"Fusillé pour l'exemple", au pays du Caporal Lechat, la mémoire ne vacille pas

Le 17 mars 1915, sur le front de la Première Guerre mondiale, les "Caporaux de Souain" étaient "fusillés pour l'exemple", pour "refus d'obéissance en présence de l'ennemi". À l'occasion d'une commémoration, un nouvel hommage leur a été rendu en Bretagne, dans le village natal de l'un des fusillés, Lucien Lechat

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La cérémonie du souvenir a encore rassemblé près de 300 personnes.

Bien sûr, ce n’est plus la foule immense du 16 octobre 1924 qui accompagnait le Caporal Lechat jusqu’au cimetière de son village natal. Mais cent après, chez lui au Ferré, la mémoire ne vacille toujours pas.

Si la Première Guerre mondiale a fauché 55 poilus de cette commune d'Ille-et-Vilaine, Lechat n’est pas tout à fait tombé comme les autres, fusillé pour l'exemple le 17 mars 1915, sur le front en Champagne.

"Au pays, souligne Louis Pautrel, le maire de la commune, cette histoire a marqué les cœurs, les esprits, et se transmet de génération en génération. On se devait une nouvelle fois de lui rendre un hommage".   

"Refus d'obéissance en présence de l'ennemi"

En 1914, Lucien Lechat a 23 ans. Il est garçon de café, orphelin de mère, célibataire, il termine son service militaire, mais la guerre le rattrape.

Avec sa 21ᵉ Compagnie du 336ᵉ régiment d’infanterie de Saint-Lô, le voilà bombardé au front. 

À Souain, en Champagne, en mars 1915, le conflit n'en finit plus de s'enliser. On gagne un jour ce qu'on reperdra le lendemain, la guerre de "grignotage" rime trop souvent avec carnage.

Alors quand le 10 mars, la hiérarchie ordonne une nouvelle attaque, la prise du "Moulin de Souain", les soldats finissent par ne plus sortir des tranchées. De quoi fâcher le général Réveilhac, qui fait désigner 24 hommes pour le Conseil de guerre.

Fusillés pour l'exemple

Le procès a lieu le 16 mars à Suippes, à l’arrière du Front. Vingt acquittements sont prononcés, mais quatre caporaux, Lucien Lechat, Théophile Maupas, Louis Girard, et Louis Lefoulon, sont condamnés à mort et à la dégradation militaire.

Dès le lendemain, devant les poilus rassemblés, les quatre caporaux sont passés par les armes, "pour l'exemple". La troupe a vu, c'est fait pour ça, désormais, avant de désobéir, elle réfléchira par deux fois.

Une histoire tragique qui va inspirer en 1957 à Stanley Kubrick l’un de ses plus grands films, "Les Sentiers de la Gloire", avec Kirk Douglas.

"Lechat ne voulait pas que ses hommes meurent pour rien..." 

La nouvelle de la mort du Caporal Lechat parvint au Ferré quelques jours après son exécution.

"Mais à l’époque, on ne savait rien des circonstances", explique l’un de ses descendants, Olivier Cador, présent pour la commémoration. 

"Sa sœur Eulalie n’apprendra qu’en 1920, par une campagne de presse de la Ligue des Droits de l'Homme, qu'il avait été fusillé pour l’exemple". 

Lechat n'a pas été fusillé parce qu'il a commis un acte de lâcheté, mais parce qu'il ne voulait pas mourir pour rien, et qu'il ne voulait pas non plus que ses hommes meurent pour rien

Olivier Cador

Descendant du Caporal Lechat

Christian Lefoulon, petit-fils d'un autre des caporaux fusillés, confirme.

"Sur le champ de bataille, les conditions étaient telles que sortir des tranchées n'avait strictement aucun sens, c'était se faire tuer à coup sûr. Décimer sa propre armée, ce n'est pas faire la guerre".  

Le combat pour la "réhabilitation"

Pas très loin du Ferré dans la Manche, après-guerre, c'est Blanche Maupas, la veuve d'un autre fusillé, qui va engager la bataille pour la "réhabilitation".

Soutenue par la LDH, l’institutrice normande remue ciel et terre pour laver l’honneur de son mari.

En 1923, Blanche fait réinhumer son Théo, chez elle à Sartilly. Dans son sillage, un an plus tard, c’est Eulalie Lechat qui rapatrie son frère au Ferré.

"Un franc de dommages-intérêts" pour les familles

Au fil des ans, les demandes de révision du procès, les campagnes de presse, les manifestations vont finir par payer.

Sous la pression, en 1934, les "Caporaux de Souain" sont enfin réhabilités par la "Cour spéciale de justice militaire". Avec à la clé... "un franc de dommages-intérêts" pour les familles. 

639 "fusillés pour l'exemple", mais seulement 41 réhabilitations 

"En France, on estime aujourd’hui à 639 le nombre de soldats fusillés pour l'exemple pour désobéissance militaire, mais seule une quarantaine d'entre eux ont été, comme les "Caporaux de Souain", réhabilités. Et c’est bien peu", souligne Eric Viot, auteur de plusieurs ouvrages sur la question.

"Pour espérer obtenir une réhabilitation, il fallait d'abord engager des procédures, mais la plupart des familles, ne savaient même pas que leur fils ou leur frère avait été fusillé, ou bien n’avaient pas les moyens intellectuels et financiers pour pouvoir réagir"

Eric Viot

"Plus de cent ans après, poursuit-il, une réhabilitation au "cas par cas" est devenue impossible, il n’y a par définition plus de témoins, et il manque trop souvent des pièces aux dossiers. Il faut donc une réhabilitation collective. Pas de tous les fusillés, bien sûr, certains avaient été condamnés pour homicide, espionnage. Mais de ceux condamnés pour désobéissance militaire."

En 2022, une proposition de loi adoptée à l'Assemblée, rejetée au Sénat

Depuis Lionel Jospin, qui en 1998 à Craonne, avait demandé qu'ils "réintègrent pleinement notre mémoire collective", un retour en grâce des "Fusillés pour l'exemple" s’est amorcé.

Nicolas Sarkozy et François Hollande lui avaient ensuite emboîté le pas. Et en 2022, une proposition de loi à l'initiative de la "France Insoumise" a réussi à dépasser les traditionnels clivages, en obtenant notamment le soutien de Philippe Gosselin, député "Les Républicains" de la Manche.

L'homme est sensible à la question. En 1915, son arrière-grand-père avait défendu la cause des "Caporaux de Souain". 

 Adoptée à l’Assemblée, la proposition de loi avait été retoquée au Sénat. Présent lui aussi à la cérémonie du Ferré en octobre 2024, Philippe Gosselin a rappelé qu’il était grand temps que la France réhabilite les 639 fusillés pour "désobéissance militaire".

À Lire aussi sur le sujet : Les "fusillés pour l'exemple" de la Grande Guerre en cours de réhabilitation par l'Assemblée nationale

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Philippe Gosselin, député LR de la Manche, favorable à une réhabilitation des "Fusillés pour l'exemple" ©FTV

"En 2004, l'État avait refusé de se déplacer. En 2024, on a la visite d'une Ministre. On avance..."

Au Ferré, et c'est une première, une Ministre de la République s'est aussi déplacée pour la commémoration d'octobre 2024. Si Françoise Gatel n'est pas en charge des "Anciens combattants", mais de la "Ruralité", sa venue a été vécue dans la commune comme un signal.

"En 2004, quand on avait organisé une cérémonie pour le 90ᵉ anniversaire de la réhabilitation des Caporaux de Souain, l’État avait refusé de participer, j’avais été choqué. En 2015, pour le centenaire de l’exécution, le sous-préfet et un représentant de l’Armée s’étaient déplacés, on avait donc tourné une page. Cette année, une Ministre se déplace, on avance encore.

Louis Pautrel

Maire de "Le Ferré"

"Avec le temps, j’ai appris à faire preuve de patience, et je pense que tôt ou tard, grâce aux commémorations, au travail de mémoire, on va finir par réussir", termine le Maire. "Ce déplacement très officiel d'un membre du gouvernement est très symbolique", appuie le député Gosselin, "et je le vis comme un signal". 

Devant le Monument aux morts, la Ministre a salué "le combat de Blanche Maupas, "la veuve de tous les fusillés", dont le travail conduisit a la réhabilitation de l'honneur de ces hommes. Car le récit militaire masqua la réalité de la guerre "

En 2023 pourtant, Françoise Gatel, alors sénatrice, avait voté contre la réhabilitation collective des 639  "Fusillés pour l'exemple".  Son déplacement au Ferré signifie-t-il que le gouvernement compte désormais faire avancer ce dossier ?  "Il convient que la Justice poursuive son travail...", répond la Ministre. 

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La Ministre sur la réhabilitation collective des "Fusillés pour l'exemple" ©FTV

Pour Olivier Cador, le descendant du Caporal Lechat, "il est grand temps que la nation française balaie devant sa porte".

"Je pense que ces "Fusillés pour l’exemple" étaient des patriotes, tout autant que ceux qui ont obéi. Le patriotisme, ce n’est pas forcément qu'obéir au doigt et à l’œil. C’est aussi défendre des valeurs face aux dangers qui pourraient provenir de l’extérieur, mais aussi contre des dangers qui pourraient provenir de l’intérieur."  

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