Le Fonds Hélène et Edouard Leclerc à Landerneau, dans le Finistère, ouvrira ses portes, le 18 juillet, à l'oeuvre résolument visionnaire d'Enki Bilal. L'homme n'est pas seulement un auteur de bande dessinée. Il peint et réalise des films aussi. Il y raconte un monde pas si futuriste que cela.
Dans son atelier parisien, Enki Bilal met les dernières touches aux trois toiles qu'il réalise spécialement pour l'exposition qui lui sera consacrée à Landerneau à partir du 18 juillet. "Il me reste dix petits jours pour terminer" sourit-il. Sur chacune d'elle, l'un des personnages de "Guernica" de Picasso. Comme un écho à son livre paru en juin, "Nu avec Picasso", dans lequel Bilal raconte une expérience artitisque singulière : être enfermé une nuit entière dans le musée Picasso, à Paris.
Une déambulation solitaire qui a marqué le dessinateur et scénariste de bande dessinée. "J'ai voulu prolonger l'expérience avec ces trois peintures où j'interroge le rapport de l'artiste à sa création" explique-t-il.
Le futur, c'est maintenant
Ces trois oeuvres inédites feront l'objet d'une installation particulière au Fonds Hélène et Edouard Leclerc (FHEL) : une boîte noire dans laquelle le son viendra caresser l'oreille des visiteurs. Des voix qui raconteront l'histoire de ces trois personnages, "qu'il dessine à sa manière" ajoute Marie-Pierre Bathany, la directrice du FHEL.
Bilal compte parmi les auteurs de bande dessinée qui ont fait bouger les lignes du 9e art. Artiste protéiforme qui décrypte le monde à travers la BD, le cinéma et la peinture. Son monde est humaniste : les histoires futuristes qu’il imagine parlent des êtres humains, de l’homme et de la femme, seuls, en couple, en groupe, dans les villes qu'ils ont créées, où la technologie et les machines sont prédominantes.
Artiste visionnaire aussi. Un peu. Et même beaucoup. Il suffit de relire "La Foire aux Immortels", album réalisé en 1980, pour y trouver une résonance avec ce que nous traversons aujourd'hui.
Elle est là, la force d'Enki Bilal : sa façon d'observer l'état du monde lui donne souvent quelques coups d'avance. Une manière d'affirmer que le futur, c'est maintenant. Avec "Le Sommeil du monstre", publié trois ans avant les attentats du 11 septembre 2001, il évoque déjà le terrorisme et l'obscurantisme religieux. "J'en suis arrivé à la conclusion que l'on pourrait un jour avoir une confrontation avec une idéologie religieuse, dit-il, et c'est que je raconte dans cette BD".
"Eveil politique d'une génération"
Serge Le Moine, le commissaire de l'exposition de Landerneau, qualifie de "réaliste et fantastique, pessimiste et terrible" la vision de Bilal. "Elle est profondément marquée
par l’Histoire et d’une force rarement exprimée". Le dessinateur, lui, s'accroche plutôt à la lucidité. "Je ne suis pas pessimiste, mais lucide, confie-t-il. Je sais dans quel monde je vis, j'ai conscience de ce qui se déroule sur cette planète".
L'histoire personnelle d'Enki Bilal démarre par une rupture avec la Yougoslavie de Tito, lorsque ses parents décident de se réfugier en France. Il a dix ans. Un point de départ pour ce qui va nourrir son oeuvre, serait-on tenté de dire, si l'on y regarde de plus près. Les dictatures, les révolutions, les guerres y sont des thèmes récurrents.
"Il a largement participé à l’éveil politique d’une génération, qui a su traverser les murs de la guerre froide et dénoncer les excès sur notre environnement d’un capitalisme prédateur" note Marie-Pierre Bathany, laquelle considère comme "un petit miracle" d'avoir pu monter cette exposition dans le contexte sanitaire actuel. "Son oeuvre est très actuelle. Elle pose la question de l'écologie, des corps, de l'avenir de l'humanité".
Le monde, j'en ai fait ma matière d'expression artistique. Je ne fais qu'explorer les thèmes de notre vie d'humain sur Terre
L'exposition du FHEL a ceci d'original qu'elle mettra "en résonance" les productions de Bilal avec celles d'autres artistes. "Ca, c'est une idée de Serge Le Moine qui m'a plu tout de suite, s'enthousiasme l'auteur de BD. Ce va-et-vient avec des artistes du passé. Je crois énormément à la transmission. Dans l'Histoire de l'art, les artistes creusent le même sillon de l'humain".
Ainsi, le public pourra croiser Gustave Doré, Francis Bacon, Jérôme Bosch ou encore Albrecht Dürer. Sans oublier les références au cinéma, comme "Blade Runner" de Ridley Scott, des extraits de films choisis par Enki Bilal cette fois. "Je suis très peu dirigiste dans cette exposition finalement, j'ai un regard extérieur. Tout comme chaque visiteur aura son propre regard". A découvrir à partir du 18 juillet.
Exposition Enki Bilal
18 juillet 2020 - 4 janvier 2021. Sur réservation en ligne.
Fonds Hélène et Edouard Leclerc, Landerneau