La nourriture de l'esprit est-elle prioritaire ? Bruno Lemaire, le ministre de l'Économie, a sérieusement envisagé la question ce matin sur France Inter. Il s'est dit favorable au placement des librairies comme commerces de première nécessité. "Fausse bonne idée !" répondent les libraires.
Comme de nombreux autres commerces, les librairies ont fermé boutique. Sur France Inter ce matin, Bruno Lemaire, le ministre de l'Economie s'est dit favorable à leur réouverture. "Les librairies sont à mes yeux un point important parce que c'est un lieu culturel, et que les gens ont besoin aujourd'hui de pouvoir avoir accès aux livres" a-t-il expliqué, tout en ajoutant que "des conditions sanitaires strictes devraient être appliquées".
Librairies et bibliothèques sont toutes fermées depuis le début du confinement. Impossible d'aller acheter ou même emprunter un livre. Seules quelques plateformes comme Amazon ou la Fnac livrent encore des commandes passées sur internet. Nourrir les esprits, c'est pas si bête, mais seulement voilà : les libraires et les maisons d'édition n'avaient rien demandé, et renvoient le ministre dans ses 22 mètres.
Double langage
Régis Lemersier est responsable promotion et relation libraires pour Locus Solus, une maison d'édition de Châteaulin employant cinq personnes. Tout le monde est en télétravail et se relaie à tour de rôle, et un par un, pour passer au bureau réceptionner une livraison ou assurer une expédition. Aujourd'hui c'est son tour de présence au bureau. "Bien sûr, on aimerait tous pouvoir travailler, mais la chaîne du livre est bientôt à l'arrêt. Plus d'imprimeurs, plus de logistique, plus de diffusion. Notre logisticien nous a annoncé qu'il cessait son activité à la fin du mois. Je sais qu'ils livrent encore la grande distribution, mais là aussi ça va s'arrêter."
Les nouveautés de la maison d'édition ne sortiront pas, les réassorts des librairies ne se feront pas, tout est reporté, alors, réouvrir les librairies... "On a quand même l'impression d'un double langage. D'un côté le gouvernement clame partout qu'il faut rester chez soi, et de l'autre Bruno Lemaire qui dit qu'il faut continuer à avancer, aller de l'avant, faire tourner l'économie, et aller au travail. Il n'y a que la grande distribution qui continue de tourner."
"Le confinement, c'est le confinement"
Anne Kernais tient une librairie jeunesse à Brest, "Comme les grands". Elle travaille seule, elle n'aurait pas en théorie à se soucier d'exposer son personnel, mais elle est vent debout contre l'idée d'ouvrir sa librairie. "Je n'ai pas vu ma famille depuis cinq jours, je respecte strictement le confinement, alors ce n'est pas pour aller mettre ma clientèle en danger quand même !"
Elle a peur pour son commerce, ouvert il y a deux ans. "L'anniversaire c'est le 31 mars prochain, et bien tant pis, on fêtera les trois ans. Plus on restera chez soi, plus vite ça se terminera". Du simple bon sens selon elle, ajoutant que "beaucoup d'éditeurs mettent du contenu en ligne, comme l'Ecole des Loisirs ou Flammarion, ou même des auteurs comme Vincent Cuvellier."
Veille active
La librairie Le Failler à Rennes emploie entre trente et quarante salariés, selon les périodes de l'année. Ils sont actuellement en activité partielle, comme Caroline Le Gleut, la responsable communication. "Réouvrir? Ce n'est vraiment pas ce que nous souhaitons, car nous pensons d'abord à la sécurité de notre personnel et de nos clients. Une librairie, c'est fait pour flâner, prendre le temps, discuter avec les libraires.... Tout cela, ce n'est pas possible aujourd'hui."
Et puis, ce n'est pas comme s'il ne se passait plus rien. "Nos libraires sont en veille active depuis chez eux : ils préparent les sorties du printemps, les rencontres possibles avec les auteurs, les dédicaces, les salons à venir... Quand, on ne sait pas, mais c'est important pour nous de continuer de regarder vers le futur."
Qui plus est, des solutions existent : "Si on veut soutenir les auteurs, il est tout à fait possible de les acheter au format numérique, directement sur les pages internet des éditeurs", lire entre les lignes... "plutôt que sur Amazon".