Le Conseil d'Etat a rejeté vendredi la demande de suspension en urgence des distances minimales d'épandage fixées en décembre par le gouvernement. Cette action en justice émanait du collectif des maires anti-pesticides, dont le président est Emmanuel Cueff, maire de Langouët (Ille-et-Vilaine).
C'est un revers pour les anti-pesticides. La plus haute juridiction administrative du pays, a rejeté une de leurs demandes sans avoir encore examiné le dossier sur le fond. C'est le juge des référés du Conseil d'Etat qui a estimé que "la condition d'urgence" à se prononcer sur les textes publiés le 27 décembre par le gouvernement n'était pas remplie.
L'arrêté et le décret contestés, publiés après plusieurs mois de polémique, confirmaient les distances minimales depuis les habitations pour l'utilisation des pesticides, qui avaient été mises en consultation publique à l'automne: cinq mètres pour les cultures dites basses comme les légumes et céréales et dix mètres pour les cultures hautes, fruitiers ou vignes. Distance portée à 20 mètres pour les produits "les plus dangereux", qui représentent environ 0,3% des substances actives utilisées.
Pas de notion "d'urgence"
Le juge des référés a rejeté la notion d'urgence, s'appuyant notamment sur le fait que les plaignants "se bornent à critiquer de manière très générale les distances de 5, 10 et 20 mètres et les dérogations qui peuvent y être apportées, en indiquant que de telles distances ne peuvent sérieusement être regardées comme satisfaisant à l'obligation de protection des riverains", et ce alors même que ces distances correspondent à celles préconisées par l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses).
Le juge relève encore que "les autres États membres de l'Union européenne n'imposent pas, à ce jour, de distances de sécurité générales supérieures" à celles retenues en France.
Le collectif des maires anti-pesticides compte environ 120 édiles. Il est présidé par le maire de Langouët, Daniel Cueff, qui avait pris en mai 2019 un arrêté anti-pesticides pour sa commune, annulé par la suite par le tribunal administratif
Dans l'attente du jugement sur le fond
"Je suis très déçue mais perdre sur l'urgence c'est moins grave que perdre sur le fond", a réagi auprès de l'AFP Me Corinne Lepage, ancienne ministre de l'Environnement et avocate du collectif de maires. "Mais c'est tout de même étrange, un pays qui ne trouve pas d'urgence à limiter le droit à l'empoisonnement", a-t- elle poursuivi.
Le collectif des maires a de son côté "exigé que les mesures détenues par l'Anses (via les agences de l'air) sur la présence des pesticides dangereux dans l'air autour des champs traités soient rendues publiques immédiatement. Jusqu'à quand faudra-t-il attendre pour que la santé des riverains soit prioritaire sur toutes autres considérations?"
Plusieurs associations, dont France Nature Environnement, Générations Futures, Solidaires ou l'UFC Que Choisir, ont de leur côté jugé "d'autant plus indispensable" après cette décision le recours sur le fond contre les zones d'épandage qu'elles doivent déposer le 25 février.
Le ministère de la Transition écologique et solidaire n'a pas souhaité réagir, alors que le syndicat des industries phytosanitaires UIPP n'a pas immédiatement répondu aux sollicitations de l'AFP.
La procédure se poursuivra sur le fond, avec une décision attendue "dans les prochains mois" selon le Conseil d'Etat.
Vers une procédure européenne ?
Le collectif des maires anti-pesticides envisage de saisir la juridiction européenne pour non respect par la France de la directive européenne (2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil) du 21 octobre 2009 "instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable". Dans cette directive, il est stipulé (article 12, NDLR) que des mesures appropriées de gestion des risques doivent être prises "dans des zones spécifiques en particulier dans les zones utilisées par le grand public ou par des groupes vulnérables, comme les parcs et les jardins publics, les terrains de sports et de loisirs, les terrains scolaires et les terrains de jeux pour enfants, ainsi qu’à proximité immédiate des établissements de soins", ce qui pour Daniel Cueff, n'est pas mis en application.