En exil en Bretagne depuis le début de la guerre, des réfugiés ukrainiens ont pris leurs habitudes dans un dojo de Fougères. Ici, le club leur a ouvert ses portes gratuitement. "Question d'humanité" dit l'entraîneur, le sport est un outil d'intégration.
C’est un dojo qui ne paie pas de mine, dans un quartier excentré de Fougères.
À l’heure de l’entraînement sur les coups de 20 heures, ils sont une dizaine à enfiler le kimono : des Bretons licenciés au club, mais aussi quelques réfugiés ukrainiens, arrivés en Bretagne après le début de la guerre. Ce soir-là sur le tatami, Oksana et Svitlana sont venues chacune accompagnée de leurs fils.
"Faut pas oublier qu'ils ont pris des bombes sur la gueule..."
Dans un coin de la salle, Alain Bouvet, 63 ans, observe les gamins s’échauffer, et se taquiner en langue française.
"Ils ont retrouvé le sourire, les enfants... Il ne faut pas oublier qu'ils ont pris des bombes sur la gueule quand même !".
Alain BouvetEntraîneur du Dojo du pays fougerais
Et puis l’ancien champion de Bretagne leur prodigue des conseils… "Prends le vêtement, main droite au col, main gauche manche.
"Quand ils sont arrivés, au début on parlait un peu anglais. Mais je me suis dit pourquoi ? Si je veux les intégrer, pourquoi parler anglais ? Alors, on a utilisé "google translate". Et aujourd’hui, ils ont beaucoup progressé. Mais c'est loin d'être seulement grâce à moi."
"Ici, au judo, on oublie le stress, on oublie la guerre..."
Parmi les gamins, il y a Marc, le fils de Svitlana, une petite dizaine d’années. À la question pourquoi aimes-tu venir au judo, il répond, en français. "Ici les gens sont pas méchants". Sa mère confirme, "pour les enfants, c’est magnifique, pour moi aussi. On oublie le stress et on oublie la guerre".
Juste à côté, Oksana vient appuyer le propos :
"Ici, au judo, c'est pas la guerre, c’est chaleureux, c’est délicat, c’est honnête, c’est libre".
Oksana, réfugiée ukrainienne
"Le retour au pays, je n'y crois pas..."
Oksana a posé ses valises à Fougères en avril 2022. Elle a 51 ans. En Ukraine dans sa ville occupée de Nova Khakovka, elle a laissé son mari qui a choisi de rester.
Elle, a traversé l’Europe avec ses trois enfants. Dans son pays, elle travaillait dans une entreprise de nettoyage. En France, après toutes ses épreuves, elle aimerait s'investir auprès des enfants. Et pour cela, l’Ukrainienne vient d’achever 4 mois de formation au Centre de formation CLPS, où comme d’autres réfugiés venus d’autres pays, elle a appris le français et décroché des premiers stages. Oksana rêve maintenant de passer le Bafa, pour devenir animatrice.
Le retour au pays, l’Ukrainienne n’y croit pas. "J’ai 51 ans, et si un jour la guerre s’achève, je ne m’imagine pas revenir dans une ville détruite qu’il faudra 15 ou 20 ans pour reconstruire". Alona, sa fille cadette qui elle aussi a décroché grâce au CLPS un diplôme de français, ne veut pas en revanche déjà tourner la page, en regrettant qu’il n’y ait pas "plus de mobilisation pour l’Ukraine".
L'entraîneur de judo : "accueillir, c'est simplement faire preuve d'humanité"
En attendant, Alona qui suit aussi une formation de crêpière, rejoint régulièrement sa mère au Dojo de Fougères. Pour les Ukrainiens, l’entraîneur a décrété que les cours étaient gratuits.
"C’était la moindre des choses d’ouvrir les portes, pour qu'ils s'intègrent un peu. Il y a deux ans, il y en a eu une vingtaine à venir s’entraîner. A leur arrivée en France, ils étaient logés dans des gîtes à quelques kilomètres de la ville. Et puis depuis, la plupart ont trouvé des points de chute ailleurs que sur Fougères. Ils sont encore quelques-uns."
Mes parents ont connu la guerre de 39, mes grands-parents celle de 14. Et là, la guerre est en Europe. Les mamans ont une sacrée force de caractère, mais on sent que les enfants sont toujours dans le dur. Alors accueillir, c’est juste de l’humanité. Il faut s’occuper des gens en faiblesse. Nous, quand on sera en faiblesse, on s’occupera de nous. Enfin j’espère...
Alain BouvetEntraîneur/ Dojo du Pays fougerais
"Le judo signifie la voie de la souplesse..."
Alain a aussi trouvé un petit boulot à Oksana. "Je connaissais une boîte qui cherchait du monde, elle est allée, et elle m’a dit que sans ce travail, elle aurait toujours pensé à la guerre".
"Ici, acquiesce Oksana, on peut rencontrer des gens... qui connaissent des gens... qui connaissent d’autres gens, etc. Alors, on se construit petit à petit un réseau. Alors merci Alain, merci le judo, merci Fougères, la Bretagne, la France."
Avec le mot de la fin pour l’entraîneur. "Le Judo, ça signifie la voie de la souplesse. Face à des situations comme la leur, il faut être souple. C'est ce qu'on essaye de faire".