Personnes âgées, sans domicile fixe, victimes d'addiction et tout simplement clients du quartier. La pharmacie Pascal, tout le monde y passe. "Dans mon officine, je connais presque tous mes clients !" remarque d'ailleurs Claire Pascal, qui tient depuis 20 ans cette entreprise avant tout familiale.
Installée dans le centre-ville de Rennes, Claire Pascal est connue comme le loup blanc. Silhouette fine, longs cheveux bruns, ils sont nombreux à la reconnaître et à la saluer dans la rue. Car dans sa pharmacie, il n'est pas rare qu'elle tutoie ses clients. "Ici, c'est une pharmacie familiale. Je suis épaulée par quatre assistantes. C'est une petite entreprise. On reçoit environ 180 clients par jour, quand les grandes pharmacies en reçoivent mille au quotidien," explique-t-elle.
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Invitée aux 101 ans d'une cliente
Pas forcément une vocation au départ, raconte Claire. Issue d'une famille de cinq sœurs, la maman élève seule les enfants tout en tenant une pharmacie à Vannes. Désireuse que ses filles soient indépendantes, elle souhaite que Claire reprenne l'officine. C'est un peu pour lui faire plaisir qu'elle suivra finalement cette voie. Diplôme en poche, elle travaille comme assistante dans plusieurs pharmacies à Paris, puis revient en Bretagne pour se rapprocher de sa famille et finit par acheter un fonds de commerce à Rennes. Elle va vite le personnaliser pour le confort de ses clients.
C'est un peu rococo ici. J'ai installé des fauteuils en velours devant le comptoir. Je veux que les clients puissent s'asseoir et se sentent bien.
Claire PascalPharmacienne
Bien sûr, il y a la délivrance des médicaments, la préparation, la bobologie, la gestion des stocks.
Mais pour Claire, l'essentiel est ailleurs : ". On est face à des personnes fragilisées par la maladie ou par des accidents de la vie. Ils viennent avec leur ordonnance mais les clients nous racontent aussi des choses qu'ils ne confient pas à d'autres. Parfois, c'est une personne âgée qui vient quotidiennement, parfois un SDF qui vient chercher du réconfort, ma porte est ouverte à chacun."
Elle se souvient d'une mamie qui lui récitait des poèmes. Pour ses 101 ans, elle a été invitée à son anniversaire. Quoi de mieux comme récompense ?
Engagée auprès des personnes victimes d'addiction
Il y a quelques années, Claire Pascal a fait une formation pour les personnes dépendantes aux opiacés. Depuis, elle met un point d'honneur à accompagner cette population.
Elle travaille avec l'Envol, un centre de soins d'accompagnement et de prévention en addictologie, avec le réseau Aides. La délivrance de médicaments pour ces patients est très encadrée.
"Certains doivent passer chez nous tous les jours, ce sont parfois des personnes à la rue. Ils ont une fragilité à vie, on doit les accompagner. Il faut être ferme mais on doit toujours faire en sorte de bien les recevoir. Certaines pharmacies préfèrent ne pas avoir affaire à ce type de population. Addicts aux opiacés, à l'alcool, aux jeux d'argent ou encore aux écrans, on doit pouvoir leur accorder du temps. On voit aussi des étudiants qui n'ont pas les moyens de se soigner !"
Faillites, fermetures
"Certains confrères suivent des formations pour vendre plus, gèrent des stocks, s'appuient sur les promotions, mettent en avant des gammes de parapharmacie à prix cassé" : Claire sait qu'elle ne peut pas avoir la même logique de gestion que les groupements de pharmacies qui ont fait leur apparition dans le secteur. Fini le temps où les pharmacies étaient une rente. On compte une pharmacie pour 2 500 habitants. Et la concurrence est rude.
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Dans les centres-villes, les officines sont très rapprochées, moins rentables, certains sont prêts à vendre. Ce sont parfois des groupements qui rachètent et peuvent déplacer le fonds avec l'accord du Ministère de la Santé pour s'implanter dans les centres commerciaux.
Avec les difficultés de stationnement, les enseignes en ville sont moins recherchées. Certains passent au crible la sociologie du quartier pour estimer la clientèle. En campagne aussi, s'il n'y a plus de médecin, le pharmacien a du mal à continuer. Certains fonds de commerce sont vendus à l'euro symbolique. Il y a désormais des faillites.
À 64 ans, Claire pense à raccrocher mais dit vouloir continuer à s'investir dans le soin :"Pourquoi pas rendre service à la Croix-Rouge, faire des distributions pour les SDF ou s'investir dans des associations ?" Mais pour ses clients, elle restera toujours "Mme Pascal".