Depuis une quinzaine d'années, le Dr Bonne, chef du service ORL de l'hôpital d'instruction des armées de Brest soigne le mal de mer. Ses patients sont de plus en plus nombreux, bien que la maladie reste parfois taboue.
"J'ai des hauts le coeur là. Ouh là là! J'ai l'impression d'être sur un bateau!" s'exclame Maxime, le visage blême. A ses côtés, le Dr Loïs Bonne, chef du service
ORL de l'hôpital d'instruction des armées de Brest, le rassure: "Ca va aller, on va s'arrêter là pour aujourd'hui". Maxime, officier des forces sous-marines, vient d'être affecté sur un bateau de surface qui effectuera des missions dans les Terres australes et antarctiques.
Le marin de 34 ans précise que dans un sous-marin "le mal de mer n'existe pas" et que de ce fait il ne dispose pas des outils pour le vaincre. Dans une pièce plongée dans le noir, le visage ruisselant de sueur, il lutte contre cette pathologie qui touche de 20 à 80% de la population selon les conditions de mer. Une boule stroboscopique projette des formes lumineuses sur les murs et le plafond, de gauche à droite, de droite à gauche, de haut en bas, de bas en haut, de plus en plus vite. jusqu'à la nausée! "Le mal de mer résulte d'un conflit d'informations sensorielles au niveau du cerveau", explique le Dr Bonne. Un conflit entre ce que l'on voit, ce que perçoit notre oreille interne et ce que ressentent les petits récepteurs neurosensoriels des tendons et des articulations. "Le cerveau va être capable de vaincre ce conflit au bout d'un certain temps, c'est ce qu'on appelle l'amarinage", poursuit-il. Pour y parvenir, il fait appel à sa mémoire. "Le malade, c'est celui qui au-delà de 48 heures n'arrive pas à s'adapter".
Les marins n'en parlent pas
"Le but du traitement est de favoriser cette adaptation en créant des conflits sensoriels, les plus proches de ceux que l'on rencontre en mer, à travers des exercices qui vont aller en difficulté croissante à partir du moment où le patient arrive à les surmonter", explique le médecin. Selon une étude de 2010 auprès de 110 patients de son service, 75% ont pu, après traitement, reprendre leur poste de travail de façon satisfaisante. "Les résultats sont encourageants. Du coup, on voit de plus en plus de marins gênés qui viennent nous voir", se félicite le Dr Bonne, sourire aux lèvres. "On a du mal à répondre à la demande!" insiste-t-il, indiquant voir quatre à cinq patients par semaine. Des marins professionnels, navigateurs et plaisanciers venant de toute la France, mais aussi d'Italie et de Polynésie, qui ne souhaitent pas ou plus dépendre des médicaments et de leurs effets secondaires. "J'ai quelques soucis vis-à-vis du mal de mer", reconnaît Mickaël David, 28 ans, jeune recrue de la marine marchande. Pour lui, il s'agit, d'améliorer ses capacités à travailler dans le mauvais temps. "Sur une séquence de rééducation, on voit qu'il y a une accoutumance du cerveau", témoigne-t-il.
Un mal tabou
Cependant, malgré le succès de la méthode, le mal de mer reste quelquefois tabou. "La question du mal de mer est toujours un peu taboue car dans la mémoire collective quand on en souffre c'est qu'on n'est pas un bon marin", estime le Dr Jean-Yves Chauve, médecin depuis une trentaine d'années des courses au large françaises avant d'ajouter: "Sans compter que ce n'est pas très valorisant d'être vu en train de vomir sur le côté d'un bateau". "Ce n'est pas une maladie honteuse, mais les marins n'en parlent pas généralement", juge le Dr Bonne. Quant à savoir pourquoi certaines personnes en souffrent et d'autres non: "C'est une grande question, il y a plein d'hypothèses, mais aucune n'est satisfaisante", avoue-t-il. Et certains profitent de leur avantage: "Je n'ai jamais eu le mal de mer de ma vie, et je crois que c'est une chance parce qu'il y a pas mal de marins qui finalement y sont sensibles", se félicite François Gabart, en tête du Vendée Globe à quelques jours de l'arrivée.