La journaliste et documentariste Anne Gouérou s'est intéressée à l'inégalité entre sexes, dans tous les domaines et dès le plus jeune âge. Elle en a fait une série de courts-métrages diffusés tous les dimanches dans Bali Breizh sur France 3 Bretagne. Le premier volet nous emmène dans une école de Quimper où des professeurs ont décidé de faire bouger les lignes.
Anne Gouérou est journaliste indépendante. Elle réalise des documentaires pour la télévision et le cinéma. Elle vient de produire une série de 7 courts métrages, intitulée Reizh Direizh. Cette série de films s'intéresse à l'(in)égalité filles garçons, depuis le plus jeune âge.
Une inégalité "vieille comme le monde"
Comment les filles occupent-elles les espaces publics ? Des cours de récréation dominées par le ballon rond jusqu'aux parcours d’orientation stéréotypés des jeunes ; de l’impensé des femmes dans l'urbanisme à leur place rikiki sur les scènes artistiques ou dans les arènes sportives… cette série
documentaire révèle certains fondements, aussi invisibilisés que puissants, de situations vieilles comme le monde.
Mais ces courts métrages s’attachent aussi à montrer des initiatives égalitaires novatrices.
Chaque semaine dans Bali Breizh sur France 3 Bretagne
Ces petits films sont diffusés chaque semaine depuis le 14 janvier dans l'émission en langue bretonne Bali Breizh sur France 3 Bretagne.
Nous les publierons également chaque semaine ici, sur notre site, ou vous trouverez aussi les explications de l'auteure, sur chacun de ces courts-métrages.
Le premier épisode s'intéresse à l'école, où de nombreuses initiatives sont prises pour réajuster l'équilibre fille garçon, dès le plus jeune âge.
Retrouvez le premier épisode de Reizh Direizh :
Le mot de l'auteure :
"On grandit avec ses enfants et… on replonge en enfance en devenant grands-parents ! Quand Kiara est entrée dans ma vie, j'ai recommencé avec plaisir à arpenter tous ces rayons de magasins que j'avais désertés depuis presque trente ans. Et progressivement, j'ai découvert que la ségrégation entre l'univers des filles et des garçons n'avaient fait que grandir depuis les années 90. Une impression qui ne collait pourtant pas à l'ambiance plutôt Metoo du moment. N'y aurait-il pas là un sujet à creuser ?!"
Du rose partout
"Le fait le plus évident concernait la place prise par la couleur rose, devenue omniprésente sur la quasi-totalité des gammes de produits destinées aux filles, de la robe aux chaussures, du cartable aux vélos. Si, au début des années 90, le rose et le bleu séparaient déjà les sexes en deux mondes relativement étanches, nombre d'accessoires échappaient encore à la ségrégation avec des produits conçus comme mixtes, qui pouvaient passer du frère à la sœur et vice-versa."
Fini les produits unisexes
" Les Légos comme les articles de sport – rollers, vélos, etc – appartenaient davantage à cette catégorie. Mais, à l'ère du marketing, l'industrie a compris tout l'intérêt de ces articles rose mauve-paillette qui n'iront qu'à votre fille aînée. Quelle aubaine, deux produits vendus au lieu d'un seul, puisque personne n'osera affubler le petit frère de ces couleurs stéréotypées. C'est ainsi que les produits unisexes des années 1960-80 ont progressivement disparu des rayons entre 1990 et l'an 2000. Le hic, c'est que cette ségrégation des vêtements et des jeux n'est pas qu'une question de look : de fait, elle attribue des rôles bien distincts aux garçons et aux filles, et ce, dès le plus jeune âge. Les premiers sont invités à investir le monde à travers l'exploration, le combat, la compétition et la domination. Tandis que les secondes sont invitées en quelque sorte à porter des œillères, en limitant leurs univers à ceux de la maison, du soin, du rêve aussi (ah, le fameux prince charmant !), le tout étant associé à la douceur et à la docilité."
La cour d'école, un ré-équilibre des genres
"Malheureusement non. Grâce aux enquêtes de la sociologue Edith Maruejouls, on sait que les cours de récréation sont parmi les premiers lieux publics qui « apprennent » aux enfants à se conformer à leur genre, en offrant naturellement la plus belle part aux garçons. Foot oblige, ils occupent toujours entre 70 et 80% de la surface des cours. Mais cette situation est-elle inéluctable ? Non, belle surprise, les villes sont de plus en plus nombreuses à lancer la rénovation de leurs cours de récréation, en y intégrant une dimension inclusive vers plus d'égalité filles-garçons. Pour être honnête, il faut reconnaître, qu'ici, les filles bénéficient d'un bel effet d'aubaine. Car l'objectif premier de ces rénovations est avant tout la végétalisation, pour traiter le problème des îlots de chaleur créés par l'omniprésent bitume."
Immersion dans l'école Kerjestin à Quimper
"Peu importe, l'occasion fait le larron. C'est ainsi que nos caméras se sont posées à Quimper dans le quartier populaire de Penhars, où la cour de l'école Kerjestin offre désormais aux enfants de multiples îlots arborés, en lieu et place du terrain de foot central. Et force est de constater que les effets sont immédiatement bénéfiques quand les enseignants constatent à la fois une mixité retrouvée et davantage de sérénité sur le temps de la récré. L'enquête me mène aussi du côté de Brest, où je découvre l'ambitieuse formationaction menée à l'école Diwan du Guelmeur. Accompagnée par une sociologue spécialiste du genre, Oriane Amalric, toute la communauté éducative, enseignante et non-enseignante, a été impliquée pour mesurer elle-même les inégalités filles gars du quotidien scolaire.
Dans cette école non-conformiste, la moitié du personnel enseignant est composée d'hommes. C'était la norme il y a 50 ans dans les écoles primaires, où l'on rencontrait 54 % de femmes enseignantes et 46 % d'hommes. Une quasi-parité – héritage des écoles non-mixtes - qu'il faut mettre en regard des déséquilibres actuels, qui se creusent chaque année un peu plus : aujourd'hui, on compte seulement 16 % d'hommes enseignants dans le primaire public et 8 % dans le privé. Mais ici, à Diwan Guelmeur, on croise même un jeune assistant maternel alors qu'ils ne représentent que 0,4 % parmi les effectifs nationaux. Et sur la cour, le ballon rond ne prend plus toute la place."
Stéréotypes et littérature enfantine
"De leur côté, les enseignantes de maternelle nous racontent leur incrédulité quand elles ont découvert la fréquence des stéréotypes qui pullulent dans la littérature enfantine. Sans ce travail sociologique, elles n'auraient jamais mis le doigt sur un fait saillant de l'inégalité : le temps de parole. Elles ont ainsi découvert que, dès quatre ans, les petits garçons commençaient à couper la parole aux filles. Ce qui se traduit à la cantine par un meilleur service, parce qu'ils savent mieux faire entendre leur voix ! C'est dire à quel point les petits apprennent très tôt à imiter les adultes. En effet, les études nous apprennent que les hommes prennent en moyenne deux fois et demie plus souvent la parole en public que les femmes, y compris sans y être invités. Alors, à l'école du Guetteur, c'est désormais un petit micro rouge qui distribue la parole parmi les maternelles. Là aussi, le résultat ne s'est pas fait attendre : mieux distribuée, la conversation s'est rééquilibrée, pas seulement pour les filles mais aussi pour tous ceux
qui osent moins, par difficulté d'expression ou par timidité. Ce sont tous les enfants qui
y gagnent. Balle au centre !"
Anne Gouérou
Retrouvez chaque semaine un épisode de Reizh Direizh dans Bali Breizh, à 9h55 sur France 3 Bretagne et en replay sur France.tv.