Il y a 100 ans, la grippe espagnole frappe une Bretagne endeuillée par la guerre

La grippe espagnole arrive à la fin de la première guerre mondiale et frappe une société déjà lourdement éprouvée. C'est un virus foudroyant qui touche surtout les jeunes adultes. Bilan et contexte bien différent donc de notre crise du Covid-19, malgré quelques similitudes. 

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La grippe espagnole frappe en trois vagues successives entre avril 1918 et mai 1919, puis en quelques "répliques" qui se font ressentir jusqu’en 1921.
Le bilan est terrible : environ 50 millions de morts au niveau mondial. En France, il est estimé à 250 000 décès, mais les archives épidémiologiques ne permettent pas de mesurer l’hécatombe à l'échelle de la Bretagne.

Pourtant la presse témoigne de nombreux foyers, notamment à Brest, port de guerre par lequel transitent de nombreux marins et des alliés américains.


Hyper contagieuse et souvent fatale


Erwan Le Gall, historien qui publie sur le site de  Bretagne Culture Diversité, a retrouvé, dans la "Dépêche de Brest" du 2 octobre 1918,  le témoignage d’un certain docteur Martin, sous-directeur de l’Institut Pasteur missionné dans le port finistérien quand l'épidémie frappe les équipages de la flotte : "La particularité de cette grippe, dit-il, est son caractère extrêmement dangereux de contagion. Elle se transmet exclusivement par contacts interhumains. Un seul malade, formant point épidémique, est susceptible de contaminer toutes les personnes qui l’approchent".

À Rennes, poursuit Erwan Le Gall, "des statistiques font état de 60 cas en mai 1918, dont 10 se révèlent fatals. En octobre 1918, le président du tribunal civil de cette ville, François Le Lepvrier, perd dans la même journée ses deux fils, tous deux fauchés par le virus. À Vitré, en certains moments, la grippe se solde par la mort dans 23 % des cas, 27,7 % à Fougères…".
 

L’incubation est fulgurante et le virus frappe aussi violemment que rapidement, Erwan Le Gall, historien 


"Non seulement des patients ont pu dire le moment exact où ils avaient été contaminés, indique Erwan Le Gall, mais certains, atteints en pleine rue, n’ont même pas le temps de rejoindre leur domicile avant de ressentir les premiers symptômes. Ceux-ci sont d’ailleurs d’une rare virulence : forts maux de tête, fièvre brutale pouvant dépasser les 42 °C et entraînant de profonds délires, problèmes respiratoires aigus, douleurs musculaires, diarrhées, complications cardiaques, rénales et hépatiques… En déficit d’oxygène, les malades bleuissent et meurent dans d’atroces souffrances, souvent par étouffement".

Les conséquences psychologiques sur la population bretonne sont d’autant plus importantes que l’épidémie s’abat sur les jeunes adultes dans la force de l'âge. Une génération déjà frappée lourdement par quatre années de guerre. "Ainsi cette « veuve Deshayes » de Recouvrance, à Brest, qui explique avoir perdu son mari en trois jours et être sans ressource à la tête d’une nombreuse famille : enceinte de 7 mois, elle est la mère de sept enfants âgés de 16 mois à 14 ans. La situation est telle qu’en novembre 1918 l’évêque de Vannes en est réduit à invoquer saint Vincent Ferrier, un prédicateur ayant certes officié en Morbihan au XVe siècle mais surtout connu pour avoir été un guérisseur… de la peste", ironise l'historien.


Confinement compliqué, tentatives thérapeutiques


Des mesures de confinement s'imposent pour prévenir, à défaut de guérir.  Le docteur Martin explique qu'à Brest, "où l’épidémie prenait une ampleur inquiétante, nous avons posé comme base de notre traitement prophylactique l’isolement du contagieux et la surveillance quotidienne de toutes les personnes qui avaient été en rapport avec le malade durant la période d’incubation" 
Mais difficile d'imposer un confinement total à Brest, tête de pont avec Saint-Nazaire du corps expéditionnaire américain opérant en France. "Chaque mois, ce sont plusieurs dizaines de milliers de Sammies qui transitent par le port du Ponant. Les placer en quarantaine reviendrait donc à rompre le flux transatlantique destiné à renouveler les rangs des unités combattant en première ligne" rappelle Erwan Le Gall.

A plus petite échelle le confinement sauvera malgré tout des vies. Armelle Jaouen, une habitante de Saint-Pabu dans le Nord Finistère a appris au cours de ses recherches généalogiques que tout un pan de sa famille avait été victime de la grippe espagnole lors d'une "réplique" en 1921. Son arrière arrière grand-mère Marie-Yvonne Thomas mourut, ainsi que son gendre et deux de ses petits-enfants. "Quatre morts en 11 jours, tous inhumés sans cérémonie ni témoins". Le virus avait été ramené par un petit-fils asymptomatique, lors d'une permission, au cours de son service militaire.
 

Mais Armelle Jaouen a surtout découvert que l'autre moitié de la famille fut sauvée grâce à un confinement très strict imposé par le médecin de famille, le docteur Amédée Le Meur. "Les malades furent confinés dans la maison, les autres dans la grange, avec interdiction absolue pour les voisins de s'approcher de la ferme". Un souvenir familial qui a poussé la descendante à appeler au civisme au début du confinement actuel : "L'heure est grave, restons confinés !"
 

Dans l'ensemble, le corps médical semble bien dépourvu et désemparé face à cette épidémie au point de tenter parfois des thérapies non encore validées : "À Nantes, le médecin-major Weil expérimente de bien curieux vaccins : des injections sous-cutanées de sang citraté prélevé chez des grippés convalescents"  relate Erwan Le Gall. Aujourd'hui on tente l'injection de plasma de patients guéris du coronavirus, la sérothérapie qui consiste à transférer des anticorps aux malades.


L’activité fut perturbée, parfois même paralysée, par cette épidémie.


On peut mesurer les conséquences sociales et sociétales de la grippe espagnole grâce à quelques exemples recensés par l’historien : "à Rennes, le nombre de malades est tellement important que l’administration des postes est obligée de supprimer des tournées de distribution du courrier… faute de facteurs. En novembre 1918, les services de la 10e région militaire avaient prévu d’organiser dans cette ville un grand concours de tir mais celui-ci est finalement annulé pour éviter tout risque de contagion. C’est d’ailleurs pour cela que, dans le Morbihan, les élèves ne peuvent rentrer en classe que s'ils disposent d'un certificat médical attestant qu'ils ne sont pas atteints par le virus. Dans l’arrondissement de Lorient, le sous-préfet ordonne au début du mois d’octobre 1918 la fermeture des cinémas, mesure effective depuis déjà plusieurs semaines dans le département voisin du Finistère".

Et Erwan Le Gall de conclure qu'à ce niveau la grippe espagnole fut dans un sens "plus forte que la guerre", soulignant un paradoxe : "elle semble affecter l’arrière dans des proportions jamais atteintes pendant la guerre. Ainsi, même en 1916, en pleine bataille de Verdun, cafés, restaurants et théâtres restent ouverts".

Toutefois, pour l’historien breton, la similitude avec notre crise sanitaire actuelle s’arrête là. "Le coût de la vie, au sens stricte, a augmenté. Notre société n’accepte plus la mort. Aujourd’hui, on est prêt à tout pour sauver des vies".
 
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