Expédition scientifique Blue Observer: comment tenir en huis clos sur un bateau?

L’équipe Blue Observer poursuit sa mission et nous a envoyé quelques nouvelles du bord. Après 36 jours en mer au départ de Woods Hole, elle est arrivée sur l’Île Sainte-Hélène. L’occasion pour les membres de se reposer et de visiter cette région d’outremer avant de reprendre les voiles vers le Cap Vert. A bord, l'un des équipiers étudie le comportement du groupe lors d'une longue expédition. Entretien.

Hugues de Kerdrel, chef d’entreprise, connaît l’importance d’une bonne cohésion d’équipe, encore plus dans un endroit exigu. L’expédition de Blue Observer est une première pour tout l'équipage, car personne à bord du navire n’est parti aussi longtemps pour mener une mission scientifique. Si Huges participe aux missions du voilier, à savoir le déploiement de flotteurs et l’étude des fonds marins, il porte aussi le projet d’étudier les relations sociales à bord du voilier pour aider de futurs explorateurs.

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Hugues de Kerdrel présente son projet - Blue Observer ©Blue Observer


En faisant partie de ce projet, quels sont les éléments qui vous ont donné l’envie de travailler sur la dimension sociale d’une expédition en mer ? 

L’idée m’est venu parce qu’on n’avait pas préparé en amont l’équipe à vivre ensemble et à affronter un voyage aussi long. Donc, ce qu’on n’avait pas fait en amont, je me suis dit qu’on le ferait pendant trois mois de traversée. C’est aussi donner une approche scientifique à cette expérience.

Je suis en train de faire une étude que je publierai, comme un livre qui peut permettre aux prochaines missions de gérer l’imprévu sur un temps d'embarquement assez long. Quand on part à bord d’un bateau, on a des imprévus tous les jours, qu’ils soient physiques, moraux, matériels… Il faut être préparé à vivre ça.

Et quand on est six sur un bateau, sans changement d’équipage, sur une longue période comme celle-ci, trois mois et demi c’est très rare. Je trouve que ça valait le coup de faire une étude ethno-sociale.

C’est capital de prendre en compte la dimension humaine, car si l’équipe flanche, tout flanche

Hugues de Kerdrel

Pouvez-vous me parler de la vie à bord du voilier, ce que cela fait d'être loin de chez soi et de son environnement habituel ?

A bord d’un bateau à voiles, il n’y a pas de confort, pas de salle de gym, pas de carré de verdure… C’est pas comme sur un paquebot, ce n’est pas la croisière s’amuse. C’est vraiment pas le cas, c’est une mission professionnelle scientifique où le corps et l’esprit sont menés à rude épreuve, on va jusqu’au bout de nous-même. Par exemple pendant trois semaines, on n’a pas croisé un seul bateau.

Pour les échanges avec les proches, il y a deux mails par semaine. On échange de vive voix avec nos familles uniquement lors des escales. C’est vécu très différemment cet éloignement, selon les caractères. Un des sujets analysés, c’est la résilience et comment chacun vit le fait de ne pas échanger avec ses proches, comment cela gère.  

Je trouve ça passionnant de voir comment on interagit ensemble. Pourquoi les problèmes arrivent, comment on les désamorce, comment on apprend à vivre avec des gens et à accepter leurs défauts ? A terre, on peut toujours aller faire un tour et prendre l'air...en mer c’est simplement impossible donc il faut trouver des solutions.


Si l’équipe n’était pas préparée psychologiquement à cette traversée, est-ce que vous vous l’étiez pour savoir comment mener cette étude ?

C’est une approche scientifique que je mène, accompagné par un ancien sous-marinier. Grâce à son expérience sur cette thématique, nous avons établi un protocole. Et en plus, on a tourné une vidéo ensemble, avant de partir, que je diffuse à l’équipage selon les thématiques abordées.

Dans ce protocole, on a des interviews individuelles qu’on fait à peu près toutes les trois semaines. Ça me permet de suivre le moral de la personne en reprenant à chaque fois les mêmes questions. On observe ensuite s’il y a une évolution consciente ou inconsciente. Grâce à cela, je peux comprendre la personne et aller plus loin sur certains sujets.

Mais on a aussi des entretiens de groupe. On choisit un sujet parmi ceux de l’étude et on en discute ensemble. Après, il y a toute une partie observation où je regarde les interactions entre les membres, leurs gestuelles. J’enregistre tous les entretiens. A ce jour, on doit avoir à peu près dix heures d’audio, c’est énorme, il y a beaucoup d’informations.  

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Protocole de Hugues de Kerdrel - Blue Observer ©Blue Observer


Votre place en tant qu’intervieweur n’est-elle pas trop difficile ? Comment arrivez-vous à être impartial ?

J’ai de la chance, car je suis le doyen de l’équipage et je me mets en retrait de l’équipage volontairement. Je ne cherche pas à me faire des amis à bord, même si je discute avec tout le monde.

En dehors des interviews, je les aide à méditer pour essayer de contrôler le temps long et les émotions qu’ils peuvent ressentir mais qu’ils ne veulent pas montrer. J’ai une position très subjective, je ne mets pas d’intérêt personnel. 

Avez-vous déjà écrit un livre ou est-ce un nouvel exercice ? Comment va se passer l’écriture et le retour à terre de l’équipage ?

C’est nouveau pour moi car je n’ai jamais écrit de livre. Par contre je m’entoure de deux professionnels qui m’aideront à le rédiger.

C’est trop tôt pour parler de conclusion parce qu’on a besoin de temps pour réaliser ce qu’on a vécu et de débriefer à terre avant que je ne puisse moi, conclure mon analyse. Et puis j’ai remarqué qu'avec les interviews, on disait les choses en retard par rapport au moment où elles se sont passées.

Cette expédition est une première par sa durée mais aussi par sa mission scientifique. Je pense que dans le monde du nautisme, ce sujet ça va intéresser beaucoup de monde. Mais cette question peut aussi intéressé le monde de l'entreprise.

Hugues de Kerdrel

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Présentation du manuel par Hugues de Kerdrel - Blue Observer ©Blue Observer


Pour les membres de l’équipage, les entretiens c’est très important. Surtout qu’on a pris du retard et ça pèse sur le moral. Jusqu’à notre arrivée, et certainement à terre, il va falloir préparer l’atterrissage qui n’est pas facile après autant de temps en mer. Il faut se réhabituer à la vie, aux voitures, aux bruits, aux gens…    

L’équipe de Blue Observer a repris la mer depuis quelques jours en direction du Cap Vert pour finaliser leur mission avant de changer d’équipage et de mettre les voiles vers Brest pour une arrivée dans le courant du mois de mars.

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Entretien Eloïse Lebras - Blue Observer ©Blue Observer


Sur la carte ci-dessous, chaque point représente l’emplacement d’un flotteur déposé par le voilier. 63 pour les deux premières étapes entre la France et l’Île Sainte Hélène. Les 32 derniers seront déployés entre Sainte-Hélène et le Cap Vert.

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