maladie m'a obligée à abandonner mon travail, je n'ai pas choisi. Vous croyez que l'on ne sent pas moins que rien quand on doit piquer de l'argent à son mari ? Dépendre de l'autre, quand on est une femme, c'est d'un autre âge. Et c'est aberrant que cette situation n'ait pas été réglée plus tôt".
"Un droit enfin acquis"
Le 1er octobre prochain, la déconjugalisation de l'AAH entrera en vigueur. Le combat fut long pour obtenir que le calcul de cette allocation ne soit plus adossé aux revenus du conjoint. "C'est un droit enfin acquis" souligne Angélique Reptin, cheffe de projet sur les droits et la revendication à l'APF-France Handicap en Bretagne. Laquelle précise qu'en France, entre 160.000 et 190.000 personnes ne touchant que l'AAH "perdent en moyenne chaque mois près de 350 euros si elles sont en couple, voire ne perçoivent rien si le conjoint gagne plus de 21.000 euros par an". Pour elles, la déconjugalisation sera donc "gagnante".
En revanche, pour ceux et celles qui continuent à travailler tout en bénéficiant d'un complément AAH, le nouveau mode de calcul pourrait être pénalisant. "Mais le texte de loi prévoit qu'entre individualisation ou maintien de la conjugalisation l'option la plus favorable soit retenue" indique Angélique Reptin qui rappelle que près de 60.000 personnes sont dans ce cas aujourd'hui.
"Stigmatisation de plus"
Dissimuler que l'on est en couple, divorcer ou renoncer à se marier était, jusqu'ici, les seules alternatives laissées à certains pour conserver l'intégralité de leur allocation mais surtout leur autonomie financière. Charlotte, qui est handicapée de naissance, en sait quelque chose. "Sur les papiers de la CAF, je cochais 'célibataire', confie-t-elle. C'est malheureux, mais c'est comme ça".
La jeune femme de 31 ans pose un regard nuancé sur cette déconjugalisation qu'elle voit plutôt comme "une stigmatisation de plus". "Nous, nous sommes obligés d'attendre une loi pour avoir le droit d'être en couple, ce qui accentue une fois encore la différence, analyse-t-elle. C'est très bien que ça se mette en place, mais ce n'est pas non plus très normal. Moi, ce que je veux, c'est être normale dans la société".
La déconjugalisation de l'AAH est une étape, parmi tous les chantiers qu'il reste à mener, ainsi que le rappelle Angélique Reptin. La question de la revalorisation de cette allocation en est un.
971 euros par mois, c'est le montant de l'AAH, "en dessous du seuil de pauvreté, constate la cheffe de projet de l'APF-France Handicap. Si on parvient à améliorer ce revenu et l'accessibilité, cela changera tout en termes d'inclusion".