"Comment sauver des vies si on a envie de mettre fin à la sienne ?" Au CHU de Rennes, 14 membres du personnel dénoncent des comportements abusifs

Deux chefs de service en neurochirurgie du CHU de Rennes sont visés par une enquête pour harcèlement moral et sexuel sur 14 personnes. Pour la première fois, les victimes témoignent à visage découvert dans une enquête de Paris Match, publiée le 5 janvier 2024.

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"Ce sont des témoignages forts et surtout courageux. Ces médecins racontent comment leur cauchemar quotidien et leur propre mise en danger aboutissent à la mise en danger des patients." Anne Jouan, journaliste pour Paris Match, était l'invitée de Dimitri Pavlenko sur Europe 1 le 5 janvier 2024. La journaliste revient sur son enquête publiée ce même jour, où elle retrace les révélations du personnel du CHU de Rennes. 

Lire : Au CHU de Rennes, deux médecins visés par une enquête pour harcèlement moral et sexuel

Deux professeurs de l'établissement sont mis en cause pour harcèlement moral et sexuel. Les victimes, elles, sont nombreuses. Secrétaires, internes, infirmières, chirurgiens, aides soignantes...

Au total, ils sont quatorze à témoigner à visage découvert. Ensemble, ils dénoncent ces comportements abusifs, qui selon eux, ont un impact considérable sur la prise en charge des patients. Dimitri Pavlenko interroge : "Comment sauver des vies si on a soi-même envie de mettre fin à la sienne ?"

Des conditions déplorables

L'enquête de Paris Match met en lumière plusieurs exemples concrets où la santé des patients a été mise en danger. Alors qu'il s'apprêtait à anesthésier un enfant au bloc opératoire, le professeur Éric Wodey venait quelques minutes plus tôt de subir les invectives du professeur Corniola, l'un des deux médecins mis en cause. Il explique auprès d'Anne Jouan à quel point il est dangereux d'assigner une anesthésie à un enfant, et dénonce avoir été obligé à le faire "dans des conditions rocambolesques".

Même chose pour le professeur Laurent Riffaud. Dans l'enquête, il raconte qu'il a dû opérer un enfant de cinq ans seul, sans aide opératoire, toujours à cause de ces conditions managériales consternantes. Au cours de l'opération, l'enfant se serait mis à saigner. Le professeur a eu, par chance, le soutien d'une infirmière aguerrie qui était disponible à ce moment-là. "À chaque fois, ce sont des choses sur le fil du rasoir", déplore Anne Jouan.

Le 18 octobre 2023, l’ISNI, l’intersyndicale nationale des internes, a déposé une plainte pour des faits de harcèlement moral et sexuel par personne abusant de son autorité, à l’encontre des professeurs Xavier Morandi et Marco Corniola, responsables de service en neurochirurgie. Une enquête a été ouverte par le procureur de Rennes.

14 victimes dont des internes

"Contrairement à ce qui a pu être dit, il ne s’agit pas de 14 internes mais de 14 victimes dont des internes " tient à préciser d’emblée Camille Shadili-Freslon, représentante locale de l’ISNI. Celle qui est aussi représentante du bureau Internat de Rennes répond à nos questions avec précaution.

Le dossier est sensible et notre interlocutrice rappelle que le but de l’ISNI est avant tout de protéger les victimes. Des victimes connues et inconnues, car l’enquête pourrait bien délier les langues et révéler l’existence d’autres situations.

Les faits, qui font désormais l’objet d’une enquête, se seraient déroulés il y a plusieurs années mais ce n’est qu’aujourd’hui qu’ils éclatent au grand jour. "Il a fallu beaucoup de courage aux victimes pour oser parler" précise Camille Shadili-Freslon.

Des signalements déjà effectués

Le bureau local d’internat du CHU de Rennes avait effectué un signalement auprès de la direction de l’hôpital en janvier 2023, alors qu’une enquête administrative interne était en cours depuis septembre 2022.

Mais il faudra attendre le 30 mars 2023 pour que la justice soit saisie par l’hôpital de Rennes. C’est à cette date que le procureur de la République dit avoir été destinataire d’un signalement, effectué par la direction du CHU de Rennes, à l’encontre d’un professeur pour "des faits susceptibles de caractériser les délits de harcèlement moral au travail et harcèlement sexuel sur 6 internes de son service".

Il précise, par ailleurs, que la direction de l’hôpital rennais a apporté des compléments d’information à son signalement, le 27 octobre 2023, soit quelques jours après la plainte déposée par le syndicat des internes.

Des dysfonctionnements connus de tous

L'affaire a été révélée le 8 novembre 2023 par nos confrères du Télégramme, mais les dysfonctionnements et les conflits interpersonnels au sein du service de neurochirurgie étaient connus de tous à l’hôpital depuis bien longtemps.

Le 2 novembre 2023, dans un communiqué publié sur son site, la société française de neurochirurgie explique en effet "qu’une proposition d’aide avait déjà été formulée par le CNU et le Collège de longue date (premières interactions en Octobre 2022). Un audit externe par des personnalités neutres et incontestées avait en effet été proposé (Janvier 2023) mais refusé par la direction générale du CHU de Rennes".

Selon nos confrères de Ouest-France une quinzaine de médecins auraient ainsi quitté le service ces dernières années.

Des examens et opérations déprogrammés

Les deux chefs de service mis en cause se sont mis en retrait de leur fonction de façon conservatoire. Le service, souffrant d’un manque de personnel depuis plusieurs années, se retrouve dans l’impossibilité d’assurer l’ensemble des examens et opérations programmés.

Dans un communiqué de presse, daté du 7 novembre, le CHU indique que "malgré le plan de soutien mis en place par la gouvernance du CHU, le service a été confronté à des départs successifs de plusieurs praticiens expérimentés seniors (auxquels se sont ajoutés deux nouveaux départs au 1er novembre dernier), insuffisamment compensés par de nouveaux recrutements". 

La direction hospitalière explique que "ces départs sont notamment liés à une charge de travail conséquente en permanence des soins comme en activité programmée, dans un contexte de conflits interpersonnels entre médecins ayant donné lieu à différentes plaintes entre praticiens."

En conséquence, la direction explique devoir réduire l'activité du service. Un plan de réduction temporaire de l'activité a ainsi été mis en place dès le 10 octobre 2023. "Il a pour objectif de recentrer l’activité du service de neurochirurgie sur les interventions non transférables relevant de l’urgence et de l’hyper-spécialité" détaille le communiqué de presse.

L'hôpital Ponchaillou explique avoir pris des contacts avec des établissements du Grand Ouest afin que ceux-ci prennent en charge une partie des patients.

L'enquête a été confiée à la sûreté départementale de Rennes. Elle est également saisie d’une plainte, déposée par l'un des professeurs, "pour dénonciation calomnieuse, diffamation et harcèlement moral" à l'encontre d'une des plaignantes.

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