Un quart des Français se définit comme catholique. C'est deux fois moins qu'il y a vingt ans. L'église ne reflèterait plus la société. Malgré la tentative des prêtres sur le terrain de freiner cet effondrement, l’Église de France risque-t-elle de s'effacer ? C'est la question que soulève un documentaire " La messe est (presque) dite" de Laurent Cadoret et Jean-Etienne Frère.
La Bretagne est une région fortement imprégnée de tradition catholique. On y trouve aujourd'hui l'une des plus grandes densités de monuments religieux au monde. Pourtant, confrontés à la désertion des Catholiques, des prêtres essaient au quotidien, chacun à leur manière, de poursuivre leur mission et tentent de mobiliser les fidèles.
Le Père Nicolas Guillou, le Père Faustin, et Don Jean-Baptiste Balaÿ sont curés, l'un de la ville, l'autre de la campagne et le dernier d'une ville de province. Souffrant parfois de solitude, ils essaient, chacun avec leur méthode, de s'intégrer dans la vie locale pour prêcher la foi, dans des environnements parfois hostiles, désertés ou loin de leurs pays d'origine. Ces hommes d'Église ne contestent pas la crise d'appartenance, de pratique et de recrutement qu'ils traversent.
Il meurt chaque année quatre fois plus de prêtes que l'église en ordonne. C'est un déficit considérable. On a là, un corps social en train de disparaître.
Philippe PortierSociologue, Directeur d'Etudes à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, membre de la CIASE
S'inscrire dans la modernité
Le père Guillou est né en 1968. Après une carrière de commercial, il rentre au séminaire, devient prêtre et exerce aujourd'hui à Notre Dame-de-Bonne-Nouvelle à Rennes. Partisan d'une église moderne, le Père Guillou est aussi animateur de radio, aumônier des étudiants et proche des paroissiens.
La foi a toujours été un élément essentiel dans ma vie, même si dans les années 80, on n'encourageait pas beaucoup à être prêtre.
Père Nicolas Guillou
Pourtant, aujourd'hui, le Père Guillou est investi pour et avec la communauté. C'est ainsi qu'il conçoit sa religion. Comme une force qui vient de l'intérieur, c'est "la puissance de l'Eglise" dit-il.
C'est dans le vivre ensemble qu'on vit l'Eglise. Minoritaire dans la société française, le danger, c'est le repli sur soi, c'est le communautarisme.
Père Nicolas GuillouRennes
Philippe Portier, sociologue, analyse ainsi la crise que l'église traverse : "les sociétés sont de plus en plus marquées par le principe d'individualisation. Face à cette individualisation, souvent les églises et en particulier l'Église catholique n'ont pas su adapter leur organisation et leur discours. Et si elles ne s'adaptent pas, elles risquent de disparaître".
Prêtres étrangers
Pour remédier au manque, des prêtres étrangers sont envoyés par les évêques pour évangéliser "la vielle Europe" s'amuse le Père Faustin. Lui est Congolais, né en 1969. Il est curé de campagne de trois paroisses du diocèse de Vannes où il exercera pendant 19 ans avant de rentrer au Congo. Même si la foi en France ne correspond pas forcément à l'effervescence qu’il a connue dans son pays d’origine, le Père Faustin s'est toujours dit "heureux d’être là ".
Il faut prendre le temps de regarder et de comprendre ce qui s'est passé ici dans les années 60. La façon de faire change. Ce n'est pas comme en Afrique.
Père FaustinAncien curé dans le Morbihan
La vocation du Père Faustin se vit "avec" les autres. " Une paroisse avec laquelle il n'y a pas de laïcs avec qui travailler, c'est l'ennui", dit-il. Il y a cette chaleur humaine qu'il faut toujours avoir. La pénurie n'est pas d'un seul côté des prêtres, mais aussi des fidèles, des pratiquants. Les prêtres ne tombent pas du ciel. Si la famille ne pratique pas, alors d'où viendra la vocation de prêtre ? Je pense qu'on a pris du retard à former les laïcs. C'est à eux de prendre les paroisses en main".
L'Église doit penser à des solutions alternatives et probablement avancer sur l'idée de recruter des hommes mariés ou des femmes, pour ne pas voir son dispositif totalement s'écrouler.
Père FaustinAncien Curé dans le Morbihan
Pour le sociologue Philippe Portier " C'est le courant catholique d'ouverture qui l'a emporté dans les années 60/70. Ce sont généralement des catholiques de gauche. Depuis les années 80/90, l'église est plutôt formée par des catholiques de tradition. Des catholiques qui s'affirment dans les rites, dans la liturgie et parfois même dans les doctrines".
Catholiques de tradition
Père Don Jean-Baptiste Balaÿ, né, lui, en 1981, curé de Montagne-au-Perche dans l'Orne, se dit prêtre "traditionnel". Il porte la soutane et pratique la liturgie en latin.
Je vis simplement ma vie de prêtre, je ne cherche pas à dynamiser la vie paroissiale
Don Jean-Baptiste BalaÿCuré de la communauté Saint Martin
"Dans la communauté Saint-Martin, où je pratique", confit-il, "on vit notre vie chrétienne d'une manière très classique et traditionnelle, sans originalité particulière". Pour lui, la liturgie doit rester digne et soignée. Il reconnaît vivre dans une période de déclin, mais ne perd pas espoir de voir une croissance de l'Église et de la foi.
"Pour le recrutement", ajoute-t-il, "on retient aujourd'hui plus facilement dans les milieux bourgeois. Il y a moins de recrutements dans le milieu ouvrier et paysan".
L'Église universelle recrute davantage dans les milieux bourgeois catholiques, d'où naissent les vocations aujourd'hui. C'est le cas, même dans le milieu rural où j'exerce.
Don Jean-Baptiste BalaÿCuré de la communauté St-Martin à Montagne-au-perche
Répercussion des scandales sexuels
Ces hommes d'Église vivent douloureusement les nombreux scandales sexuels qui fragilisent et impactent la foi des communautés religieuses.
Je peux me faire traiter de pédophile dans la rue, mais ce n'est rien à côté de ce que des bourreaux, des tortionnaires ont fait subir aux victimes.
Prêtre Nicolas GuillouRennes
Le père Nicolas Guillou emploie des mots forts pour décrire la situation. " Cela a d'abord été la sidération par rapport aux victimes. Puis c'est devenu scandaleusement indicible. Ce sont des personnes qui ont donné leur vie à Dieu et qui sont des criminels qui ont foudroyé des vies. Nos communautés sont touchées, elles nous font confiance, mais le doute est là et on ne peut pas leur en vouloir ".
"La messe est "presque" dite" est un documentaire sur ces prêtres qui font face, dans un contexte de désertion des pratiquants, d'un côté à une Église vieillissante et de l'autre à une Église conservatrice.
Ce documentaire, de Laurent Cadoret et de Jean-Etienne Frère, est à retrouver dès à présent sur France.tv et sera diffusé le jeudi 28 mars 23h05 sur France 3 Bretagne.