A La Janais, la promotion interne a longtemps été une réalité. La plupart des cadres et agents de maîtrise commençaient en bas de l'échelle. Un schéma qui a bien évolué au cours des quinze dernières années. Aujourd'hui, tout comme les autres salariés, les cadres font leurs cartons.

Michel Bauché a été recruté à La Janais en 1973, à 18 ans, comme ouvrier fraiseur : « Avec un CAP pour tout bagage, à la grande époque, où avec la Barre-Thomas ça représentait 14000 emplois.» Cela remonte à 40 ans, mais manifestement, pour lui, c'était hier. En 1988, il devient agent de maîtrise. Puis, en 1994, chef d'équipe avec le statut de TAM (techniciens et agents de maîtrise) : « Avant c'était répandu, presque tous les agents de maîtrise ont commencé ouvriers. » Il est aujourd'hui secrétaire général du Confédération Française de l’Encadrement CGC (CFE CGC) métallurgie Bretagne. 

Ils sont nombreux à être entrés à PSA dans les années 1970/1980 et à avoir connu une progression de carrière. Auguste Leroy a été embauché sur un poste d'ouvrier ajusteur en 1966. Au moment de sa retraite en 2008, il exerce en tant que cadre responsable de formation au montage et gère 40 personnes : « Dans une entreprise aussi grosse que PSA Rennes, il était possible de faire toute sa carrière en exerçant plusieurs métiers différents. » En 1970, sur les 55 cadres que compte l'usine, seule la moitié ont un diplôme d'ingénieur. Les deux cadres se souviennent d'une époque où intégrer PSA signifiait pouvoir y faire toute sa carrière. Et avec de vraies possibilités d'évolution à la clé. Un exemple parlant : le directeur du site de Mulhouse a commencé chez PSA comme technicien.

« Faire le minimum antisyndical »


Ce système de promotion interne favorisait une meilleure connaissance entre cadres et ouvriers. Quand Michel Bauché devient chef d'équipe en 1994, il retourne dans l'atelier où il avait d'abord exercé comme ouvrier, sans que ce soit perçu comme une « trahison » : « Ça n'a pas posé de problèmes, tant qu'on se comporte bien avec les gens... » Mais le fait de devenir cadre comporte aussi des contraintes... Certains avancent qu'il fallait adhérer au syndicat maison, ou tout du moins, à la philosophie PSA de l'époque.

Pour Eric Berroche, élu communiste à la ville de Rennes et ouvrier à la Barre-Thomas depuis 1982, les possibilités d'ascension sociale étaient bien réelles. Mais appartenir au syndicat maison pouvait encourager les promotions internes. Cet ex-délégué syndical CGT évoque une sélection qui, dans certains cas, ne se basait pas uniquement sur la compétence professionnelle. « Il y avait un autre critère : l'allégeance et la servilité. Ils devaient servir autre chose que leur fonction propre. C'était un progrès et un renoncement en même temps. » Jean-Paul Cardin nuance ce schéma. Entré comme technicien en 1977, promu cadre au début des années 1990, il refuse qu'on associe le fait de devenir cadre à une forme de compromission : « Je n'ai jamais été au syndicat maison et je suis quand même devenu cadre, même si ça m'a peut-être demandé plus de temps qu'à d'autres.» À ces mots, Michel Bauché acquiesce : lui non plus n'a jamais été au CSL, ancêtre du SIA. Eric Berroche précise d'ailleurs que les recommandations de la direction n'étaient pas toujours suivies à la lettre : « Certains avaient l'intelligence de ne pas faire de zèle et d'embêter les syndicats le moins possible. Ils faisaient le minimum antisyndical. »

Cette génération était aussi très attachée à la région rennaise, car la plupart des ouvriers promus cadres étaient originaires du coin. Pour une population salariale d'origine rurale en majorité, pouvoir évoluer dans sa carrière tout en restant proche de son territoire représentait un enjeu important.

La fin des cadres « à l'ancienne »


Aujourd’hui, être cadre à La Janais n'a plus le même sens. Le système de promotion interne n'a cessé de décliner. « Quand j'ai été embauché, il était naturel de passer cadre. Vers 1990 il y a eu un tournant », témoigne Jean-Paul Cardin. Les cadres qui sont maintenant recrutés sortent tout droit des écoles, principalement des ingénieurs. Et ils connaissent une mobilité accrue entre les différents sites, sous forme de missions temporaires ou de mutations. Avec pour conséquences une moins bonne connaissance des salariés, une approche du métier qui n'est pas la même, et un contact différent de cadres à ouvriers. Pour Jean-Paul Cardin la tendance est plus large : « Il est indéniable que ceux qui sont embauchés aujourd'hui ont un sentiment d'appartenance moindre. Mais il y a aussi l'idée dans la société actuelle qu'on ne fait plus toute sa carrière au même endroit. »

Tous les cadres qui arrivent à La Janais passent un mois en production pour se familiariser avec les spécificités du site, ce qui, selon, Michel Bauché, n'est pas suffisant : « Pour comprendre le boulot, ce n'est pas un mois qu'il faudrait, mais plutôt un an. » Et ces « parachutages » passent mal. L'arrivée de ces nouveaux supérieurs hiérarchiques n’est  pas forcément bien perçue de l'intérieur : « A la Barre Thomas, quand il y a un recrutement de cadre dirigeant, les ouvriers ne peuvent pas faire autrement que de penser à la baisse actuelle des effectifs ouvriers et de faire la comparaison. On voit en eux des personnes très bien payées qui ne font pas grand-chose », explique Eric Berroche. Quant à Auguste Leroy, son jugement est sans appel concernant les effets de  la politique actuelle de recrutement des cadres : « Encadrer nécessite d'avoir le sens du relationnel. Pour bien le faire, il faut respecter les gens, il faut se faire confiance. Et parmi les parachutés il y a de vrais carriéristes qui se soucient plus des objectifs à atteindre que des gens. »

Mais il semblerait également que les cadres eux-mêmes n'y trouvent pas leur compte. Étant donné le contexte actuel, les cadres rennais envoyés en mission à Aulnay ont eu des difficultés d'intégration au sein des équipes. Et l'un des cadres dirigeants de La Janais muté à Sochaux a démissionné rapidement. En cause : la baisse de la qualité de vie entre les deux sites, et le déracinement régional que sa famille n'a pas supporté.

Les cadres fraîchement recrutés ont moins d'attache envers le site de La Janais que par le passé. Et avec le plan social, le sentiment d'appartenance des cadres « à l'ancienne » est lui aussi mis à mal aujourd'hui.

Tous dans le même bateau...qui coule


« On ne se sent pas du tout valorisés, l'attachement à la maison aujourd'hui c'est fini, on en est bien mal remercié. Le seul sujet de conversation c'est le plan social. » C'est ce sentiment de désamour de PSA envers ses salariés qui a conduit Michel Bauché à se syndiquer au CFE CGC sur le tard, en 2006 : « Il y avait des choses qui n'allaient plus, ce boulot laisse nos compétences de côté. » Il n'est pas le seul à exprimer cette amertume. Car le plan social va contraindre beaucoup d'entre eux à la mutation. Les uns - les TAM notamment - resteront en France, les autres partiront probablement à l'étranger, en Chine, au Brésil, ou en Slovaquie...  En effet, certains cadres ont une clause de mobilité obligatoire dans leurs contrats. Ce qui exaspère Michel Bauché, car ceux qui refuseront la mutation seront licenciés : « Comment voulez-vous que quelqu'un qui bosse ici depuis longtemps, qui y a sa maison, accepte une mutation en région parisienne, à Poissy ? Ou même à l'étranger ? Que voulez-vous qu'ils aillent y  faire ? » Au-delà du déracinement personnel et familial que cela représente, tous reconnaissent la qualité de vie particulière qu'offre le site de La Janais.


Des projets de réindustrialisation du site sont envisagés, avec, a priori, des créations d'emploi en perspective... Mais si l'on regarde le détail des postes, tout le monde ne s'y retrouvera pas. Ainsi, le projet SNCF ne prévoit, à ce jour, aucun poste de cadre. Ils ne pourront donc pas compter sur cette ressource pour rester à La Janais.

Certains attendent donc de voir ce que l'avenir leur réserve, pendant que d'autres se tournent d'ores et déjà vers d'autres entreprises. Depuis septembre, 27 cadres ont quitté PSA La Janais. Une fuite des cerveaux dont Auguste Leroy parle avec tristesse : « Ça fait mal. Voir ce qui se passe à La Janais aujourd'hui. Quand je pense que c'était le poumon économique de la Bretagne... Notre savoir-faire se perd, on le brade. » Malgré l'incertitude, certains refusent de se faire à l'idée que La Janais décline. Pourtant Jean-Paul Cardin s'alarme depuis plusieurs années : « C'est irréel. Beaucoup de salariés ne réalisent pas que dans un an, 25% vont devoir partir. Ils ont toujours vu PSA ici, ils pensent que quelqu'un, en coulisse, maintient l'entreprise et l'empêchera de s'effondrer. »

En dépit des tensions qui accompagnent tous les plans sociaux, cette situation a aussi généré, contre toute attente, une forme de solidarité entre cadres et ouvriers. « Des passerelles qui n'existaient pas se sont créées, à travers un sentiment commun d'appartenance à la même histoire et un sentiment d'exposition à un risque. Il y a 15 ans, PSA c'était la sécurité de l'emploi pour les salariés et leurs familles. Quelque chose s'est cassé, et ça a établi une connivence entre des gens qui ne se parlaient pas avant. Ça se traduit de façon subtile, dans des façons de se parler, de se dire bonjour », explique Eric Berroche.

La crise créé une forme d'égalité, comme le constate, un peu désabusé, un ouvrier de La Janais : « Eux aussi on leur dit qu'il faudra partir. Et ils sont encore plus mobiles que nous. Ils recevront des courriers comme nous, ils sont au même niveau que nous. Ils subissent. »
Les cadres en 3 chiffres
•La Janais compte 5600 salariés, dont 401 cadres et 1040 TAM
•Environ la moitié des postes de cadres sont concernés par le plan social
•La moyenne d'âge des cadres et TAM tourne autour de 47 ans
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