Bretagne Vivante et le Parc Naturel Régional d'Armorique s'associent pour tirer la sonnette d'alarme: les raves parties à répétition bousculent tout un écosystème. Pour certaines espèces, comme le courlis cendré, elles pourraient s'avérer fatales.
"Une rave party, c'est 50 ans de travail piétinés par des gens qui veulent juste passer un moment festif." C'est ainsi qu'Alain Thomas, l'un des vices-présidents de l'association Bretagne Vivante, résume la situation. Comme tous ceux qui agissent en faveur de la biodiversité dans les Monts d'Arrée, il est amer: "nous sommes plusieurs structures, publiques ou privées, qui dépensont une énergie dingue pour préserver des espèces menacées. Tous ces efforts peuvent être ruinés en un seul week-end."
Le secteur a connu trois raves en trois mois: à Brasparts, le 17 juillet, à Brennilis, les 26-27 juin, et une fête sauvage fin mai à Loqueffret. Avec la sortie du Covid, les risques de raves se mutiplient. Les paysages des Monts d'Arrée laissent penser à tort qu'il s'agit d'étendues désertiques. Ils attirent les raveurs, qui s'imaginent ainsi échapper à l'hostilité des riverains et pouvoir monter le son sans se faire déloger. C'est oublier qu'il n'y a pas que les humains qui souffrent lorsqu'on pousse les décibels.
En 2018, le multison du Roz-Du s'était tenu en toute légalité à Botmeur. Le Parc Naturel Régional d'Armorique avait donc pu envoyer des agents sur les lieux la veille et compter le nombre de courlis cendrés nichant à proximité. "Quand on est revenu deux jours après, ils avaient tous disparu, et il n'y a pas eu de nidification cette année-là" déplore Jérémie Bourdoulous, directeur du patrimoine naturel au PNR.
Or le printemps et l'été sont une période cruciale pour ces oiseaux: celle de l'incubation et de l'alimentation des jeunes. S'ils sont dérangés, cela met en péril la survie de leur nichée. D'autant plus qu'il s'agit d'oiseaux migrateurs qui dès le mois d'août vont s'envoler pour un long périple au-dessus de la France, de l'Espagne et du Sahara pour aller hiverner. S'ils partent fragilisés, par un manque de nourriture notamment, leurs chances de parvenir vivants en Afrique s'amenuisent.
Il y a 50 ans, la population de courlis cendrés des Monts d'Arrée étaient encore d'une centaine de couples. Ils ne sont plus que 20 aujourd'hui. D'où le cri d'alarme de Bretagne vivante et du PNR: "si on veut les sauver, c'est maintenant qu'il faut agir," résume Jérémie Bourdoulous.
Les raves ne sont évidemment pas le seul élément perturbateur. Randonneurs, parapentistes, utilisateurs de quads ont aussi leur part de responsabilité. "Chacun a l'impression de n'avoir qu'un faible impact, mais mis bout à bout, cela finit par être énorme," rappelle Jérémie Bourdoulous. Avec la plupart des usagers du site, des actions sont mises en place pour protéger la biodiversité. "Avec les agriculteurs, on a établi un protocole: ils fauchent la lande tous les cinq ans, et c'est dans cette lande fauchée que les courlis cendrés viennent nicher, car la végétation est suffisamment basse pour le permettre," explique le directeur du patrimoine naturel. "Alors forcément, quand une rave vient s'installer à proximité, ça désespère tout le monde."
Le PNR redoute de retrouver la situation d'il y a dix ans: "au printemps, il y avait des raves tous les week-ends et un multison par an," raconte Jérémie Bourdoulous. "On avait réussi à sensibiliser les organisateurs au problème et le nombre de raves avait baissé. Mais aujourd'hui, nous n'avons plus aucun contact," déplore-t-il.
La biodiversité menacée
Les courlis ne sont pas les seuls à subir les conséquences de ces grands rassemblements musicaux: "une parcelle agricole dans les Monts d’Arrée se situe au milieu de landes, de tourbières et d'espaces boisés qui abritent tout une faune de busards Saint Martin, d'hermines, de chevreuils, de renards," rappelle Alain Thomas. "Lors de la dernière rave, j'ai vu un chapelet de voitures garées n'importe où dans la lande, des chiens qui divagaient jour et nuit," se désole-t-il. "Ça perturbe le comportement de la plupart des animaux, qui pour s'adapter aux activités humaines, ont pris l'habitude de se reposer le jour pour se nourrir la nuit."
"Je ne porte pas de jugement de valeur sur les raves, mais il faut se poser la question: peut-on menacer tout un écosystème pour assouvir un besoin de rassemblement festif?" s'interroge-t-il.
Bretagne Vivante et le PNR appellent à la tenue urgente d'une table ronde réunissant les associations, les représentants de l'Etat, les organisateurs de multisons. "Si nous n'obtenons pas gain de cause par le dialogue, il faudra que l'Etat prenne des mesures plus drastiques pour protéger cette zone de lande unique en France," prévient Jérémie Bourdoulous. Les Monts d'Arrée sont en zone Natura 2000 mais pourraient être déclarés réserve naturelle, ce qui leur conférerait une plus grande protection, avec l'affectation notamment d'un garde habilité à sanctionner les infractions.
En attendant, ils réclament plus de fermeté de la part de l'Etat: "il y a huit jours, à Brasparts, le rassemblement avait été interdit par la préfecture, il a eu lieu quand même...Si on avait été dans un cadre urbain, est-ce que cela aurait été toléré?" s'interroge Jérémie Bourdoulous.
Les 8000 hectares de landes et troubières des Mont d'Arrée font l'objet d'un grand programme européen de protection qui vise à restaurer plus de 200 hectares de landes et tourbières sur trois sites emblématiques du PNR d'Armorique : le Menez Hom, Menez Meur et les monts d’Arrée-Cragou. Ils représentent à eux seuls le plus vaste ensemble de landes atlantiques de France et le plus grand complexe de tourbières de Bretagne.