Ils dénoncent la pénibilité de leur travail et une rémunération qui n'a pas été revalorisée depuis 15 ans. Comme ses collègues, Soaz Le Bail ira manifester ce 19 mars 2024, à Quimper. Elle témoigne au nom d'une profession épuisée et pourtant essentielle.
Le matin se lève à peine que Soaz Le Bail est déjà au volant de sa voiture. "Il est 6h49, allez, c'est parti". Sa blouse d'infirmière libérale enfilée, elle entame la tournée de ses patients dans le Cap-Sizun. Premier arrêt chez Eugène, à Plouhinec, pour une prise de sang. Le tutoiement est de rigueur. "Je te mets un café à chauffer, Eugène, et je reviendrai tout à l'heure pour ta toilette" annonce l'infirmière. "D'accord, cocotte" répond l'intéressé.
Le café, "c'est le petit plus" sourit Soaz qui est ici comme chez elle, ou presque. "Au fil du temps, des liens forts se nouent" confie celle qui, 7 jours sur 7, à raison d'une soixantaine d'heures de travail par semaine, sillonne ce coin du Finistère, "pour une rémunération bien en deçà de ce qu'elle devrait être".
Manque de reconnaissance
Comme d'autres collègues, elle sera dans la rue, ce 19 mars 2024 à Quimper, pour réclamer "une revalorisation des actes infirmiers" qui n'ont pas bougé d'un centime depuis 2009. "Pour la prise de sang que je viens de faire, indique Soaz, je vais toucher 2,30 euros net, après déductions des charges. C'est trop peu et cela ne rattrape pas l'inflation que nous subissons comme tout le monde".
Nous aussi nous sommes un maillon essentiel du système de soins français
Soaz Le BailInfirmière libérale
Le collectif des infirmiers libéraux en colère, qu'elle a rejoint, rappelle que "d'ici 5 ans, plus de la moitié des cabinets auront fermé" en France. Outre la faible indemnisation, la pénibilité "non reconnue puisque l'âge de la retraite est fixé à 67 ans" et l'épuisement professionnel sont des arguments que cette profession tente de faire entendre. "Nous sommes là toute l'année, dit Soaz, cela permet à des personnes très dépendantes d'être soignées à leur domicile. Nous aussi nous sommes un maillon essentiel du système de soins français. Il y a un manque de reconnaissance de ce que nous faisons. La prime Ségur ? Les libéraux en sont également les oubliés et pourtant, pendant la crise du Covid, nous étions présents, sur le terrain".
Intimité
Lorsque Soaz arrive chez Anne, cette dernière est encore alitée. L'infirmière ouvre les volets, lui demande si elle a bien dormi, parle de la pluie et du beau temps. "Je passe trois fois par jour. Le matin pour la lever, lui faire sa piqûre d'insuline et la laver, détaille-t-elle. Le midi, c'est plus court et le soir, en plus de son injection, je la prépare pour la nuit. Je vais percevoir 28,70 euros brut pour cela". Un forfait journalier qui lui non plus n'a pas été revalorisé.
Le soin, c'est comme une valse, ça se danse à deux
Soaz Le BailInfirmière libérale
Sans cette présence infirmière quotidienne, Anne ne vivrait plus dans sa maison. "Elle me fait mes soins car je ne peux pas les faire moi-même, témoigne-t-elle. Et puis, elle me remonte le moral quand ça ne va pas".
Ce relationnel, Soaz Le Bail met un point d'honneur à le préserver avec tous ses patients. Elle use d'ailleurs de petits noms affectueux pour chacun d'eux. Il n'est pas rare qu'elle ponctue ses phrases d'un "ma bichette" ou d'un "mon petit chat". Elle est une visiteuse rassurante, à l'écoute, qui prend soin au sens large du terme. "Être en forme, de bonne humeur, en dépit de ce que l'on vit dans sa vie personnelle, c'est important, note-t-elle. On ne va pas chez un malade pour faire la tête ou être désagréable. Le soin, c'est comme une valse, ça se danse à deux et puis, on partage tellement de choses avec eux, on entre dans leur intimité".
L'infirmière du Cap-Sizun enquille les kilomètres - 100 à 150 par jour - et la fatigue d'un métier qu'elle dit aimer, malgré tout. "Tant que j'aurai cette envie d'aller au boulot, pas de souci, assure-t-elle. Mais est-ce que mon corps va suivre ? Ça, c'est une autre histoire".
(Avec Claire Louet)