"J’ai 35 ans, j’ai passé l’âge de demander des sous pour aller à la boulangerie" s’agace Gerwin. Avec une centaine de personnes, il a manifesté ce 16 septembre pour que l’allocation adultes handicapés ne soit plus calculée en fonction des ressources de leurs conjoints.
Sur la place, une mariée brandit une pancarte sur laquelle elle a écrit : "Veux tu m’épouser ?". Face à elle, un monsieur montre tristement son carton : "Je peux pas, j’ai mon AAH." La mise en scène résume l'existence des 270 000 personnes handicapées qui vivent en couple et qui à cause de cela touchent une allocation réduite, ou pas d’allocation du tout.
Créée en 1975, l’allocation aux adultes handicapés est versée aux personnes en situation de handicap qui ont une incapacité à travailler. D’un montant maximal de 903 euros et 60 centimes, elle est versée à 1, 2 million de personnes.
Mais son calcul se fait sur la base des ressources du foyer. Si le ou la conjoint(e) d’une personne seule perçoit des revenus supérieurs à 1 020 euros net par mois, le niveau de l’AAH perçue par le bénéficiaire est revu à la baisse. Au-dessus d’un certain revenu du conjoint, le bénéficiaire peut même totalement perdre son allocation.
La déconjugalisation comme seule solution
"Cela rend les personnes dépendantes financièrement de leur époux ou de leur épouse," explique Cécile Cotterbrune- Desbats de l’Association des Paralysés de France d’Ille et Vilaine. Ce n’est pas normal. Il faudrait déconjugaliser. Ne s'occuper que des révenus que de la personne en situation de handicap. C'est un revenu d'existence pas une allocation comme les autres. "
? « La #deconjugalisationAAH est un enjeu de justice sociale » @PascaleRibes1, présidente APF France handicap. #AAH16septembre
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? @EmmanuelMacron @s_cluzel on fait quelque chose ? pic.twitter.com/zUouvaCQEE
Gerwin et Cécilia sont mariés depuis 12 ans. Il souffre du syndrome d’Ehlers-Danlos, une maladie héréditaire. Ses articulations sont anormalement souples. D’un rien, il peut se déboiter une épaule, se retourner les doigts.
Il n’existe aucun traitement, donc Gerwin souffre tout le temps. Et parfois, "quand le corps atteint son niveau maximal de souffrance, ça fait comme un ordinateur en surchauffe compare-t-il, je déconnecte, je fais un malaise. J’ai besoin d’avoir tout le temps quelqu’un avec moi."
Etre dépendant physiquement, ce n’est pas simple, mais l’être pour tout, ça n’est pas possible. Gerwin raconte l’histoire d’une de ses amies, en fauteuil elle aussi, qui doit quémander de l’argent à son compagnon quand elle va en courses. D’autres évoquent les cadeaux qu’ils font à leur épouse avec l'argent de leur épouse ! "C’est pas une vie, c’est une survie" lâche Gerwin.
"Cela revient à nier l’existence de la personne en situation de handicap en tant qu’individu autonome "souligne Cécile Cotterbrune Desbats..
La loi qui a failli tout changer
En février 2020, l’Assemblée nationale avait adopté, en première lecture, une proposition de loi permettant d’individualiser le calcul de l’AAH sans prendre en compte les revenus du couple. Le Sénat avait suivi en mars 2021.
Mais en juin dernier, en deuxième lecture, le gouvernement a bloqué le vote des parlementaires. Pour Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat chargée des personnes handicapées, "la déconjugalisation de l'AAH remettrait en cause la base même sur laquelle est construite la solidarité nationale puisque la situation conjugale est prise en compte dans le calcul de tous les minima sociaux et dans le système fiscal."
Le gouvernement a fait voter un texte qui remplace la déconjugalisation par une augmentation du plafond de ressources.
Ils se sont dit NON aujourd'hui à Agen ! ?♀️❌@apfhandicap #AAH16septembre #deconjugalisationAAH pic.twitter.com/LhkJ8VznmK
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Des calculs au lieu d'une transformation de la société
Les revenus du conjoint bénéficiaient jusqu’ici d’un abattement de 20%. Il a été relevé à 5.000 euros pour tous. Les associations ont évidemment sorti les calculatrices. "En modifiant le calcul de l’abattement, pour conserver une AAH à taux plein, il faudra que le conjoint ne perçoive pas plus de 1.520 euros net avant abattement. D’après les chiffres de l’exposé des motifs de l’amendement, “cette mesure représenterait alors un gain moyen de 110 euros par mois pour 120.000 bénéficiaires de l’AAH en couple, pour un coût de 185 millions”
La déconjugalisation couterait elle les 730 millions d’euros
60 % des 150 000 couples dont le bénéficiaire de l’AAH est inactif conserveraient ainsi leur AAH à 903 euros, au lieu de 45 % des couples aujourd’hui.
“Cet amendement du gouvernement ne répond pas à la très grande volonté d’indépendance financière des personnes en situation de handicap, expliquait en juin la députée Jeanine Dubié, co-rapporteure de la proposition de loi. "Si on considère les personnes en situation de handicap comme des citoyens à part entière, il est normal de les laisser choisir leur vie. Si on les ampute d’un revenu qui est légitime du fait de leur handicap, on leur ampute le droit de choisir, à la fois de se mettre en couple, mais aussi de partir si la situation se dégrade. »
Les histoires d'argent finissent mal, en général
Car Gerwin le sait, le voit, ses histoires d’argent ont un impact sur les couples. "On peut avoir des disputes et ça peut aller jusqu’à des violences conjugales" s’inquiète-t-il.
"Car tout coûte très très cher quand on est malade ou blessé". Sa maladie a été diagnostiquée alors qu’il avait 18 ans. Puis elle s’est aggravée. "D’abord, j’ai eu une canne, puis l’année d’après un déambulateur, la suivante, un fauteuil manuel et puis un électrique. Pour acheter le premier fauteuil électrique ( 15 000 euros, la sécurité sociale prend en charge 4 500 euros ) on a été obligé de faire une cagnotte Leetchi."
"L’allocation adultes handicapés est sous le seuil de pauvreté souligne- t-il. Il faut que ça change, qu’on soit autonome et qu’on puisse vivre dignement."
Le Sénat doit réexaminer le texte de loi le 12 octobre prochain.