Quelques heures à peine après l’offensive russe en Ukraine, les marchés mondiaux des céréales s’emballaient. Le cours mondial du blé a atteint 344 euros la tonne avant de se stabiliser à 320. Les factures d’aliments pour le bétail risquent de grimper. Les éleveurs bretons sont inquiets.
Sur son téléphone, François Valy, éleveur de porcs dans le Morbihan et président Fédération Nationale Porcine reçoit tous les jours les cours des céréales. Lundi dernier, le 21 février, il y a 5 jours, une éternité, le cours du blé pour l’été prochain était fixé à 233 euros. C’était avant que les chars russes ne rentrent en Ukraine. ""Maintenant, il est à 320 euros, il a pris 80 euros dans la semaine. Pour celui qui aura du blé à vendre, ça va, mais pour moi, qui dois en acheter pour nourrir mes cochons, c’est la cata !
Sur son exploitation, François Valy a besoin de 1 000 tonnes par an.. 80 euros de plus la tonne, pas besoin de calculatrice, la facture sera lourde," je perds 80 000 euros" s’alarme l’éleveur.
Une situation déjà tendue
La Russie est le premier exportateur mondial de blé, l’Ukraine, le 4ème. Les deux pays représentent 29% des exportations de blé mondial (17% pour la Russie, 12% pour l'Ukraine). Quand l’offensive a commencé, sur les marchés mondiaux des céréales un vent de panique a soufflé. Les prix ont grimpé en flèche.
Depuis un an et demi, le prix de l’aliment pour les porcs était déjà très haut. "Au milieu de l'année 2020, la tonne valait 250 euros, elle est montée à 300 à la fin de l'année 2021 " constate Arnaud Hay, chargé de mission économie et emploi à la Chambre d'agriculture de Bretagne. "Mais comme les prix de nos cochons n’ont pas suivi, on était déjà en crise depuis huit mois " s’inquiète François Valy.
Hier, lors de la dernière cotation au Marché du Porc Breton de Plérin, le prix a été fixé à 1 euro 286, avec une très légère hausse de 0,005 centimes.
" Avant, il manquait déjà 20 centimes au kilo… là, on ne sait même plus…" soupire François Valy. Avec le système des plus-values sur la qualité et les taux de matière grasse, un kilo de porc acheté 1,28 au marché est payé 1 euro 42, en moyenne. "Il nous faudrait 1 euro 65, 1 euro 70, 30 centimes de plus au kilo ! On ne sait pas comment on va faire. Le prix payé couvre à peine le coût de l’aliment. Le reste, les emprunts pour rembourser les bâtiments et les terres, le prix du chauffage, de l‘électricité, la facture des soins vétérinaires, tout cela ce n’est plus payé… quant à notre salaire… alors là…ça fait un moment qu'il est parti aux oubliettes ! "
L’aliment c’est en moyenne 60% du coût de production des porcs, mais plus cet aliment augmente, plus il a d’impact sur les charges. François Valy ne masque pas ses craintes "Avec des tarifs comme ceux-là, on monte à 80% de nos coûts. La situation était déjà compliquée, mais avec des céréales à ce prix-là, l’avenir de la production porcine va se jouer en quelques mois, aucun éleveur ne pourra tenir. Je n’imagine même pas, ce n’est pas possible !"
"La semaine dernière, un éleveur moyen perdait en moyenne 15 à 18 000 euros par mois. Là, on ne sait plus…"
Didier Lucas, président de la Chambre d'agriculture des Côtes d'Armor et lui même éleveur de porcs confirme :" On perdait déjà 30 à 40 euros par porc vendu, si c'est pire, je ne sais pas où on va. Il faut que les prix montent. Sinon, c'est l'ensemble des éleveurs européens qui font faillite."
Les aides arrachées au gouvernement le 31 janvier ne pourront plus que boucher une petite partie du trou. "Les trésoreries vont continuer de se creuser, redoute l'éleveur, mais si les prix du blé se maintiennent à ce niveau ne serait-ce qu’un ou deux mois, l’élevage de porcs, c’est fini ! "
Des dommages collatéraux
Les éleveurs craignent que la guerre en Ukraine désorganise les marchés. "L'Europe n'exporte plus de porcs vers la Russie depuis 2014, rassure Arnaud Hay, c'était déjà une mesure de représailles de Vladimir Poutine après les évènements du Donbass. Et il n'y a que 100 000 tonnes qui partent vers l'Ukraine, en comparaison des 600 000 tonnes qui partent vers la Chine, ce n'est presque rien, on espère donc que cela ne bouleversera pas les transactions."
Mais Arnaud Hay est moins optimiste sur l'énergie. "La guerre engendrera aura aussi sans doute des hausses sur les tarifs du gaz, de l’électricité " explique-t-il, " et cela aura un impact, les éleveurs ont besoin de chauffer les porcheries, les agriculteurs ont besoin des engrais qui viennent de l'est."
"On ne sait plus trop où on va. Plus rien ne veut rien dire " lâche François Valy, qui termine pessimiste "Ce n’est pas la 3ème guerre mondiale mais c’est certainement la 3ème guerre économique."