Cette thérapie, testée au CHU de Rennes, est présentée comme révolutionnaire, notamment pour soigner certains cancers du sang incurables. Un premier patient atteint d'un lymphome malin vient de l'expérimenter.
Pour ce patient atteint d'un lymphome malin (cancer du système lymphatique, qui touche 15.000 nouvelles personnes chaque année et 5ème cause de cancer en France), c'est l'un des derniers espoirs de guérison. Jusque là, les thérapies classiques, telles que la chimiothérapie, n'ont pas obtenu les effets escomptés.
Le 23 août dernier, le service d'hématologie clinique adulte du CHU de Rennes lui a donc fait une injection de CAR T-Cells, une technique thérapeutique innovante et présentée comme très prometteuse par la communauté médicale internationale.
En France, seuls trois établissements (le CHU de Rennes, l'hôpital Saint-Louis à Paris et le CHU de Bordeaux) participent à cet essai clinique coordonné par Rennes.
Éduquer les globules blancs
La thérapie par cellules CAR (Chimeric antigen Receptor) T-Cells fait partie de l'arsenal des immunothérapies, ces stratégies qui consistent à miser sur nos propres défenses immunitaires pour combattre les tumeurs.
Dans le cas précis, des globules blancs, les lymphocytes T du patient, qui produisent des anticorps, sont d'abord prélevés. Ces lymphocytes T sont ensuite modifiés afin qu'ils reconnaissent et s'attaquent aux cellules cancéreuses. Cette solution, ainsi obtenue, est ensuite réinjectée au patient.
Concernant l'essai clinique mené à Rennes et qui a nécessité deux années de travaux, "le traitement consiste à modifier les lymphocytes T pour qu'ils détruisent les cellules cancéreuses, selon un processus extrêmement sophistiqué, raconte le professeur Roch Houot, hématologue au CHU de Rennes et coordonnateur national de l'essai clinique. Les cellules de notre patient ont été prélevées à l'Établissement Français du Sang de Bretagne en juillet dernier et envoyées dans un laboratoire aux États-Unis où elles ont été génétiquement modifiées: les lymphocytes T ont été équipés d'un récepteur capable de reconnaître et de tuer les cellules cancéreuses de notre patient. Cette poche d'à peine 70 ml contenant les lymphocytes génétiquement modifiés a été réinjectée au patient le 23 août 2018. En se multipliant dans l'organisme, les cellules peuvent combattre les cellules malignes."
Des médicaments vivants
Ces médicaments présentent la particularité d'être des "médicaments vivants". Cela leur confère plusieurs avantages:- ces cellules vivantes sont capables de se multiplier in vivo, autrement dit à l'intérieur même du patient; potentiellement jusqu'à 10.000 fois plus que le nombre de cellules injectées;
- leur capacité de "mémoire" leur permet de persister pendant des mois voire des années, assurant ainsi une veille sur le système immunitaire pour mieux prévenir une éventuelle rechute.
Des effets secondaires non négligeables
Toutefois, ce médicament "sur mesure" ne concerne aujourd'hui qu'une poignée de patients en France et présente encore des limites.
D'abord, des effets secondaires sévères ont été rapportés: "forte fièvre, une chute de tension artérielle, une gêne respiratoire et/ou d'autres défaillances viscérales. Des effets secondaires neurologiques sont également possibles: une confusion pouvant aller jusqu'au coma ou d'autres manifestations (troubles de l'élocution, convulsions, déficits moteurs,...)". Des effets "généralement réversibles sans séquelle, précise le CHU de Rennes dans un communiqué, [mais] qui peuvent nécessiter une prise en charge en réanimation."
Des CAR T-Cells modifiées en France en 2019 ?
Son coût reste très élevé: de 320.000 à 408.000 euros aux États-Unis, où les lymphocytes T sont pour l'instant modifiés. Le prix du traitement n'ayant pas encore été fixé en France, les patients traités peuvent en bénéficier, pour l'heure, soit dans le cadre d'essais cliniques comme à Rennes soit dans le cadre d'une autorisation temporaire d'utilisation.
Le 28 août dernier, les autorités sanitaires ont accordé à deux laboratoires une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour les Car T-Cells.
"Pour le moment, les laboratoires, avec lesquels nous travaillons se situent tous aux Etats-Unis, précise le professeur Roch Houot, mais plusieurs d'entre-eux prévoient de s'implanter en Europe, notamment en Allemagne et en France."
Fin août, le Parisien annonçait que l'hôpital parisien Saint-Louis (AP-HP) lancera début 2019 sa propre plateforme ultra-moderne de production de cellules modifiées. Il disposera ainsi de Car T-Cells "publics".
La question du financement pour ce mode de traitement se pose donc déjà en France.
Aux Etats-Unis, un marché juteux pour les laboratoires
Les perspectives ne sont pas seulement extraordinaires sur le plan médical. Cette nouvelle technique thérapeutique s'avère tout aussi prometteuse sur le plan financier. Certains laboratoires l'ont flairé. Le laboratoire américain Kite-Gilead, qui développe les CAR T-Cells utilisées dans le cadre de cet essai, en est la parfaite illustration.En août 2017, Gilead, laboratoire californien fondé par un jeune médecin de 29 ans, a racheté un petit confrère, Kite Pharma, pour la modique somme de 10 milliards d'euros. L'opération était alors rapportée dans La Tribune et dans Les Echos.
Avec un tout petit chiffre d'affaires, sans client ou presque, Kite Pharma venait de déposer auprès de l'autorité sanitaire américaine une demande d'autorisation de mise sur le marché pour une thérapie cellulaire émergente contre le cancer appelée.... "CAR-T".