C’est l’histoire d’un vieux record qui tient toujours debout. Le 13 mars 1994 aux Championnats d’Europe, Jean-Charles Gicquel met le feu au Palais Omnisports de Bercy en franchissant 2m35 à la hauteur. Trente ans après, son record de France tient toujours. Retour sur un exploit monumental avec un amoureux de l’apesanteur.
C'est un incroyable moment de sport et de télévision. 13 mars 1994, Championnats d’Europe d'athlétisme en salle à Paris. Les concours se succèdent et puis le temps va s'arrêter.
Encouragé par une foule en ébullition, Jean Charles Gicquel revient sur le sautoir. C'est son 2e essai. Il marque un temps d’arrêt, se concentre, et s’élance… Avant de franchir une barre à 2m 35. Bercy explose. Aux commentaires pour Antenne 2, Patrick Montel exulte : "l'homme de Locminé vient de réaliser un exploit extraordinaire".
Si ce bond monumental va rester insuffisant pour rivaliser avec les 2m37 du Britannique Dalton Grant, Gicquel décroche malgré tout une belle médaille d’argent de vice-champion d’Europe.
C’est sa plus grosse saison, il a 27 ans, il est au sommet de son art. Ce qu’il ne sait pas encore, c’est que sa performance magistrale vient de signer un long bail avec les annales du sport français.
30 ans après, le record tient toujours. Aucun tricolore n’est allé aussi haut.
"2m 35, c’est 20 ans de travail"
"Ce jour-là, raconte Gicquel, je me sentais prêt, comme soulevé par l’ambiance, par l’enjeu. Mais cette barre à 2m35, c’était surtout le fruit d’un long travail. Non pas sur une année, mais sur toute une carrière, depuis le début."
Quand on est athlète, longtemps on fait tourner sa sauce, au début elle ne prend pas, et plus ça va, plus ça descend dans l’entonnoir. Les vapeurs inutiles finissent par s’envoler et, tout au bout, il reste l’essence de l’énergie, explosive. Il reste l’essentiel. C’est ce qu'il s’est passé ce jour-là
Jean-Charles Gicquel
"Le muret dans le jardin" et "la quête de l’apesanteur"
Gicquel dit qu’il n’est pas devenu sauteur en hauteur. Mais qu’il était sauteur en hauteur. "J’ai fait d’autres sports, mais j’avais ce naturel pour sauter, relate-t-il. Bien sûr, au fil des ans, des entraînements, j’ai appris en technique. Mais dès mes premiers sauts, j’ai senti que j’avais le feeling pour faire ça. J’adorais cette notion de légèreté, d’élévation."
"Quand j’étais gamin, il y avait un petit muret de 50 cm chez mes parents près de la maison, se rappelle-t-il. Je m’amusais, je courais, je sautais, et je me faisais voler comme ça, jusqu’à retomber. Et j’avais cette sensation de planer, de m’élever, c’était magique".
"Après quand on monte la barre, on n’y arrive pas tous les jours. Parfois on a l’impression d’avoir des chaussures en plomb, mais j’ai toujours cru qu’on pouvait s’approcher de cette sensation d’apesanteur avec le travail" ajoute l'athlète.
Après les sauts dans le jardin de ses parents, Gicquel n’a pas mis longtemps à s‘essayer au saut en hauteur pour de vrai. En classe de 3e, l’adolescent de Locminé franchit 1m 97, record de France minimes. Le début d’une incroyable carrière qui lui fera décrocher 8 titres de champion de France.
Pourquoi ce record tient-il toujours debout ?
En juillet 1994, quatre mois après ses 2m35 en salle à Bercy, Gicquel battra aussi un autre record de France, en plein air cette fois, avec 2m 33. Ce record-là finira par être battu par Mickael Hanany en 2014, mais celui de Bercy n'a donc pas pris une ride.
"Cette longévité, quand on m'en parle, cela me fait bien évidemment plaisir, je suis fier de ce record, souligne-t-il, parce que j'y ai mis toutes mes tripes, et que j'ai passé tellement de temps sur les sautoirs, mais je n'y pense pas tous les matins, loin de là."
"Et ce n’est pas une exception dans l’athlétisme français, relève Gicquel. Il y a par exemple le record de Pascal Lefevre au javelot (82m 56 en 1989). Pour battre un record, il faut toujours un peu de chance, passer entre les gouttes, ne pas être blessé, etc".
"Les 2m35 en salle, Hanany aurait peut-être pu les dépasser, mais il s’entraînait aux USA, et il ne s’est peut-être pas mis en condition pour le faire, observe Jean-Charles Gicquel. Et puis au fil des ans, il y a peut-être eu aussi moins de jeunes de très haut niveau à fréquenter les sautoirs".
Le saut en hauteur, c’était avant tout un sport d’école. Aujourd’hui, l’athlétisme, on en fait moins qu’avant. Et donc on révèle moins de talents. Quand au lycée, il y a de très très bons sportifs, bien souvent ils s’orientent vers des sports où l’on peut vivre, des sports co par exemple. Le saut en hauteur, c’est un sport de pauvre, une discipline qui peut paraître anecdotique
Jean-Charles Gicquel
"Alors les jeunes, avec des qualités spécifiques, qui comprennent la technique, se sont faits moins nombreux, poursuit l'ancien champion. Et c’est peut-être aussi pour cela que le record de 94 tient toujours."
Porteur de flamme pour Paris 2024....
"L'homme de Locminé" a mis un terme çà sa carrière en 2000. Sans avoir pu participer aux Jeux olympiques. "Ce n’est jamais bien tombé, regrette-t-il en souriant. En 94, au mieux de ma forme, il n’y avait pas de JO. Et sinon, à chaque fois, je me suis retrouvé blessé."
Début juin, lot de consolation, Gicquel aura le privilège d’être un porteur de flamme, à Rennes, là où il travaille et donne toujours un peu de son temps comme entraîneur du Stade Rennais Athlétisme. "Je suis très heureux d’avoir été choisi, parmi les ambassadeurs. Les valeurs olympiques me tiennent à cœur."
... Et peut-être ses deux filles aux JO
Ensuite viendra l'été, et le toujours recordman de France aura sans doute l'occasion d’aller faire un saut à Paris, en tribunes, pour voir, pourquoi pas, concourir ses deux filles.
Dans la famille Gicquel, les enfants ont emboîté le pas. Après Clément, vice champion de France en 2017, Solène a décroché fin février son 6e titre de championne de France de saut en hauteur, et Lucille est l’une des pièces maîtresses de l’Equipe de France de volley, qualifiée pour Paris.
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Si Solène décroche sa qualification, les deux filles pourraient donc bien se retrouver aux JO. Pour Jean-Charles, ce serait "la cerise sur le gâteau".