"Délimiter les frontières de la Bretagne avec ses pieds", le Tro Breiz a 30 ans, une longue marche entre randonnée, aventure spirituelle et patrimoine

Pour ses 30 ans, le pèlerinage du Tro Breiz ralliera Redon à Nantes du 29 juillet au 3 août 2024. Ce tour de Bretagne rassemble chaque été près de 1 500 croyants et laïcs. Tous marchent pour l'amour et la découverte de la Bretagne. Une aventure spirituelle saluée par le pape Jean-Paul II dès son lancement. Un pari fou pour renouer avec une tradition médiévale.

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Pour assurer l'intendance des pèlerins du Tro Breiz, tout un petit village insolite se déplace chaque année. Le ravitaillement en eau au fil des chemins, la distribution des repas, le transport des toiles de tente ou l'aménagement des dortoirs réservés dans les communes, mais aussi les serre-files en fin de cortège pour les éclopés, les médecins bénévoles pour soigner les pieds meurtris des randonneurs, les bannières qui flottent au vent, les messes et les festoù-noz, les points info au pied des églises... il en faut de l'organisation afin de conduire à bon port quelque 1 500 pèlerins chaque été.

Qui aurait cru il y a 30 ans, qu'un tel engouement naîtrait du projet porté par Phillipe Abjean, philosophe et humaniste breton, à qui l'on doit par ailleurs la création de la Vallée des Saints, à Carnoët, dans les Côtes d'Armor ?

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En 1994, l'évêché de Quimper ne croit pas à l'idée. Qu'à cela ne tienne, l'impulsion viendra d'une poignée de Bretons qui donneront naissance à l'association "Les chemins du Tro Breiz". 

L'idée est de renouer avec un pèlerinage datant du Moyen Âge, durant lequel on honorait les sept saints fondateurs de la Bretagne : Paul Aurélien, Corentin, Tugdual, Brieuc, Malo, Samson, Patern. La tradition voulait qu'en un mois de marche et sur 2 000 kilomètres, les pèlerins fassent le tour de la Bretagne.
"Il s'agissait de délimiter avec ses pieds les frontières de la Bretagne" explique Phillipe Abjean, "un peu comme le prêtre tournait autrefois autour d'un cercueil pour le bénir ou autour d'une maison neuve lors de son inauguration."
C'est d'ailleurs un des rares pardons circulaires, une déambulation autour d'un point central, qui conduisait les marcheurs en sept étapes au fil des sept cathédrales dédiées aux Saints fondateurs.

Il s'agissait de délimiter avec ses pieds les frontières de la Bretagne.

Philippe Abjean

Président Association "Les chemins du Tro Breiz"

"Aujourd'hui, les gens ont moins de temps, alors on propose de faire le Tro Breiz sur sept années avec à chaque fois une portion du chemin. Pour les trente ans, en juillet prochain, ce sera Redon - Nantes. Une petite entorse au trajet initial qui ne passait ni par Rennes, ni par Nantes" explique Philippe Abjean.

Ce n'est pas un pèlerinage comme les autres, ajoute le président de l'association. "Il est différent de celui de Chartres car il accueille à la fois des chrétiens et de simples randonneurs . C'est un temps fort qui associe la marche, les rencontres, la découverte du patrimoine. Les messes et les veillées ne sont pas obligatoires. Il y a une grande liberté."

Philippe Abjean insiste sur la diversité des profils de pélerins : "Le dénominateur commun à tous les participants est l'amour de la Bretagne et de la marche. C'est un moment de spiritualité mais il y a une grande tolérance. On croise des catholiques progressistes ou traditionalistes et beaucoup de laïcs. Aujourd'hui, l'église a évolué. Le public est très hétérogène, toutes les générations sont présentes avec beaucoup de familles, enfants, parents, grands-parents. 

Le pape bénit le Tro Breiz, l'information fait la une du journal

Un encouragement inattendu va propulser le Tro Breiz au-devant de l’actualité et assurer sa persistance. Le 5 août 1995,alors que les pèlerins sont installés dans une grange pour se restaurer à la fin de la journée, "la secrétaire du syndicat d'initiative de Saint-Pol-de-Léon vient nous chercher" raconte Philippe Abjean.
"Elle a reçu un coup de téléphone du secrétaire particulier du pape Jean-Paul II. Tout le monde est incrédule, elle a même cru à une blague au début"
se souvient Philippe Abjean. Mais c'est bien le Saint-Père, qui a eu vent de l'initiative bretonne, qui adresse un télégramme avec ces mots : "A tous les pèlerins et leurs familles, j'accorde une affectueuse bénédiction apostolique".

"Nous étions fous de joie" sourit Philippe Abjean. Le lendemain, le journal le Télégramme titrait  : "le pape avec les Bretons" en première page couleur.

Une édition au Pays de Galles 

Au bout de sept ans, la boucle du Tro Breiz était complète. Fallait-il continuer? "On a eu l'idée de faire une pause et d'aller au Sud du Pays de Galles, sur la trace des missionnaires gallois, fondateurs de l'Armorique, notamment Saint Ildut, Saint David, Saint Tugdual", se souvient le père Dominique de Lafforest, sollicité dès les premières heures pour officier sur le Tro Breiz.
L'homme est féru d'histoire et défenseur du patrimoine de la Bretagne. L'idée pour l'association est de redécouvrir le sort des catholiques en Terre Galloise, lors des persécutions religieuses de la Réforme, au XVI siècle . Ce sera l'occasion de rencontres œcuméniques au-delà des obédiences protestantes, anglicanes et catholiques qui perdurent là-bas. Au-delà d'une page d'histoire sanglante entre catholiques et partisans de la Réforme. 

Un hymne commun

En 2005, environ mille personnes embarquent donc en ferry à Roscoff, pour une traversée vers L'Angleterre puis le Pays de Galles et une première étape dans la ville d'Usk. "C'était compliqué, il fallait faire suivre la logistique" . Le voyage réservera des surprises, des belles rencontres avec des représentants d'autres églises, et des souvenirs. " La population a été très chaleureuse. Les Gallois étaient étonnés de nous voir."

Un jour, les pélerins étaient accompagnés du Bagad de Saint Pol de Léon et passaient devant une abbaye en ruine. Les gens ont cru qu'on tournait un film !

Père Dominique de Lafforest

équipe d'animation du Tro Breiz

On a invité des Quakers, des Presbytériens, des représentants de l'église des Saints des derniers jours. Il y a eu de grands moments d'émotion. Pour chaque étape, j'écrivais aux maires des villages et aux évêques. Il n'y a jamais eu d'hostilité. On a prié ensemble et on a entonné des chants bretons. Puis c'est  l'hymne gallois"Hen Wlad Fy Nhadau" qui a résonné. Un air qui signifie "'Vieux pays de mes ancêtres" et qui partage la même mélodie que le Bro Gozh ma Zadoù, notre hymne breton."

 Une version de l'hymne Gallois sur youtube.

Le père de Lafforest va même célébrer une messe dans une église où il n'y avait pas eu d'eucharistie depuis près de 400 ans.

Le Tro Breiz reviendra ensuite en terre Bretonne. Sa réputation fait venir des Belges, des Suisses, des Polonais, des Anglais, des Ecossais. Le prêtre se souvient de deux jeunes étudiants en théologie, survivant des massacres du Rwanda. Lors de la procession finale, les pèlerins arrivent avec leurs bannières, des couronnes de fleurs, la cathédrale est pleine. Parfois, des vocations naissent. Mais c'est surtout un chemin de rencontre et de communion au rythme de la marche, avec la nature comme écrin. La découverte est aussi au rendez-vous quand on sait que la Bretagne compte un peu moins de 5 000 chapelles qui sont visitées au fil des itinéraires.

Les trobreziens, comme on les appellent, ne reviennent jamais d'un pélerinage comme ils sont partis.

Philippe Abjean

Président Association "Les chemins du Tro Breiz"

De par sa tradition, son origine, de par les sites et les paysages qu'il traverse, le Tro Breiz est sans  aucun doute devenu un excellent ambassadeur du patrimoine culturel immatériel de la Bretagne.

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