L'histoire, du petit h au grand H, s'écrit parce qu'il y a des hommes pour la raconter. Au moyen-âge, c'était le rôle des scribes, aux services des souverains. Tous ne revenaient pas du champ de bataille. De celle de Ballon, à proximité de Redon, on ne sait ainsi presque rien.
On ne connaît les batailles que parce que des hommes les ont racontées. En grandissant l’adversaire, on magnifie sa victoire. Jules César n’a-t-il pas tressé des couronnes de laurier aux Vénètes que pour mieux les poser sur sa propre tête ? Les historiens s’interrogent.
Car ils savent qu’il n’y a pas l’Histoire, avec un grand H… mais des dizaines de façons de raconter ce qui fait l'histoire. Si les faits des batailles sont souvent établis: un lieu, une date, les forces en présence; La manière de les raconter varie, suivant que l’on soit vainqueur, ou vaincu. Suivant également le message que l’on veut faire passer.
Au Moyen Age, pour raconter les combats, les scribes suivaient les troupes. Ils étaient sur les champs de bataille, entendaient les cris, les bruits des épées. Mais ils étaient au service d’un des camps, et ne rentraient pas toujours.
Ballon, une bataille sans commentateurs
Seuls trois textes de l’époque évoquent le combat qui s'est joué à Ballon, situé près de Redon en Ille-et-Vilaine: les Annales de St Bertin, celles de Fontenelle et les Chroniques de Nantes.
Ce que l’on sait en revanche, c’est qu’en ce IXè siècle, les relations entre le Royaume Franc et les bretons sont compliquées.
Nominoë s’est soumis à Charlemagne. Mais quand son petit-fils, Charles Le Chauve arrive sur le trône des francs, le duc de Bretagne prend ses distances.
Les escarmouches entre les 2 camps se multiplient.
Le Roi de France décide de faire passer aux bretons leurs envies de liberté et marche sur la Bretagne. Le 22 novembre 845, près du monastère de Ballon, il affronte Nominoë et est battu. Un traité de paix qui reconnaît l’indépendance de la Bretagne est signé.
L'après-match
Mais, puisque Nominoë l’a emporté, que la Bretagne s’est "libérée du joug Franc", il faut le dire, le conter.
En 1540, Bertrand d’Argentré écrit L’histoire de la Bretagne : mais il mêle les récits de plusieurs assauts. Dans les ingrédients, la bataille de Ballon. Linda Fumat, chercheuse au Centre de Recherche Bretonne et Celtique, rappelle qu'on ne sait que trois choses: sa date, le 22 novembre 845; le lieu, Ballon; Et le fait que le roi est battu.
Autre ingrédient du mélange, la bataille de Jengland, qui se déroule quelques années plus tard en 851 au Grand Fougeray à 30 kilomètres de Bains sur Oust.
Pour exalter le courage et la vaillance des bretons, il faut du sang, de l’émotion. Qu'importe la vérité.
Le mythe prend la place de l’histoire
Alors que les premiers textes ne donnaient aucun chiffre, Bertrand d’Argentré décrit 20 000 soldats coté breton, 35 à 40 000 coté franc.
Et quand l’historien engage la bataille, il s’enflamme. Charles Le Chauve est à la tête d’une "armée de soudards" de toutes les nations, saxons, francs, gallo romains, aquitains, rhénans, tous "aguerris par les récents combats du Midi".
Sous la plume de Bertrand d’Argentré, Nominoë est évidemment le plus rusé : il attire les troupes franques dans les marais entre l’Oust et l’Aff. Il veut se servir de sa connaissance des lieux pour vaincre, les pluies de l’automne ont détrempé les sols raconte d’Argentré.
L’auteur vit la scène : sur un terrain dénudé et accidenté, les cavaliers bretons chargent, lancent leurs javelots. Les francs, habitués à combattre de près, épée contre épée, sont frappés de stupeur, incapables de poursuivre leur ennemi au galop et de se défendre. Lourdement harnachés, ils s’enfoncent peu à peu dans les marais. La nuit tombe.
Le lendemain, la bataille reprend sanglante. Lorsque le soir descend, Charles le Chauve profite de l’obscurité pour prendre la fuite, son armée est prise de panique.
"La présence de Charles le Chauve donne de l’importance à la bataille" explique Linda Fumat, "les troupes bretonnes n’ont pas seulement battu l’armée royale, elles ont battu le Roi de France".
Pendant des siècles, la légende va poursuivre son chemin. La bataille de Ballon devient l’acte de naissance d’une Bretagne libre et indépendante, qui va durer sept siècles.
Nominoë est alors considéré comme le Tad Ar Vro, le père de la patrie. Au début du 20ème siècle, certains nationalistes bretons tentent même de s’emparer de son image. En mai dernier, un monument dédié à la mémoire de la bataille de Ballon a été inauguré à Bain-sur-Ouest.
On ne saura peut-être jamais ce qui s’est vraiment passé à Ballon, mais les récits faits de la bataille serviront sans doute à comprendre la manière dont on a écrit l’histoire de la Bretagne.