À Rennes, depuis 36 ans, se déroule chaque 1ᵉʳ mai, "la fête de la paresse" dans la célèbre rue de Saint-Malo, tout près de la rue de la Soif. Cette tradition a été initiée par les propriétaires de bars et les habitués des lieux, en marge de la fête du travail. Une initiative loufoque et populaire, née dans une époque foisonnante.
Sur l'affiche de la 36ᵉ fête de la paresse, des ratons laveurs costumés en musiciens invitent les Rennais à se retrouver rue de Saint-Malo le 1ᵉʳ mai 2024, à Rennes, pour partager un moment rythmé par la musique et la bonne humeur.
La page Facebook de l'association des commerçants de la rue de Saint-Malo annonce le programme. Une nouvelle fois, la mythique rue, connue pour sa concentration de bars et de restaurants, se veut le point de ralliement à l'issue des manifestations syndicales de la fête du travail.
Sébastien Blot, l'un des organisateurs, tient à perpétuer la tradition. "La rue est fermée à la circulation et nous installons une grande scène au milieu, pour accueillir plusieurs groupes de musiciens. De 11h à 22h, fanfares, animations pour enfants et cinq concerts sur la journée sont annoncés. Cette année, tout devrait se dérouler dans le calme.
Car, en 2023, le contexte social était plus agité. "Le taux de lacrymogène ambiant ayant tout de même considérablement baissé, nous sommes heureux de vous retrouver pour cette date emblématique" précise le communiqué de l'association.
Moins de folie et plus de sagesse désormais lors de ce rendez-vous, car ses débuts restent gravés dans les souvenirs des pionniers. "Notre symbole, c'était un lapin" se souvient Jacques Ars, ancien propriétaire du bar "La Bernique Hurlante". "Quand on a créé la fête de la paresse, il y a 36 ans, il n'y avait rien dans la rue de Saint-Malo. C'était une rue un peu abandonnée, en rénovation, donc on pouvait y faire ce qu'on voulait, explique-t-il. À l’époque, on était une bande de copains, tous du même âge. On voulait faire une fête pour réveiller l'esprit des bars du quartier. Il y en avait beaucoup plus à l'époque, aujourd'hui, ils ont en partie été remplacés par des restaurants."
"Le 1ᵉʳ mai, quand les manifestations syndicales se dispersaient, il n'y avait pas beaucoup d'endroits pour se réunir, alors les gens venaient à la fête de la paresse pour se retrouver. Souvent, c'était jusqu'au bout de la nuit avec les bars plein à craquer."
Lors de la première édition, la fête n'avait pas été déclarée auprès de la préfecture. Les CRS sont venus pour disperser la rue.
"On était là pour s'amuser, mais il y avait aussi un esprit de revendication un peu anarchiste dans notre bande. La fête de la paresse, en opposition à la fête du travail, c'était un peu comme un manifeste politique de citoyens qui ne se prenaient pas aux sérieux" dit encore Jacques Ars.
À plusieurs reprises, entre 1989 et 2002, le groupe se présentera aux élections législatives, municipales, cantonales et régionales. Le parti des Grignoux puis celui du R.U.T (rassemblement utile à tous) et de la sauvegarde de la galette saucisse bretonne auront leur petite heure de médiatisation lors des campagnes électorales locales."On faisait 2 à 3 % de score, se souvient Jacques Ars. À notre manière, on était militants."
Aujourd'hui, son bar, "la Bernique Hurlante", a tiré le rideau. Beaucoup se souviennent de ce lieu de rencontre entre artistes, musiciens et amateurs de soirées autour d'un verre. Jacques Ars, aujourd'hui bouquiniste, se félicite lui de voir que la fête se perpétue à travers les générations.
La paresse au travail : un atout
Célébrer la paresse un jour de fête du travail n'a rien d'incongru. Jour férié et chômé, le 1ᵉʳ mai est né des combats des mouvements ouvriers pour obtenir la journée de huit heures à la fin du XIXe siècle. En découleront la fête du travail et ses traditionnels défilés syndicaux.
Revendiquer de meilleures conditions de travail et plus de temps pour soi semble légitime pour la plupart des salariés. Et si la paresse était même un atout au bureau ? C'est ce qu'explique Philippe Helmstetter, à la tête d'une société d'expertise en gestion du temps pour les entreprises.
La paresse n’est que rarement considérée comme une qualité au travail. Il y a une injonction à faire toujours quelque chose et à rentabiliser son temps. Chaque minute doit être utile, au risque de se culpabiliser. "Et pourtant, être paresseux amène à réfléchir et à trouver des solutions pour accomplir le même travail plus vite, plus efficacement. Ainsi, cette paresse amène à simplifier les process et à automatiser ceux qui sont très répétitifs" explique-t-il.
Quelques exemples qu'il expose régulièrement lors de ces formations auprès des salariés : lire ces mails de façons groupées et non au coup par coup, ne pas rester connecté en permanence aux flux de communications internes à l'entreprise qui vous déconcentre. Il recommande aussi la pause-café, le tout pour les mêmes raisons : "il faut économiser son attention et s'autoriser à ne rien faire pour être plus performant au final."
Une pause s'impose
Si les salariés prennent le temps de faire une pause, c'est le moment où le cerveau se repose. Philippe cite la loi d'Illich qui propose d'articuler correctement temps de travail et temps de repos. Il faut pour cela un système de trois 'boîtes à temps'. Deux minutes de pause toutes les dix minutes. Cinq minutes de pause toutes les vingt-cinq minutes de travail.
Pour lui, il faut aussi en finir avec la logique d'évaluation des performances en fonction du temps de travail. Dans certains pays d'Europe du Nord, si un employé dépasse ses horaires, c'est qu'il manque d'organisation et qu'il est inefficace. Ne pas faire d'heures supplémentaires n'est pas un signe de fainéantise. Et non, vous n'êtes pas paresseux ni désinvesti, dit-il, si vous vous accordez le droit à la déconnexion quand vous recevez un mail ou un appel de vos patrons durant vos congés. D'ailleurs, certaines entreprises stoppent désormais leurs serveurs le week-end pour bloquer tout envoi de mails.
Prendre du temps ne serait finalement pas se dérober à une tâche, mais se donner le droit de se relâcher et de se détendre pour être plus efficace. Une sorte d'accord gagnant-gagnant qui reste encore souvent à négocier.