Ce 7 juin 2022, le personnel soignant s’est mobilisé pour faire entendre sa colère dans les rues. Alors que certains services d’urgences se demandent s’ils pourront tenir cet été, les usagers de l’hôpital disent leurs craintes. Dans un courrier adressé au Président de la République, France Assos Santé demande des moyens.
"La tension à l’hôpital, bien sûr que je la sens, je ressens les difficultés. Il n’y a aucun établissement épargné. On en discute souvent avec les médecins", commence André Le Tutour. Depuis 2006, il représente les usagers de l’hôpital de Vannes. "J’ai beaucoup de respect pour les soignants, dit-il. J’ai été sauvé par la médecine". André Le Tutour fréquente les hôpitaux depuis 32 ans et ne cache pas son inquiétude.
"L’été arrive ! A Vannes, en moyenne chaque année, on compte 70 000 entrées aux Urgences. On va vers une période de vacances, dans une région très touristique et on ne sait pas ce qui va se passer."
Depuis la loi de 2002 sur les droits des malades et la qualité du système de santé, les usagers sont présents dans les commissions de l’hôpital.
André Le Tutour, dans le Mobihan, Gilles Lucas à Saint-Brieuc, Annick Cordion et Mireille Massot pour le CHU de Rennes participent régulièrement aux réunions de leurs établissements respectifs. Parfois, pour accompagner un patient qui a un souci, d’autres fois pour débattre et essayer d’améliorer le bien-être et l’efficacité de la prise en charge des patients.
"De minutes de silence en tribunes médiatiques, en passant par les réseaux sociaux et les manifestations de rue, [les soignants] nous alertent quotidiennement sur la crise que traverse notre hôpital public, qui se traduit par des fermetures de lits (15 % de lits fermés en moyenne), voire de services entiers, y compris des urgences médicales, une réactivation des plans blancs pour faire face au manque de personnel, etc." écrit France Assos Santé dans une lettre adressée au Président de la République.
"Un personnel merveilleux, mais à bout"
"Il y a un problème à l’hôpital "détaille Annick Cordion. "On sent qu’il y a une lassitude, les personnels sont débordés."
Quand on a diminué le Numerus Clausus, on a dit, ça va être la cata, et bien ça y est, la cata est arrivée !
Annick Cordion, représentante des usagers du CHU de Rennes
"Aux urgences, les patients attendent parfois 3,4 5… et même jusqu’à 12 heures, et ça s’aggrave de jour en jour " explique la représentante des usagers du CHU de Rennes. "Cela fait 20 ans qu’on entend parler de difficultés, explique-t-elle. Quand on a diminué le Numerus Clausus, on a dit, ça va être la cata, et bien ça y est, la cata est arrivée ! Cela a été la plus grosse bêtise de faire ça ! Mais on a l’impression que les dirigeants s’en fichent complètement."
Elle se souvient de sa propre hospitalisation, il y a deux ans. Aux urgences, il y avait un monsieur avec un clou planté dans la main. "Il est resté là, pendant deux heures, en tenant sa main."
"Ensuite, quand j’appelais, une infirmière arrivait, mais elle était à peine entrée dans ma chambre, qu’on la réclamait dans une autre. Le personnel n’est pas responsable, ils n’ont pas les moyens de travailler. Je les admire, ils font tout ce qu’ils peuvent".
Un mal qui avance
Gilles Lucas, souffre d’une maladie chronique, il est devenu représentant des usagers de l’hôpital de Saint-Brieuc en 2006. Il a vu la situation se dégrader petit à petit.
"C’est tendu, lâche-t-il, ça fait des années que ça dure, ça a commencé par les aides-soignantes, puis, les infirmières, puis les cadres, puis les médecins, les administratifs, aujourd’hui, tout le monde va mal. Quand je discute avec le personnel dans les couloirs de l’hôpital, tout le monde est épuisé."
"Il y avait un épuisement avant la crise Covid. La pandémie n’a fait que mettre le doigt là où ça fait mal", confirme Mireille Massot, représentante des usagers CHU de Rennes.
"L’hôpital fait tout ce qu’il peut pour que patients et personnels vivent le mieux possible à l’hôpital ", constate la représentante, mais elle remarque que les soignants s’interrogent : "Est-ce que cela a du sens de travailler dans des conditions où il faut toujours aller plus vite, voir toujours plus de patients, ne pas pouvoir échanger autant qu’on voudrait sur les malades avec ses collègues, ne pas pouvoir prendre davantage de temps pour rassurer les patients, leurs familles ?"
"C’est mathématique, poursuit Gilles Lucas, on a de plus en plus de monde à soigner et de moins en moins de soignants, ça nous pète à la gueule !"
Un changement de monde
"La médecine a fait d’énormes progrès, souligne-t-il : les gens vivent plus longtemps, c’est génial, mais cela a un inconvénient, quand ils sont plus vieux, ils ont besoin de davantage de soins."
"Aujourd’hui, les soignants, comme le reste de la société ont modifié leur manière de vivre. Avant les médecins étaient disponibles 24h sur 24… et tout le monde soignant faisait de même. Et puis, les médecins et les autres ont eu envie d’avoir une vie de famille, des loisirs, des sorties. Comme tout le monde ! Certains préfèrent travailler à temps partiel. Pour avoir un équivalent temps-plein, il faudra peut-être avoir plus d’une personne."
"C’est un métier difficile, avec beaucoup de responsabilités, qui demande beaucoup de vigilance, de l’écoute". André Le Tutour l’a constaté maintes et maintes fois. Malheureusement, il faut faire face au manque de personnel. "Il y a des gens qui démissionnent, des arrêts maladie et les écoles d’infirmières ou d’aides-soignantes ne se remplissent pas toutes."
Gilles Lucas se dit inquiet pour l’hôpital parce qu’il ne voit pas de perspectives. "S’il y avait eu une lumière au bout du tunnel, on aurait pu faire de dos rond, mais là… ça va être très très compliqué."
Les remèdes parfois pires que le mal
"Les patients que nos associations représentent sont de nouveau plongés dans une angoisse", témoigne France Assos Santé.
Nous avons le sentiment que notre pays n’est plus en capacité de soutenir le système de santé qui nous permet d’accéder aux soins dont nous avons besoin dans des délais et à des conditions financières acceptables.
France Assos Santé
"Elle nous oblige à patienter (trop) longtemps pour un rendez-vous médical, à sortir (trop) tôt de l’hôpital et à subir la dégradation des conditions d’accueil et de prise en charge au motif qu’il n’y a plus ni temps ni moyens pour l’humanisation des soins" écrit encore l'association.
"Les séjours à l’hôpital sont effectivement de plus en plus courts" note Gilles Lucas. "Il y a des patients qui sortent qui ne sont pas bien remis. Résultat, on a parfois un chien qui se mord la queue. On fait sortir des gens pour récupérer leurs lits, mais ils reviennent quelques jours plus tard dans un état qui s’est dégradé et devront donc rester plus longtemps et tout le monde, patients et soignants est malheureux.
Les gens maintenant nous l’écrivent. Ils ne se plaignent pas de la façon dont ils ont été soignés, mais de l’organisation."
"On a vu apparaitre de nouvelles façons de soigner, comme les consultations à distance. C’est super, il faut que les patients et les médecins s’emparent de cet outil, mais il faut être conscient que ce n’est que du soin palliatif, on soigne la douleur, pas le mal. C’est comme mettre un pansement sur une plaie."
Le rôle des patients
"Les usagers du système de soins ont aussi leur rôle à jouer", plaide Gilles Lucas. "Ce serait bien qu’ils s’interrogent sur leur manière de "consommer" le médical, qu’ils réfléchissent sur leur façon d’aller se présenter systématiquement aux urgences."
"Il faudrait que l'on prenne tous conscience aussi du coût de la santé ", suggère Mireille Massot. "Quand on va à l’hôpital, on n’a pas le détail de ce que ça a coûté. Ce n’est pas gratuit, enfin, ça l’est heureusement pour le patient, mais ça ne l’est pas pour la société."
France Assos Santé réclame "des mesures urgentes pour les soins urgents mais aussi pour les soins programmés. Comment affronterons-nous un éventuel rebond épidémique, annoncé à la rentrée ? Comment ferons-nous face aux conséquences d’une possible canicule estivale lorsque le personnel hospitalier sera en vacances ? (..) Comment garantir la protection de la santé de tous, en tout lieu du territoire et à toute heure du jour et de la nuit ?", interroge la Fédération d’associations de patients.
"L’hôpital c’est une très très belle chose qu’il faut garder", termine Mireille Massot et tous rappellent que c'est quand on en a besoin qu’on mesure à quel point il est précieux.