Coup de projecteur sur la compagnie Dana, basée à Rennes. Sa spécificité : proposer des ateliers bimensuels d'improvisation, tant aux valides qu'aux personnes en situation de handicap. Le potentiel créatif se nourrit des expérimentations et de l'écoute de chacun. Un travail sensible dont la mixité est la richesse et la force.
"Mon corps, c'est moi". Cette phrase prononcée par Dimitri Kasprzak lors de notre première rencontre a été la porte d'entrée vers un univers insoupçonné : comment le corps assis de cet homme debout dans sa tête pouvait-il danser ? La réponse n'a pas tardé : "Dans ma tête, je ne suis pas handicapé", introduit-il comme un préalable à la discussion. Aidé d'Arnaud, son auxiliaire de vie, Dimitri fait presque tout, comme tout le monde.
"Dans ma tête, je ne suis pas handicapé"
Malgré son fauteuil roulant et ses difficultés à s'exprimer, quand il danse, il a "l'impression de voler". Et pour s'envoler comme un oiseau, il entretient chaque semaine ses ailes chez Helen, sa kiné. Et là aussi, c'est lui qui mène la danse : "Le fait qu'il danse, c'est très complémentaire avec mes exercices d'assouplissement", explique-t-elle, en le massant. Leurs regards complices mêlent le respect et l'admiration : "Depuis le temps que je te suis, je peux dire que tu as toujours été très actif Dimitri. Tu prends ta vie en main, c'est certain", raconte la kiné. Fin de la séance. Dimitri a un emploi du temps bien chargé. À peine sorti du cabinet, il se dirige vers le Garage à Rennes, un lieu dédié à la danse, où aujourd'hui, il va retrouver une partie de la compagnie Dana avec laquelle il danse depuis plusieurs années.
L'artistique au service de l'émancipation
L'artistique au service de l'émancipation de ces personnes en situation de handicap, c'est justement un des piliers fondateurs de la compagnie Dana qui compte neuf danseurs. Cécile Barbedette y est danseuse et chorégraphe : "Dimitri nous a contactés il y a un peu plus de dix ans, parce qu'il souhaitait danser à Rennes. Il avait déjà dansé avec une autre compagnie nantaise. Il n'est pas rattaché à une structure spécialisée et ça nous a fait justement nous rendre compte qu'on ne proposait rien dans les structures culturelles et que de manière générale, à cette époque-là à Rennes, il n'y avait pas de proposition de danse accessible à toutes les personnes en situation de handicap. Donc, on a créé un nouvel atelier qui s'appelle danse, improvisation et mobilité. Il accueille toute personne qui a envie de danser avec nous".
Dans nos ateliers, on positionne chaque participant en tant que danseur, en tant que créateur de sa propre danse. Donc, on n'apprend pas aux personnes à danser. On part de la gestuelle de chacun.
Cécile Barbedettedanseuse et chorégraphe - Compagnie Dana
La danseuse explique ce qui lui tient à cœur, le fait que tout le monde peut danser, que le handicap n'est pas une barrière pour danser : "Dans nos ateliers, on positionne chaque participant en tant que danseur, en tant que créateur de sa propre danse. Donc, on n'apprend pas aux personnes à danser. On crée des espaces dans lesquels on vient faire des propositions qui vont nous permettre de travailler des fondamentaux en danse. On est beaucoup sur la question de l'improvisation, ce qui permet de partir de la gestuelle de chacun. J'ai l'impression à chaque fois de réapprendre à danser autrement".
Des corps libérés, décomplexés
De la danse comme des tableaux, avec une palette poétique de corps libérés, décomplexés. C'est la singularité de chacun qui apporte cette grâce. Karim Souedane est aussi danseur dans la compagnie. En fauteuil roulant comme Dimitri, la danse a été une vraie révélation dans sa vie : "Dès que j'ai dansé, c'était pour moi merveilleux en fait. Je n'avais plus l'impression d'être handicapé. J'avais l'impression d'être libre de voler de mes propres ailes et de pouvoir sortir de mon fauteuil carrément. Du jour au lendemain, si j'arrête la danse, c'est comme une petite mort. Ça me permet de sortir de mon contexte de personne handicapée et de côtoyer d'autres personnes".
"On s'encourage dans les possibles"
Tous les quinze jours, les ateliers de la Maison bleue de Rennes, sont menés en binôme par Dimitri et Marie Arribot, danseuse professionnelle dans la compagnie : "Dimitri me fait des propositions, et on s'affine tous les deux. Quand on est à plusieurs, c'est un peu plus réaliste. Les mots ne sont pas forcément pour moi le moyen le plus juste pour exprimer des émotions. Parler avec le corps, ça permet de voir ce qui se passe sur le moment présent et je trouve ça plus juste. On est un groupe de personnes très à l'écoute, toujours en train de se questionner. J'aime aussi cette richesse-là dans la compagnie. Dimitri, dans nos échanges et dans la pratique surtout, il me permet encore plus d'être moi. On s'encourage dans les possibles", conclut-elle.
Ne plus faire qu'un, ne pas faire semblant, les participants de l'atelier trouvent dans cette énergie communicative une façon d'affirmer leur place dans la société.