La Cour de cassation clôt définitivement "l'affaire Barbarin", affaire de non-dénonciation d’agressions sexuelles qui avait ébranlé l'Eglise. Désormais simple aumônier en Bretagne, l'ex-archevêque de Lyon accueille cette décision avec "émotion". Les parties civiles affichent leur déception.
"Le cardinal Barbarin, désormais simple aumônier en Bretagne, a accueilli cette décision avec "émotion", et indiqué que "sa prière allait aux victimes", a déclaré mercredi son avocat Me Luciani.
En rejetant le pourvoi d'accusateurs de l'ex-archevêque de Lyon Philippe Barbarin, la Cour de cassation a mis mercredi un point final à une affaire qui a ébranlé l'Eglise, et a douché les espoirs d'une évolution de la législation sur la dénonciation d'agressions sexuelles sur mineurs.
"L'innocence du cardinal est définitivement consacrée", s'est félicité l'avocat de Philippe Barbarin, Me Jean-Félix Luciani. "Je maintiens que l'interprétation de la loi qui était la nôtre était la bonne."
"La Cour de cassation a dit le droit avec sérénité et tranquillité afin que chacun puisse tourner la page", a-t-il ajouté, considérant que cette décision marquait "la fin d'une histoire".
La plus haute juridiction de l'ordre judiciaire avait été saisie après la relaxe du cardinal prononcée par la cour d'appel de Lyon en janvier 2020.
Huit victimes de l'ancien prêtre Bernard Preynat reprochaient à l'archevêque de Lyon de ne pas avoir dénoncé à la justice les agressions sexuelles commises par ce prêtre de son diocèse dans les années 1980 et 1990. Agressions dont Mgr Barbarin été informé en 2010 par le religieux lui-même, puis en 2014 et 2015 par une de ses victimes.
Des victimes elles-mêmes en état de dénoncer les faits
Dans son arrêt - très attendu, même si seuls les intérêts civils étaient en jeu dans ce pourvoi - la Cour de cassation apporte des "précisions importantes" sur les conditions dans lesquelles le délit de non-dénonciation d'agression sexuelle sur mineur peut être constitué.
La Cour a retenu la prescription pour les faits remontant à 2010. Pour ceux de 2014-2015, elle a considéré tout d'abord, contrairement à la cour d'appel, que l'obligation de dénonciation subsiste, même si les mauvais traitements paraissent prescrits au moment où celui qui a l'obligation de les dénoncer en prend connaissance.
Elle a estimé ensuite, cette fois comme la cour d'appel mais à rebours des parties civiles, que cette obligation prend fin à partir du moment où les victimes sont elles-mêmes en état de dénoncer les faits, parce qu'elles sont devenues majeures ou ne sont plus en état de fragilité.
La cour d'appel de Lyon avait notamment considéré que le dignitaire ecclésiastique n'était pas tenu, en 2014-2015, de dénoncer les agissements de Preynat car les victimes, "âgées de 34 à 36 ans, insérées au plan familial, social et professionnel, sans maladie ou déficience, étaient en mesure de porter plainte".
"Ce seul motif est de nature à justifier la relaxe prononcée", considère la Cour en rejetant le pourvoi. À l'audience le 17 mars, l'avocat général s'était prononcé pour une cassation partielle.
Déception pour les parties civiles : "nos institutions pas à la hauteur..."
"C'est évidemment une déception", a réagi Me Patrice Spinosi, conseil des parties civiles. Avec cette décision, "le risque, c'est qu'il y ait des comportements qui ne soient pas dénoncés par des victimes et que des prédateurs puissent continuer à agir en toute impunité", a-t-il déploré.
"Cette décision est décevante et étonnante car cela veut dire que l'apparence de normalité d'une victime suffit à évaluer sa vulnérabilité et cela est laissé à l'appréciation de celui qui doit dénoncer", a fustigé un autre avocat de victimes de Bernard Preynat, Me Jean Boudot, estimant cet argument "non fondé juridiquement et scientifiquement".
"C'est la fin d'un combat, certes, mais le combat de La Parole libérée n'a pas été pour rien, car on a gagné des choses depuis cinq ans", a-t-il toutefois noté.
François Devaux, président de cette association de victimes qui vient d'annoncer sa dissolution après avoir porté l'affaire devant les tribunaux, a lui exprimé un "sentiment de honte" envers la justice.
"Ce qui était demandé à la Cour de cassation, c'était la définition d'un projet de société au moment où s'opère une prise de conscience avec la libération de la parole de victimes de violences sexuelles, a commenté M. Devaux, en jugeant "nos institutions pas à la hauteur".