Emmanuel Macron l'annonçait dans son discours du 2 octobre sur les séparatismes : l'école à la maison sera interdite dès la rentrée 2021. Les parents qui pratiquent l'Instruction en famille s'indignent qu'on puisse les comparer avec des fondamentalistes religieux. Témoignages dans le Finistère.
"Dès la rentrée 2021, l'instruction à l'école sera rendue obligatoire pour tous, dès 3 ans. L'instruction à domicile sera strictement limitée, notamment aux impératifs de santé." Emmanuel Macron [le 2 octobre 2020 aux Mureaux (Yvelines), ndlr]. Le ton est donné, le Président a sifflé la fin de l'école à la maison.L'école à la maison, ou l'Instruction en famille, concerne 50.000 enfants en France, dont 20.000 suivent les cours encadrés du CNED, l'enseignement à distance. Pour les 30.000 autres, c'est surtout un choix de vie, mais aussi un droit constitutionnel, et accessoirement l'article 26-3 de la déclaration des droits de l'Homme.
Les parents ont par priorité le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leur enfant.
Aux frontières disputées des concepts de laïcité, de neutralité, de liberté d'expression, de culte, le gouvernement aura changé durant ce seul automne quatre fois le nom de son projet de loi dans sa lutte contre le fondamentalisme religieux : d'abord nommée "Loi contre les séparatismes", elle est finalement devenue "Loi confortant les principes républicains".
Son objet, combattre la haine en ligne, mieux encadrer les associations, rendre transparent l'exercice du culte, rappeler la stricte neutralité de l'Etat, et ramener tout le monde à l'école, sous les "radars" de la République.
"L'Instruction en famille est strictement encadrée"
"Sous les radars nous y sommes déjà !" s'insurge Aurélie Appriou, de l'Ecole Démocratique du Pays de Brest, et maman d'Aubin, 5 ans, instruit en famille. "L'Instruction en famille (IEF) est très strictement encadrée. Enseigner à la maison, cela n'a rien à voir avec ce que le gouvernement appelle le "hors-cadre". Pour Aurélie Appriou et les parents pratiquant l'IEF, école à la maison et radicalisation n'ont "aucun rapport".
Une loi de septembre 2019 sur "L'école de la confiance" a déjà rappelé et durci les conditions d'accès à l'IEF. D'abord, les familles doivent se déclarer en mairie, qui les contrôle ensuite tous les deux ans. Elles sont également contrôlées tous les ans, individuellement et pour chaque enfant scolarisé à domicile, par un inspecteur d'académie et par un conseiller pédagogique.
L'Instruction en famille est un cadre très réglementé, on ne fait pas n'importe quoi. Je vois mal comment on pourrait cacher une radicalisation aux yeux des inspecteurs. D'autant plus que depuis 2019, ces contrôles se font sans préavis.
Sur la page Youtube de l'association Félicia, l'une des associations prônant l'Instruction en famille, Daniel Verloes, lui-même parent instructeur, s'exprime "Quand on creuse un peu, on se rend compte que les familles qui "évitent" l'instruction sont des familles en grande précarité, des familles primo-arrivantes qui découvrent le système français, et quelques cas qui relèvent du judiciaire auquel ils ont été transmis. Aucun enfant déclaré instruit en famille ne rentre dans ces chiffres de l'évitement scolaire. Or ce sont bien eux qui vont subir l'interdiction si la loi est votée."
Auditionné par le Sénat en juin dernier, Jean-Michel Blanquer le ministre de l'Education Nationale ne semblait pourtant pas vouloir interdire l'IEF. Il rappelait même la base constitutionnelle solide de l'instruction à domicile, quitte à rappeler les règles aux familles, mais pas vraiment plus.
L'école en famille...
Il y autant de façon d'instruire à la maison que de familles. Pédagogies Freinet, Montessori, mais d'autres aussi, au plus près d'une pédagogie "comme à l'école", avec manuels scolaires, des devoirs, des exposés à rendre, au parent instruisant.
Aurélie Appriou a choisi l'Unschooling. Une méthode d'apprentissage autonome qui consiste à laisser Aubin, son garçon de cinq ans, choisir lui-même ses activités. "Il aime les chiffres, alors il fait beaucoup de calculs. C'est la curiosité de l'enfant qui l'emmène vers l'apprentissage". Dans cette pédagogie, le parent observe, traduit en langage pédagogique les expériences de l'enfant.
Je mets à disposition les outils, les bouliers, le matériel, les livres... J'organise des sorties, au musée, à la bibliothèque. On apprend à parler et à marcher naturellement, apprendre à lire et à compte peut se faire tout aussi naturellement. C'est l'élan vital de l'apprentissage, dans un cadre riche et bienveillant.
...comme à l'école
Dans la famille Allard, Alexandre et Vanessa, parents de six enfants, admettent être plus "conventionnels". "Nous choisissons les manuels scolaires avec les enfants, parce qu'ils ont bien évidemment leur mot à dire. Nous suivons les programmes scolaires, mais on avance à leur rythme."
Le choix s'est fait avec le premier, Thiméo, qui a 11 ans aujourd'hui. Il a fait trois ans de maternelle, puis six mois de primaire, avant d'être retiré de l'école. Hypersensible, il supportait mal l'activité bruyante de la classe. Il est maintenant en 5ème.
Et puis les cinq autres ont suivi. Leurs parents leur demandent tous les ans s'ils veulent retourner à l'école, "pour le moment, ils nous disent non". "Thiméo retournera à l'école au lycée, en seconde, pour préparer la suite de son éducation. C'est qu'à ce moment-là, quand approche le bac, qu'il faut collecter du contrôle continu pour ensuite être admis en fac ou en école supérieure" explique Vanessa et Alexandre Allard.
Ils sont contrôlés tous les ans, par l'Inspection académique, accompagnés de conseillers pédagogiques. Vanessa Allard explique : "en fait, ils vérifient qu'il y a bien instruction. Ils donnent aux enfants quelques exercice de lecture, de calculs, ils vérifient qu'ils sont bien sociabilisés."
Nous ne vivons pas en vase clos, repliés sur nous-même, pas du tout ! Les enfants ont des amis, certains dans le réseau de l'IEF, et d'autres sont à l'école. Les contrôles de l'Inspection sont bienveillants. Nos enfants sont descolarisés oui, mais ils sont instruits.
Une pétition est en ligne contre ce projet de loi. Elle recueille à ce jour un peu plus de 120.000 signatures. Le samedi 5 décembre, les familles du Finistère pratiquant l'école à la maison manifesteront à Brest.