Le Covid est partout. Les clusters sont les foyers les plus infectieux, les clusters en maison de santé sont les plus sensibles. Une équipe est sur le pont pour stopper les chaînes de contaminations aux portes des personnes fragiles : l’équipe contact tracing de niveau 3. Rencontre.
8h30. Rendez-vous dans la cellule de crise de l’Agence régionale de santé Bretagne (ARS) à Rennes. Les gestes de distanciation et de protection sont effectués d’un naturel désarmant. Désinfection des tables avant, après, gel pendant le briefing, un mètre de distanciation.
Au programme comme tous les matins : le briefing Covid par la superviseure d'équipe. Face à elle, les "traceurs de niveau 3". Ce sont eux qui luttent contre les clusters les plus sensibles, les foyers de Covid dans les établissements de personnes fragiles.
Onze traceurs pour gérer la crise
Certains sont en distanciel, d’autres autour de la table de conférence. Le briefing est court. Les traceurs, onze nouvelles recrues 100 % affectées à stopper les clusters Covid en Bretagne travaillent par département. Cette équipe, en majorité féminine, est épaulée par les médecins de la veille sanitaire de l’ARS et par les agents administratifs. Une équipe nombreuse, une équipe qui vit Covid jour et nuit.
L’enjeu de santé publique est prioritaire. Une équipe complète a été recrutée à la sortie de la première vague en prévision de la deuxième que nous vivons aujourd'hui.
Nouveaux rouages, nouveaux outils, nouveaux profils. Un choc de culture pour l’ARS qui met tout en place pour cette équipe de "traceurs" aux journées très longues.
Ils sont jeunes, moins de quarante ans en moyenne, et déjà expérimentés par des parcours professionnels liés à la santé publique. Ex-infirmière, pharmacienne, directeur d’Ehpad, psychologue ou sortant de Sciences po, ils ont en commun la volonté d’être utiles en cette période de crise.
Le cadre est surprenant. Des sacs de plâtre devant les portes, les couloirs sont en travaux du sol au plafond. Tout est en chantier, comme les outils informatiques qui évoluent pour répondre aux exigences. L’ampleur de la pandémie a obligé l’ARS à se réinventer.
Face aux clusters, le contact tracing de niveau 3
Le contact tracing existe depuis février et le début de la crise Covid. L’organisation s’est adaptée, en fonction de la pandémie. L’ARS doit faire de la qualité et du volume.
"Les trois premières semaines de septembre, avec la rentrée étudiante, nous avons eu une hausse d’activité de 1000%. Environ 1200 suivis de situations par semaine".
"Nous avions eu des formations sur la gestion de crise. Mais ce que nous vivons depuis février, et le cluster de Crac’h dans le Morbihan, dépasse tout ce que nous pouvions imaginer" glisse une membre de l'équipe.
Le contact tracing de niveau 3 est celui qui gère les cas les plus sensibles. Le Coronavirus est particulièrement meurtrier pour les personnes fragiles, en établissements de santé, Ehpad ou établissements pour personnes handicapées.
Pour limiter la propagation du virus, c’est une course de vitesse. Il faut stopper les chaînes de contaminations.
"Ça flambe à Vitré"
Parmi les dossiers du jour, Vitré. Dans cette ville de taille moyenne proche de Rennes, l’Ehpad, l’abattoir, et une congrégation de religieuses sont repérés comme clusters.
"Il faut retrouver l’origine de la contamination, et ne pas se contenter d’isoler. Il faut comprendre comment le virus est entré dans les différents établissements pour que cela ne se reproduise pas. Mettre en place des solutions pour la situation actuelle et l'avenir" explique Florence Collet, ex-directrice d’Ehpad, aujourd’hui au contact tracing en Bretagne.
Chaque situation est différente, les schémas ne sont pas reproductibles, "c’est de l’humain". Le virus a pu entrer dans un Ehpad par une visite à un résident, par un contact dans une salle de pause.
"Pour les directeurs d’établissement médico-sociaux, il y a un grand besoin de soutien. Leur travail est déjà conséquent, et, en plus, ils doivent mettre en place les procédures Covid. Nous les aidons à installer les mesures ministérielles sur leurs établissements. C’est du cas par cas. Nous pouvons aller de la suspension des visites à l’isolement d’une partie du centre ou à tout l’établissement. C'est souvent difficile."
Freiner la Covid devant les plus fragiles
L’équipe est soudée. Les conseils s’échangent d’un bureau à l’autre. Les traceurs travaillent sur des départements précis. Un superviseur, responsable d'équipe, a le recul sur les situations au niveau régional. Une superviseure pour être précis. Hélène Delaveau est à la manœuvre cette semaine, elle explique la stratégie.
"Le virus circule de manière non contrôlée. On ne peut plus maîtriser la situation générale, alors nous mettons des freins devant les plus fragiles."
"Aujourd’hui, nous lançons des campagnes de tests massif dans les établissements de public à risque dès qu’un cas de Covid est confirmé. Un test à « J -0 » et un deuxième, une semaine après à « J + 7 » . Et si de nouveaux cas apparaissen,t nous recommençons. Nous connaissons ainsi la situation de l’établissement pour ajuster les mesures d’isolement. C’est difficile pour les familles et les directeurs d’établissements, mais nous trouvons les meilleures solutions."
"Je vis Covid plus de 12 h par jour"
Le nouveau protocole leur permet de traiter, le jour même, les nouveaux cas de Covid repérés dans les établissements sensibles.
La nouvelle doctrine du dépistage massif en EHPAD est lourde pour les établissements médico-sociaux, mais elle protège les résidents fragiles.
"Les tests RT-PCR sont intrusifs, souligne Hélène Delaveau, le port du masque n’est pas toujours possible pour certains publics en souffrance psychiatrique. Le personnel est déjà usé, fatigué par les procédures qui durent depuis février. Nous connaissons les conséquences néfastes de l’isolement. Nous devons prendre en compte la situation concrète de chaque structure et mettre en forme les protocoles qui doivent s’appliquer en prenant en compte la réalité du terrain".
Une charge de travail colossale qui a des répercussions. "On est tellement dedans. Je vis Covid plus de 12 heures par jour. Avant le confinement quand je croisais un ami, je devenais parano, et j'expliquais que certains gestes n'étaient pas à faire".
Le dépistage massif en Ehpad et les larmes des directeurs
Pour Aymeric Sentier, ex-infirmier, qui a connu le contact tracing depuis la première vague en Auvergne, "cette pandémie a sollicité énormément le personnel de terrain".
Le jeune homme s’est porté volontaire pour les astreintes du week-end pour répondre aux besoins du service. "Ce dimanche j’ai eu un directeur d’établissement en larmes quand j’ai dû lui dire que l’on recommençait une campagne de tests massifs dans son établissement. Nous amenons une contrainte supplémentaire dans des établissements déjà fragilisés par la fatigue et la culpabilité."
Aymeric précise : "Les établissements font ce qu’ils peuvent, mais des visiteurs enlèvent leurs masques dans les chambres des résidents. Malgré toutes les mesures, parfois des professionnels véhiculent la maladie à leurs résidents. Certains Ehpad ont perdu beaucoup de leurs résidents. C’est difficile psychologiquement".
Tout le monde essaie de faire son mieux, nous sommes tous sollicités au maximum de nos compétences.
Pour le jeune homme, "l’épidémie est plus forte que nous, mais on va s’en sortir ensemble".
Au bout du couloir, Hélène Salsmann. L' ex-pharmacienne, arrivée dans l’équipe en août, a mal vécu la première crise Covid. Sachant qu’une deuxième crise allait arriver, elle a quitté son poste de pharmacienne pour venir au contact tracing.
Le Covid, j’y pense tout le temps, je deviens psychorigide. Quand je sors du travail et que je vois une embrassade sur une place publique, je me dis que cela peut amener une personne fragile en réa.
Une des difficultés ? Composer avec le discours d’Emmanuel Macron
Le Président de la République l’a annoncé officiellement. Droit de visite pour les familles de résident en Ehpad, pas d’isolement. Entre les protocoles, les mesures à mettre en place, les discours officiels, ces hommes et ces femmes travaillent pour ajuster les mesures à la réalité du terrain.
La charge de travail est extrêmement importante. Malgré tout, ces traceurs savent garder le sourire.