Voilà trois ans qu'il est arrivé à Molène. Didier Delhalle et sa famille sont tombés amoureux de ce petit bout de terre immergé en mer d’Iroise. Ils y vivent le confinement comme une parenthèse, en essayant de garder le sourire.
Si le coronavirus n’avait pas chamboulé la donne, il serait sans doute assis dans le fauteuil du maire.
Cela ne l’empêche pas de seconder en ce moment le maire sortant, Daniel Masson, contraint de jouer les prolongations.
Tout juste retraité, Didier Delhalle, ancien ingénieur au Commissariat à l’énergie atomique, a quitté Bordeaux il y a trois ans. Avec sa femme Brigitte, documentaliste elle aussi à la retraite, ils ont choisi de poser leurs valises sur l’île de Molène, rejoints par leur fille, Céline.
Eviter la catastrophe
Depuis que le confinement est décrété, plus personne ne peut quitter l’île, sauf urgences médicales.
Ce fut le cas le week-end des 28 et 29 mars. Une femme de 70 ans, présentant une forte fièvre et une détresse respiratoire, a été évacuée par la SNSM du Conquet vers l’hôpital de Brest. Fausse alerte.
Si le virus débarquait sur Molène, ce serait une catastrophe
Mais cet événement a mis en lumière la fragilité de ce petit territoire d’à peine un kilomètre carré. "Si le virus débarquait sur Molène, ce serait une catastrophe » commentent d’une même voix Daniel Masson et Didier Delhalle. "Les maisons sont collées les unes aux autres, les rues sont étroites et plus de la moitié de la population a 60 ans ou plus".
Le maire, Daniel Masson, a d’ailleurs passé un savon à ses administrés, les enjoignant de respecter scrupuleusement les consignes. Pas simple évidemment de faire respecter l’interdiction d’emprunter les sentiers côtiers puisqu’il n’y a pas d’autres routes sur l’île. Ni de demander aux habitants de ne pas se croiser sur un si petit périmètre.
Finies pourtant, les discussions sur le port et les balades au bord de mer. Les déplacements sont strictement réglementés, chacun doit avoir son attestation en poche.
Quand on s’aperçoit, on se fait un signe de la main, c’est tout
L’unique épicerie de l’île a multiplié les livraisons à domicile pour éviter aux habitants de sortir. Ici comme ailleurs, on a fini par comprendre qu’il fallait #rester chez soi.
Tous dans le même bateau
Juste avant l’instauration du confinement le 17 mars dernier, des continentaux ont débarqué dans leurs résidences secondaires.
L’île est alors passée de 120 à 200 habitants. Les îliens ont fait la soupe à la grimace. "Aujourd’hui la tension est retombée parce que la période de quatorzaine est terminée, assure Didier. Il faut comprendre que l’île a des moyens très limités pour lutter contre le virus. En cas d’urgence Covid-19, il est peu probable que l’hélico se déplace car ce serait très compliqué de le décontaminer ensuite".
Co-équipier sur le bateau de la SNSM, il poursuit : "la vedette est le seul moyen pour rejoindre le continent. On a reçu tout le matériel pour se protéger, masques et gants. On s’entraîne à les porter parce que ce n’est pas évident de manoeuvrer avec ça".
Pour limiter les risques d’infection en provenance du continent, la Penn ar Bed a réduit ses équipages et ne transporte plus que les passagers dûment autorisés à se déplacer, principalement les deux infirmières de l’association l’Archipel qui se relaient tous les sept jours, et le médecin qui vient une fois par semaine.
Désastre économique en vue
Le virus a mis la vie entre parenthèses. Cafés et restaurants sont fermés. "A part l’épicerie, il n’y a plus que le tabac-presse d’ouvert".
La fille de Didier Delhalle, Céline, a repris ce commerce il y a quatre ans. La boutique n’a pas baissé son rideau mais l’activité est quasiment au point mort. "Elle n’a pas été réapprovisionnée par la Française des Jeux, le pain et les journaux ne sont livrés que deux fois par semaine par bateau."
L’autre jour, elle a fait 30 euros de chiffre d’affaires. Avec ça, elle doit payer ses charges et se dégager un salaire. C’est impossible !
Les aides gouvernementales ne sont pas de nature à rassurer les commerces des îles. "Il faut enregistrer une perte de 50% de son chiffre d’affaires par rapport à mars 2019 pour espérer recevoir quelque chose. Mais le confinement a débuté le 17 mars. Les commerces avaient déjà engrangé la moitié d’un mois. En zone rurale, personne ne sera éligible".
"Plus ou moins confinés à longueur d’année"
Pour le reste, l’isolement ne semble pas peser aux Molénais, habitués à de grandes périodes calmes pendant l’hiver.
On est plus ou moins confiné toute l’année. Mais franchement, on n’est pas à plaindre. Il y a la mer tout autour, on a presque tous un petit bout de jardin.
Didier poursuit : "Moi en ce moment, je suis en train de bricoler un petit appentis. Ma femme joue de l’accordéon numérique. On entretient la maison. On peaufine aussi les carnets de chant. D’habitude, on va tous les lundis sur le continent pour assister à la répétition du groupe de chants de marins. Ça nous manque un peu de ne pas voir les copains ! "
Puisqu’on ne peut plus « flepper » autrement dit papoter sur le port, le téléphone a repris toute sa place.
Et puis il y aussi internet pour ceux qui en sont équipés. Les nouvelles continuent donc de circuler sur l’île et de part et d’autre du Fromveur et de la mer d’Iroise. "La solidarité a toujours été forte sur l’île. Alors on met de côté les petites querelles et on s’entraide, on se dépanne. En attendant des jours meilleurs!"