ENQUÊTE EXCLUSIVE. "On est là pour accompagner les gens, pas pour remplacer les impôts". Aux espaces France services, ces nouveaux relais de proximité des Finances publiques

Alors que les deux-tiers des trésoreries auront fermé d’ici au début de l’année 2023, les espaces France services sont présentés comme les nouveaux points d'accueil de proximité des impôts. Sur les questions de fiscalité pourtant, l’appui aux contribuables y paraît moins robuste.

"Donc là, je vous crée une adresse mail… Je vous noterai ce que j’ai fait sur un document", explique minutieusement Stéphanie Séguran-Leneveu. À l’espace France services (EFS) de Châteaugiron, au sud-est de Rennes, les yeux sombres de l’agente se plissent légèrement derrière des lunettes à monture épaisse.

Ses pupilles parcourent l’écran de l’ordinateur placé en face d’elle. Assis à ses côtés, l’air un peu désemparé, un retraité qu’elle aide à s’inscrire sur le site des Finances publiques. "Votre date de naissance Monsieur ? Et le prénom de Madame, c’est quoi ?" Depuis 2019 et la généralisation du dispositif FranceConnect, la création d’un compte impots.gouv est devenue quasiment indispensable. Il permet de déclarer ses impôts, mais aussi d’accéder aux services en ligne de la plupart des organismes nationaux.

À l’heure de la dématérialisation et du tout numérique, les espaces France services (anciennement maison France services) offrent un accompagnement aux démarches administratives. Ils constituent aussi les nouveaux points d’accueil physique de proximité de la direction générale des Finances publiques (DGFip). Ces agences doivent prendre la suite des trésoreries, dont les deux-tiers auront fermé d’ici à la fin de l’année. Quatorze sites qui assuraient le recouvrement des impôts sont concernés en Ille-et-Vilaine.

La DGFip justifie ces fermetures par la volonté de "simplifier le parcours des usagers" et de renforcer les services des impôts aux particuliers (SIP), auxquels sont transférées les compétences des trésoreries. L’objectif est désormais de renseigner les gens à distance, sans qu’ils ne se déplacent. Avec cette réorganisation, le territoire est donc plus densément couvert. Mais sur les questions fiscales, le soutien apporté semble moins complet et moins qualifié. Un contact humain demeure pourtant nécessaire, car les plus âgés, souvent en délicatesse face aux outils numériques, ont besoin d’être épaulés. 

Maintenir l’humain

Dans l’étroit couloir au sol bétonné, devant les bureaux de l’EFS de Guichen, au sud de Rennes, un usager aux cheveux blancs consulte les fascicules exposés sur un large présentoir écarlate. Les brochures expliquent la réforme de la taxe d’habitation ou les changements de fiscalité après un mariage, un Pacs, un divorce, une séparation ou un décès.

Pour la première fois, Jean-Yves s’apprête à déclarer ses revenus en ligne, afin d’éviter d’"être dans la fracture numérique". Quelques jours auparavant, ce retraité des télécoms a participé à un atelier pour se familiariser avec la démarche et avec le site des Finances publiques : "Je souhaiterais que, pour faire sa première déclaration sur Internet, on puisse venir ici, ça serait bien. Parce qu’on va faire des bêtises inévitablement, on va cliquer où il ne faut pas, on va faire fausse route." Il continue d’une voix rocailleuse : "J’ai beau lire le flyer, on a trop payé, on n’a pas assez payé, on veut changer le mode de paiement… Ça paraît simple comme ça, quand on lit. Mais quand on est devant l’écran, ce n’est plus pareil. C’est le côté angoissant quand on ne maîtrise pas quelque chose, soupire le septuagénaire en tapotant une sacoche noire contenant son matériel informatique. C’est un bel outil, c’est très bien qu’on s’y habitue chacun à sa vitesse. Mais il faut garder un côté humain, avec un relationnel."

"Les personnes âgées continuent à faire leur déclaration sur papier, donc ils aiment bien avoir quelqu’un qui leur indique la bonne case à cocher."

Stéphanie Séguran-Leneveu, responsable de l’espace France services de Châteaugiron.

La présence physique d’un interlocuteur reste importante pour un certain nombre d’usagers confirme Stéphanie Séguran-Leneveu, à Châteaugiron. L’agente prend soin d’imprimer quelques formulaires de déclaration de revenus. "Les personnes âgées continuent à faire leur déclaration sur papier, donc ils aiment bien avoir quelqu’un qui leur indique la bonne case à cocher."

À l’espace France services de Guichen, il n’y a pourtant pas que des seniors qui viennent frapper à la porte de la responsable, Laëtitia Leprince. Assise à son bureau, elle détaille : "Sur la thématique des impôts, on a tous les profils. On peut avoir des parents qui se disent : ‘‘Comment je fais pour mon enfant ? Est-ce que je le laisse rattaché au foyer fiscal ou est-ce que je le détache ?’’ Et puis on a aussi des gens qui sont plus éloignés, qui sont dans une situation plus précaire et qui ne font pas forcément leur déclaration d’impôts, qui sont un peu perdus par rapport à tous les papiers." 

Quand l’offre crée la demande

Pour répondre aux questionnements du public, les agents bénéficient de plusieurs outils. La plateforme Osmose leur permet d’échanger avec leurs collègues à l’échelle nationale. Pour les cas les plus urgents, le portail Administration + les met en contact avec le personnel des administrations partenaires. Surtout, ils sont en relation avec un référent du service des impôts des particuliers (SIP) le plus proche. Une mallette à la main et un costume bleu nuit sur les épaules, un de ces référents sort du bureau de Laëtitia Leprince : "C’est l’occasion de faire un point sur la campagne déclarative. J’essaie de revenir sur les problématiques qu’ils peuvent rencontrer, leur rappeler les consignes de la DRFip et rencontrer les agents que je ne connaissais pas", indique-t-il.

Pendant la campagne de déclaration, ces fonctionnaires des impôts organisent systématiquement une ou deux permanences dans les espaces France services. Ils y répondent aux questions des contribuables. En dehors de cette période, le dispositif prévoit qu’ils sont disponibles sur rendez-vous, à raison d’une demi-journée par semaine, pour renseigner les usagers. Cependant, faute de demande suffisante, ils ne se déplacent, en fait, que rarement.

À l’EFS de Combourg, à une trentaine de kilomètres au nord de Rennes, les agentes confirment n’enregistrer qu’assez peu de visites liées aux Finances publiques. Elles pensent pourtant qu’une présence plus régulière de leur personnel générerait davantage de sollicitations : "Ça fonctionnera si on a le partenaire sur place. Quand ils savent que le partenaire est dans nos locaux, les gens viennent." C’est ce qui se passe à Guichen. La trésorerie de la commune est fermée, elle aussi. Pas définitivement cette fois, mais parce que des travaux y sont réalisés jusqu’à l’automne 2022. Les employés du site se rendent à l’espace France services tous les mardis matin "pour accueillir différentes demandes et différents paiements, témoigne Laëtitia Leprince. Les gens sont habitués, ils ont gardé ce système de proximité qu’ils apprécient. Ça fonctionne bien, il y a toujours entre quinze et vingt personnes qui viennent chaque semaine".

"Les gens sont habitués, ils ont gardé ce système de proximité qu’ils apprécient. Ça fonctionne bien, il y a toujours entre quinze et vingt personnes qui viennent chaque semaine."

Laëtitia Leprince, responsable de l’espace France services de Guichen.

Dans les autres départements bretons, les représentants des SIP sont présents jusqu’à deux fois par mois. Ce n’est toutefois pas le cas en Ille-et-Vilaine, où la présence des impôts est moindre. "C’est parce qu’il n’y a pas de besoin avéré, justifie Hugues Bied-Charreton, le directeur régional des Finances publiques. Quand on fait des permanences, dans un grand nombre de cas, il y a peu de monde. Cinq ou six personnes qui viennent, c’est très peu sur une journée. On ne sent pas qu’il y a un désir violent de nous voir."

Il met en avant l’efficacité de l’accueil téléphonique et poursuit : "Avec le prélèvement à la source, l’essentiel des questions liées au recouvrement a disparu. Avec la déclaration automatique depuis l’an dernier, vous n’avez plus rien à faire. On vous demande simplement de la vérifier, et si vous ne le faites pas, on considère que vous êtes d’accord. Il y a aussi eu la suppression de la taxe d’habitation qui représentait une grosse partie de l’accueil. On est prêts à renforcer nos permanences. Notre objectif est d’être souples et de nous adapter à la demande. Mais l’impôt ne tracasse pas les gens au quotidien. L’usager ne s’intéresse à nous qu’une fois par an, au moment des campagnes d’impôt." 

Accompagner les gens, pas remplacer les impôts

En 2021, seules 5 % des demandes adressées aux espaces France services d’Ille-et-Vilaine concernaient des questions fiscales, selon les chiffres de la direction départementale des Finances publiques. Cela représente 2 400 contribuables sur les 24 EFS du département (ils devraient être une trentaine d’ici à la fin d’année). Mais ces requêtes se concentrent particulièrement à l’ouverture de la campagne de déclaration de l’impôt sur le revenu. Jusqu’à 80 % du total des sollicitations à partir du 7 avril, prévoyait, fin mars, Stéphanie Séguran-Leneveu à Châteaugiron. "En 2021, on avait encore la trésorerie, qui a fermé fin août. On sait que cette année ça va être costaud. Quand je vois le nombre d’appels l’année dernière... On en avait une dizaine par jour, donc là ça va être pire… Enfin pire... plus", sourit-elle.

Sur la semaine de formation qu’elle a suivie, la DGFip n’intervient qu’une demi-journée. Même si une préparation supplémentaire d’un jour est proposée avant l’ouverture de la période de déclaration, les agents ne deviennent pas des professionnels du fisc et ne peuvent pas s’y substituer. Ils sont d’ailleurs employés des mairies ou des intercommunalités, dans certains cas d’une association, pas des Finances publiques. "On est là pour accompagner les gens, pas pour remplacer les impôts. Si c’est une question classique, sur les pensions alimentaires et tout ça, je vais savoir où ça se met, mais déclarer les revenus des valeurs mobilières, je ne sais pas. Quand il s’agit d’une succession, il faut être fiscaliste", souligne Stéphanie Séguran-Leneveu, à Châteaugiron.

"Normalement, on peut créer une adresse mail, un mot de passe… Souvent, on va plus loin dans la démarche."

Une agente de l'espace France services de Combourg

L’accueil France services est ainsi dit "de premier niveau". Il est censé aider le public à remplir les formalités administratives et réorienter les usagers vers l’interlocuteur adéquat lorsque le sujet est complexe. À Combourg, les agentes affirment néanmoins devoir intervenir sur des demandes plus précises et exigeantes : "L’État transfère beaucoup de choses sur les EFS. On va au-delà du premier niveau. Normalement, on peut créer une adresse mail, un mot de passe… Souvent, on va plus loin dans la démarche. Il ne faut pas croire que les gens ne viennent que pour ouvrir un compte."

Parfois, ils espèrent procéder à un règlement : "Il y a des usagers qui arrivent pour payer une amende. Ça arrive que des gens se présentent en pensant que ce sont les impôts, raconte au téléphone un agent de l’espace France services de Locminé, dans le Morbihan. Le bâtiment à côté du nôtre, c’était une trésorerie, sauf qu’ils ont fermé leurs portes. Donc forcément, les gens se dirigent vers les voisins." Dans les EFS, s’acquitter de sa contribution est impossible. Jusqu’à trois cents euros, il faut plutôt se rendre chez un buraliste agréé par la DGFip. Il y en a plus de 250 en Ille-et-Vilaine. Presque neuf paiements sur dix sont prélevés automatiquement. Mais pour les autres, il y a finalement deux interlocuteurs différents selon qu’il s’agisse de payer ou de trouver une réponse à une question. "Simplifier le parcours des usagers", vraiment ?

Yvain Praud

Nos sources 

Notre article s'est appuyé sur des reportages effectués dans quatre espaces France services d'Ille-et-Vilaine, à Combourg, Guichen, Châteaugiron et Saint-Méen-le-Grand, entre le 22 et le 31 mars. Nous avons rencontré les agents de ces espaces, tandis qu'ils accompagnaient certains usagers. Nous avons aussi échangé avec plusieurs de ces usagers.

Par ailleurs, nous avons interrogé les agents de neuf espaces France services du Finistère et du Morbihan, par téléphone, les 24 et 25 mars.

Jean-Yves, le contribuable de Guichen, a participé à un atelier pour se familiariser avec le site des impôts la semaine précédant notre visite. La responsable de l’EFS l’a alors invité à s’entretenir avec nous.

Le fonctionnaire du service des impôts aux particuliers que nous avons croisé à Guichen a refusé de témoigner publiquement ce jour-là, après en avoir référé au service communication de la Direction départementale des Finances publiques. Il nous a finalement répondu lors d’un rendez-vous avec Hugues Bied-Charreton, le directeur, le 7 avril.

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