Hommage à Samuel Paty dans les écoles de Bretagne : "Un petit de 5e m'a dit : « Madame, il ne faut pas avoir peur »"

Deux semaines après l'assassinat de Samuel Paty et quelques heures après la rentrée scolaire, nous avons demandé aux enseignants bretons comment ils ont vécu l'hommage à leur collègue dans leurs écoles. Entre ordres, contre-ordres, émotion et angoisse, ils se sont confiés sur ce moment particulier.

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"Je vais être honnête : j'ai super mal vécu la journée. Je suis très en colère qu'on nous ait volé le dispositif prévu au départ. D'un point de vue personnel, en tant qu'enseignante et vis-à-vis de la hiérarchie ministérielle, je suis très fâchée." Elle dit ça d'un ton calme et posé. Mais on entend quand même la pointe d'indignation dans la voix de Frédérique Lalys. D'indignation et de frustration. Comme tous les enseignants de France, cette professeure d'histoire-géographie a rendu hommage avec ses collègues et ses élèves à Samuel Paty, professeur assassiné à quelques mètres de son lycée de Conflans-Sainte-Honorine le 16 octobre dernier.
 

Une minute de silence dans tous les établissements scolaires


L'hommage aurait dû être différent : la rentrée avait été fixée à 10 heures par le ministère de l'Éducation nationale pour laisser le temps aux équipes pédagogiques de préparer les choses. Mais au soir du vendredi 30 octobre, soit la veille de la rentrée scolaire des vacances de la Toussaint, ils apprennent que les élèves reprendront finalement le chemin des cours à l'heure habituelle. Seule la minute de silence, prévue à 11 heures, est maintenue. Charge aux enseignants d'évoquer, s'ils le souhaitent, la mort de leur collègue et les raisons de son meurtre. 
 

La journée d'aujourd'hui a perdu de sa pertinence et de son sens.

Frédérique Lalys, professeure d'histoire-géographie à Lanester (Morbihan)



"On avait quand même une journée qui se tenait. Notamment les deux heures prévues pour qu'on se retrouve entre professeurs. Pour faire corps après ce qui s'est passé et qui est assez monstrueux, s'indigne encore Frédérique Lalys. C'était insuffisant, mais au moins il y avait un temps d'échange avec les collègues. Du coup, la journée d'aujourd'hui a perdu de sa pertinence et de son sens."

Dans son collège de Lanester, en banlieue de Lorient dans le Morbihan, celle qui enseigne depuis 26 ans a dû s'adapter et organiser ce qu'elle pouvait face à ses élèves. "On a fait une petite réunion à 10 heures entre collègues et avec la cheffe d'établissement, raconte-t-elle, puis on est allé faire nos cours. Moi, je suis revenue sur les faits avec les élèves. Ca a permis de préciser certaines choses, parce que tous n'avaient pas compris, et de revenir sur des informations erronées qui avaient circulé. Après, il y a eu la minute de silence à 11h15 dans les classes, tous en même temps. Ensuite, j'ai fait un travail sur une formule courte du texte de Jean Jaurès. J'aurais aimé faire autrement parce que là, le formel passe avant l'explicatif."
 

Faire parler les élèves


Frédérique Lalys n'appréhendait pas particulièrement ce moment face à ses élèves de 5ème en section d’enseignement général et professionnel adapté. Elle traite "déjà un peu ces questions-là" dans ses cours d'éducation morale et civique et "je ne rencontre pas de problèmes là-dessus avec mes élèves". La minute de silence, le temps d'explication avec les jeunes, tout s'est donc bien passé, "il n'y a pas eu de réactions particulières. Mais ils ont compris que quelque chose d'anormal s'était passé."

 

Ce matin, quand je suis arrivée au collège, je ne pensais pas avoir la boule au ventre et envie de vomir.

Isabelle Bouquin, professeure d'histoire-géographie à Rennes



Même constat au collège Echange à Rennes. Julien Balivet y est professeur d'EPS et professeur principal. Après la minute de silence et la lecture de plusieurs textes dont la "Lettre aux instituteurs et aux institutrices" de Jean Jaurès, il a pris l'initiative de parler avec ses élèves : "j'ai voulu faire une intervention (...) qui a finalement duré deux heures sous forme de débat et de différents documents qu'on a pu lire ensemble. On a rappelé les faits qui n'étaient pas clairs pour l'ensemble des élèves. Ensuite, on est parti sur les ressentis des uns et des autres. Nous avons ensuite discuté des impacts que cette attaque a eu sur les valeurs de notre République. Ils ont été touchés par la violence des actes et par le fait de s'attaquer à un prof. Pour eux, c'est quelque chose qui ne se fait pas"

Non loin de lui dans la cour de récréation, sa collègue Isabelle Bouquin - "ça s'écrit comme un livre !"- se tient les mains dans le dos. Elle est professeure d'histoire-géographie et d'éducation morale et civique. Comme Samuel Paty. Ses mots, elle les dit avec la voix un peu tremblante : "ce matin, quand je suis arrivée au collège, je ne pensais pas avoir la boule au ventre et envie de vomir. J'étais extrêmement émue. Et puis je me suis reprise en me disant que j'étais là pour mes élèves".
 

L'angoisse de certains professeurs


En première heure, elle avait une classe de 5ème "avec laquelle j'avais travaillé avant les vacances sur la notion de citoyenneté. J'ai essayé de trouver les mots pour leur dire mon ressenti et les faire parler. En fait, c'est allé au delà de mes espérances. Ca a été extrêmement constructif. Ils ont posé plein de questions auxquelles j'ai répondu du mieux que j'ai pu, de la façon la plus sereine. Les élèves sont extrêmement respectueux. Je n'ai pas le choix de faire quelque chose de formel. Je réponds au fur et à mesure à leurs questions".

 

J'ai un petit de 5ème qui m'a dit "vous savez Madame, il ne faut pas avoir peur". Et j'ai trouvé très touchant qu'il le dise comme ça, devant toute sa classe.

Isabelle Bouquin, professeure d'histoire-géographie à Rennes



Isabelle avait préparé son intervention mais s'est finalement laissée emmener par ses élèves. "Ils sont en demande de compréhension. De savoir comment un professeur a pu perdre la vie de façon aussi horrible pour un dessin. En même temps, j'ai des élèves qui se sont dits choqués par les dessins, ce que l'on peut comprendre. Du coup, je suis repartie sur le terrain de l'histoire et expliquer comment la religion fait partie de la vie privée dans notre pays, que la laïcité est quelque chose qui nous unit et qui nous protège et repartir sur des valeurs fondamentales. Je les ai interrogés sur la liberté d'expression. Ca permet de remettre des choses en place, de les rassurer aussi et de leur donner un discours cohérent bâti sur l'histoire et l'éducation. Il n'y a pas de recul. Et c'est quand même la mort au bout du chemin pour l'un de nos collègues. J'ai un petit de 5ème qui m'a dit "vous savez Madame, il ne faut pas voir peur". Et j'ai trouvé très touchant qu'il le dise comme ça, devant toute sa classe".

Philippe Melaine, lui, a connu le refus de certains élèves de ne pas respecter la minute de silence après l'attentat de Charlie Hebdo et celui du Batacla. Mais rien de tel ndi 2 novembre pour l'hommahe à Samuel Paty. C'est encore le rétro-pédalage du ministre de l'éduaction nationale dont il parle en premier. "Beaucoup de collègues étaient très angoissés et sont toujours sous le choc de l'assassicant de Samuel Patry. Et le cafouillage du ministère sur cet hommage n'a pas aidé."

 

Un hommage respecté



Au lycée Descartes à Rennes où il est professeur de sciences et vie de la terre (SVT), tous les élèves ont été réunis dans la cour à 10h. Le proviseur a fait un discours puis a lu la lettre de Jean Jaurès. "Le discours et la minute de silence ont été extrêmement bien respectés, constate l'enseignant. Imaginez 1000 élèves dans une cours qui doivent rester calmes pendant un dicours, une lecture et une minute de silence ! Il n'y a pas eu de difficultés particulières."

 

Je suis soulagé que cette matinée soit passée mais la question n'est pas réglée.

Philippe Melaine, professeur de sciences et vie de la Terre à Rennes



Puis tout le monde est remonté dans sa classe pour "le temps pédagogique dédié", selon la terminologie de la rue de Grenelle. "Avec les collègues, on s'était dit que chacun était libre de donner à cette discussion la forme qu'il voulait, explique Philippe Melaine. Certains ont préféré être accompagnés d'autres professeurs dans leur classe. D'autres ont préparé des séquences pour structurer la discussion. D'autres encore ont voulu faire cours au plus vite, pour passer à autre chose. Mais il y a eu une vraie impréparation au niveau du ministère. On s'est débrouillés comme on a pu. Pour les élèves, l'ampleur de tout ça, c'est un peu difficile à comprendre parce qu'ils ne sont pas dans le même état de choc que nous. Je suis soulagé que cette matinée soit passée mais la question n'est pas réglée".

Lui a parlé liberté d'expression, en insitant sur le "pas d'amalgame". Le temps de parole s'est alors orienté vers l'angoisse du moment des élèves : les conditions sanitaires d'accueil dans l'établissement."Rien de plus n'a été mis en place par rapport à juin, assure celui qui est syndiqué au Syndicat National des Enseignants du Second degré (SNES). Et les questions sont les mêmes qu'en juin. Ca, ça inquiète beaucoup les élèves : les conditions sanitaires et les condictions pédagogiques."

 

(Re)dire le rôle du professeur



"Mes éléves ont dit avec humour qu'ils n'avaient pas remarqué les nouvelles conditions sanitaires puisqu'ils sont toujours 35 entassés dans une classe !!", plaisante Gwenaël Le Paih, représentant du SNES en Bretagne. Mais ça, c'était en fin de discussion autour de l'hommage à Samuel Paty. Lundi 2 novembre, en première heure, il avait cours avec des secondes. Dans le lycée Anita Conti à Bruz en Ille-et-Villaine où il enseigne, tous les professeurs ont rejoint leur classe avec une demi-heure de retard, peu après 9h. Dès 8h, les professeurs avaient été réunis par le proviseur pour décider de la forme que prendrait l'hommage à Samuel Paty. "Il nous a fallu bien tout ce temps pour décider de ce qu'on allait faire. Mais il y a surtout eu beaucoup de colère exprimée par rapport à ce qui est vécu comme un mépris du ministre Blanquer".

 

Je leur ai dit que ça aurait pu être leur prof d'histoire-géo pour qu'ils comprennent notre proximité avec ce professeur.

Gwenaël Le Payh, professeur de mathématiques à Bruz



Une fois en classe Gwenaël Le Paih et ses élèves ont beaucoup discuté : "je leur ai expliqué que pour nous, Samuel Paty, c'était un collègue, avce des élèves, des proches, un enfant et qu'on était en pleine solidarité avec ses proches et dans l'émotion, parce que c'était un collègue qui faisait son travail. Je leur ai dit que ça aurait pu être leur prof d'histoire-géo pour qu'ils comprennent notre proximité avec ce professeur, pourquoi ont était aussi touchés, parce que ça leur paraît un peu loin d'eux".

La lettre de Jean Jaurès n'a pas été lue. A la place, à 10h45, pour tout le monde, dans la cour, un texte, court, lu par le proviseur et rédigé par l'ensemble de l'équipe pédagogique "expliquait les raisons de notre émotion et pour expliquer ce que Samuel Paty avait fait avec ses élèves, expliquer son métier, un métier pour ouvrir les élèves à la liberté d'expression et à des sujets qui sont ceux de la République".  A 11h, la minute de silence "qui a été très bien respectée. Ca s'est passé avec beaucoup d'émotion". 
 

Demain, aller plus loin



Gwenaël Le Paih enseigne les maths. Mais lundi 2 novembre, il a parlé liberté d'expression, liberté de la presse, citoyenneté, esprit critique, caricatures, laïcité et religon. "Je ne sais pas si j'ai des élèves de confession musulmane dans ma classe. Je n'en sais rien. Mais en tout cas, je n'ai pas eu de réactions particulières de la part de mes élèves. Je leur ai demandé s'ils avaient tout compris. Je voyais que oui puisqu'ils hochaient la tête. (...) Et on a fait une heure de maths dans la foulée. Dans un très bon climat. Ca m'a fait du bien. Ca leur a fait du bien aussi je pense".

Julien Balivet, le prof de sport du collège Echange à Rennes, conclut : "on a amorcé un début de réflexion. (...) L’idée est qu’après, avec les collègues, on mette en place des initiatives pour aller au plus profond des choses".
 

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