En ce début d’année 2024, une centaine de collectivités locales se retrouvent sans assurances. Les compagnies qui ont dû faire face aux remboursements des évènements climatiques et des émeutes du début de l’été se désengagent de ce secteur. Certaines mairies n’ont pas trouvé d’assureur, d’autres se retrouvent obligées d’accepter des hausses ahurissantes.
Evelyne Lefeuvre ne décolère pas. A la mi-décembre, la maire de Guignen a été contrainte d’accepter la proposition du seul assureur qui s’est présenté. "Je n’ai pas eu d’autres choix que d’accepter", déplore l’élue. Elle a vu la facture s’envoler de 234%.
Tout a commencé en mai dernier, par courrier, son assureur l’informe qu’il ne prendre plus en charge les bâtiments de la commune. "Cela concerne la mairie, mais aussi l’école, la salle polyvalente, la caserne des pompiers, l’église, des logements... C’était inenvisageable de ne pas assurer ces biens, explique Evelyne Lefeuvre. Inenvisageable."
La mairie interroge son assurance qui évoque deux incidents dans la commune : un local qui a pris feu suite à un feu de poubelle et un dégât des eaux dans un appartement. "Nous avons été résiliés", constate l’élue.
Des marchés boudés par les assureurs
En fait, décrit Pierre-Alexandre Royer, le président de Protectas, société spécilaisée dans le conseil et l'audit en assurance, "les assureurs ont été extrêmement sollicités ces derniers mois. Les évènements climatiques sont de plus en plus violents et de plus en plus fréquents, et puis les émeutes du début de l’été leur ont couté très cher. Au vu des risques à couvrir, les assureurs ne sont plus intéressés par les collectivités. Elles ont souvent un patrimoine important, parfois des monuments historiques, des bâtiments industriels, cela représente beaucoup de risques à assurer sur un même territoire."
Pendant plusieurs mois, la mairie de Guignen a donc cherché une autre compagnie. En vain. Le 15 décembre, le couteau sous la gorge, elle a signé la seule proposition reçue. De 13 000 euros par an, son assurance passe à 44 000. "Et en plus, les franchises ont explosé, souligne la maire. En cas d’incident dans l’église, on avait une franchise de 750 euros, elle est montée à 1 million ! C’est inacceptable, mais nous avons dû accepter ! On ne nous a pas laissé le choix. "
Une centaine de communes en France sans assurance
A quelques kilomètres, à Baulon, Arnaud Clément, le directeur général des services se prend soudain à relativiser. Avec une hausse de "seulement" 36%, il se dit que finalement, la commune s’en sort plutôt bien. Elle a signé elle aussi au tout dernier moment et a craint le pire. "Sans assurance, la situation aurait été vraiment compliquée ", détaille-t-il. "Une salle des sports, c’est un coût d’1,5 million d’euros. S’il y a un problème, un incendie ou n’importe quoi, on ne peut faire face et sortir la somme de notre poche. Baulon, c’est 2 000 habitants. On a signé. "
A Guipry Messac, par contre, aucune compagnie n’a accepté d’assurer la commune parfois victime d’inondations. Depuis le 1er janvier, elle est donc sans assurance. Ce serait le cas d’une centaine de communes en France. L’association des maires a tiré la sonnette d’alarme.
"Y a-t-il encore un assureur pour ma commune ?"
Fin novembre, lors du Congrès de l’association, Alain Chrétien s’interrogeait. "Y a-t-il encore un assureur pour ma commune ? Des centaines de maires reçoivent aujourd'hui des lettres de résiliation pures et simples, brutales de leur assurance,
Quand vous recevez une lettre brutale qui vous résilie l’assurance de votre commune au 31 décembre prochain, comment voulez-vous ne pas être inquiet ? La loi permet à l’assureur de résilier, sans aucune justification ! Quand on résilie le contrat d’une commune, on empêche les véhicules d'astreinte de rouler, on empêche les écoles d'ouvrir, on empêche les centres sociaux d'ouvrir, parce que ce serait prendre trop de risques sans être assurés ! Tous les jours, des maires nous appellent affolés. "
En réponse, une mission gouvernementale sur l'assurabilité des collectivités locales a vu le jour.
"J’ai beaucoup de colère, conclut la maire de Guignen. Nous n’avons reçu aucune aide des services de l’Etat. J’ai le sentiment que parce qu’on est une collectivité on nous demande d’en faire toujours plus financièrement."
Pour les élus, ce nouveau casse-tête, c’est une goutte d’eau qui fait déborder un vase déjà bien plein. Depuis 2020, 4 000 élus locaux ont démissionné.
(avec Colombine Denis)