Face à Douarnenez, Gilles Moreau est l'unique habitant de l'île Tristan, propriété du Conservatoire du littoral. Depuis quelques jours, il travaille d'arrache-pied pour préparer la réouverture au public dès la fin du confinement.
Blanche, jaune et mauve. L'île est un petit paradis en ce moment !
Gilles Moreau, gardien des lieux et garde littoral, profite seul du spectacle qu'offre l'île Tristan, couverte de pâquerettes blanches, de primevères jaunes et de jacinthes mauves. Depuis le 17 mars, l'île est fermée aux visiteurs et les agents du Parc Marin d'Iroise ont délaissé momentanément les lieux.
L'antenne douarneniste a dû baisser le rideau pendant le confinement. Le gardien de l'île regrette la pause café de 10h avec ses voisins de bureau, un moment convivial. "C'est rassurant quand même de savoir que dans la journée, on n'est pas totalement seul".
Cette fois pourtant, il est bel et bien le seul résident de l'île.
Confiné sur place. Fatigué de ne rien faire, Gilles Moreau a sollicité et obtenu il y a quelques jours de son employeur, la mairie de Douarnenez, une dérogation pour reprendre les travaux d'entretien sur l'île et préparer la réouverture au public.
Débroussailler les sentiers, élaguer les branches des pins malmenés par les tempêtes de l'hiver, arracher les plantes invasives, notamment les chardons et l'ail triquètre. Il y a du boulot en perspective mais pas question de supprimer toutes les mauvaises herbes.
Il n'y a pas de mauvaises herbes. L'île est un éco-système, c'est du vivant. Il ne s'agit pas de domestiquer la nature.
"Dans un grand jardin, poursuit le garde, il faut laisser des ronces pour que les papillons puissent pondre. Les larves du Paon-du-jour se nourrissent d'orties par exemple".
Sur cet îlot d'à peine 7 hectares situé à moins de 300 mètres du rivage, 258 espèces végétales ont été recensées il y a une vingtaine d'années.
Dès que ce sera possible, une nouvelle étude devrait être lancée pour refaire un état des lieux de la biodiversité du site classé, à l'aune du changement climatique.
Les sons de la nature résonnent davantage depuis que les bruits de la ville se sont atténués
Paradis de la flore et de la faune, l'île abrite de nombreuses espèces animales qui prennent leurs aises depuis que les humains ont déserté. "Il y a 15 jours, j'ai aperçu un jeune chevreuil, arrivé à la nage ou à marée basse.
C'est seulement la deuxième fois en quatre décennies que je croise un pareil bestiau ici. C'était magnifique ! "
Gilles, gardien de ce temple naturel depuis 40 ans, est pourtant habitué à cette cohabitation. Lors de l'épisode de la grippe H1N1 en 2009, il avait été l'un des premiers à Douarnenez affecté par la grippe aviaire. Après un séjour aux urgences, Gilles avait passé en revue son emploi du temps pour remonter l'origine de la contamination. "J'ai probablement été infecté par des réjections d'oiseaux ou des plumes que je manipulais."
Cette fois, je fais vraiment très attention à ce que touche, je mets des gants, je me lave souvent les mains.
Renards, ragondins, belettes, visons d'Amérique, fouines, chauve-souris sont en nombre :
"Il y a eu une vingtaine de couples de grands rhinolophes. Cette année, je n'en ai recensé que huit".
L'île est aussi un éden pour les oiseaux nicheurs. "Deux buses variables se sont installées dans les grands araucarias. Et il y a un couple de chouettes hulottes. C'est agréable d'entendre leurs cris à la nuit tombée".
Depuis le confinement, le plan d'eau est vide
Face à l'île, sur le boulevard Richepin qui doit son nom au poète parisien, ancien propriétaire de l'Ile Tristan, les voitures ne circulent plus beaucoup. Seuls résonnent les sons métalliques du chantier naval Gléhen au port du Rosmeur.
Sur le plan d'eau, silence radio. Les classes de voile ont suspendu leurs cours.
"On n'entend plus les rires et les cris des enfants qui passent à la baille ! Ni les toc-toc des moteurs diesel, quasiment aucun bateau ne sort du port de Tréboul. C'est le calme plat".
Plus de pêcheurs, plus de chasseurs. "Au moins, ce repos biologique forcé va faire du bien à la nature."
Pour tromper l'ennui, Gilles planche sur le programme de ses prochaines visites guidées
"J'adore les bouquins d'étymologie. Savez-vous par exemple que le mot pâquerette vient de Pâques parce que les fleurs apparaissent à cette période de l'année ?
C'est un peu moins vrai maintenant avec les bouleversements météo parce que la douceur du climat leur permet d'éclore souvent bien plus tôt. Pâquerette, de son nom scientifique Bellis Perennis, c'est la belle qui tient. Et c'est vrai qu'elle ne fane pas vite."
Les sentiers de l'île en sont tapis en ce moment. Un régal pour les yeux dont les visiteurs sont pour l'instant privés.
L'an dernier, 20 000 promeneurs ont emprunté les chemins balisés de l'île
Accessible à pied, par grandes marées, plusieurs fois par mois, ce petit bout de terre possède aussi un débarcadère car on peut y arriver par bateau pour une visite guidée.
Le patrimoine naturel et bâti de ce site emblématique est riche.
Avec les jardiniers des Plomarc'h, Gilles était en train de réaménager le verger en plantant des variétés anciennes de pommiers. Le chantier a été stoppé par le Coronavirus.
Profiter de cette période de confinement pour replonger dans l'histoire
Habitée depuis des millénaires grâce à la présence d'eau douce, l'île est une terre de légende.
Son nom évoque les amants mythiques, Tristan et Yseult. Et puis il y a le célèbre brigand Guy de La Fontenelle qui fit de cet îlot son repaire.
L'architecture témoigne aussi de son riche passé : un fortin Napoléon III, un phare, une presse à sardine, une conserverie.
L'ancien propriétaire, le poète Jean Richepin, y fit aménager un jardin exotique avec une bambouseraie et des plantes venues d'Asie.
Autant d'histoires qui nourrissent les visites guidées de Gilles.
Installé devant des piles monumentales d'ouvrages spécialisés sur les végétaux et les animaux, le guide naturaliste peaufine ses prochains circuits qui reprendront dès la réouverture du site.
Comme tout le monde, le gardien des lieux attend avec impatience le retour à une vie normale, espérant que cette crise sanitaire déclenche une prise de conscience.
Peut-être que l'on va apprendre à vivre plus lentement, à consommer local, à respecter un peu plus la planète. Je suis plutôt optimiste et confiant dans la nouvelle génération.
"C'est pour ça que j'aime bien sensibiliser les jeunes à la protection de l'environnement, poursuit-il. Pendant les grandes marées, je vois souvent les enfants qui disent à leurs parents de bien remettre les cailloux qu'ils déplacent lors des parties de pêche à pied."
Ce mois-ci, malgré les grandes marées, l'île baigne dans une quiétude étrange.
"C'est anxiogène et presque oppressant" lâche Gilles, avant de retourner à son travail : vérifier les mouillages et tondre les sentiers enherbés.
"Tout sera prêt pour accueillir le public. Le plus vite possible !"