Entre absentéisme, manque de postes, étudiants qui veulent faire une pause... l’organisation des services des hôpitaux bretons est extrêmement compliquée. La situation s'annonce critique pour la saison estivale.
Les hôpitaux bretons seraient-ils au bord de la crise de nerf ?
Si la gravité de la situation est différente selon les territoires, que l’on se trouve dans le centre-Bretagne ou sur la côte, dans une commune rurale ou dans une grande ville, tous les centres hospitaliers sont confrontés au même problème : une pénurie de personnel.
Le téléphone chauffe dans les agences d’intérim spécialisées comme Appel Médical. Cette année, les besoins en personnels de santé - principalement des infirmiers et des aides-soignants - ont été multipliés par deux. En Bretagne, sept agences supplémentaires ont été créées en quatre ans pour pallier les besoins.
Les infirmiers craquent, les cadres de santé craquent, les directions des hôpitaux craquent et nous, boites d’intérim, nous sommes submergés par les demandes. C’est une situation très compliquée.
Régis Sebillot, directeur régional de l’agence « Appel médical » (groupe Randstad)
Beaucoup de malades
L’absentéisme est la première cause du manque de personnel dans les hôpitaux. De nombreux professionnels sont en arrêt après avoir contractés le covid, mais aussi des virus plus bénins.
Yannick Heulot, le directeur adjoint du GHBS (Groupement hospitalier Bretagne Sud) dans le Morbihan et le Finistère confirme : "c’est tendu en raison des nombreux malades et parfois aussi à cause d’un contexte d’isolement dû à la crise sanitaire. Le point positif, c’est qu’on a également beaucoup de congés maternité".
"Au CHU de Rennes, il manque la moitié des effectifs cet été"
Après deux ans d’arrêt sur image, la vie reprend en effet son cours mais pour la saison estivale, la situation s’avère compliquée.
"La conséquence, c’est que nous allons devoir fermer une trentaine de lits en soins de suite en juillet et une cinquantaine au mois d’août, poursuit Yannick Heulot. Chaque été, nous recrutons environ 600 personnes. Cette année, il nous en manque 50, principalement des infirmières et des aides-soignantes"
Si Lorient et ses environs limitent la casse, c’est plus compliqué ailleurs. En Ille-et-Vilaine, une réunion de crise a même lieu toutes les semaines entre les établissements hospitaliers et l’Agence régionale de santé. Personne ne veut revivre l'été dernie, et la fermeture des urgences de Fougères faute de médecins.
Pourtant, la situation qui se profile s’avère encore plus dramatique. Au CHU de Rennes, les urgences subissent déjà les afflux de patients de Fougères, Vitré, Redon et même Laval en Mayenne et Avranches dans la Manche.
Selon Nathalie Loinsard, déléguée CGT à Rennes, il manque tout simplement la moitié des effectifs nécessaires au fonctionnement normal de l’hôpital cet été : "ça fait des années que la direction du CHU et l’Etat sont au courant de cette situation. Après ce qu’on a connu, il n’est pas question de lâcher nos vacances !"
350 euros par semaine pour repousser ses vacances
Car face au manque de personnels, le réflexe de certaines directions d’hôpitaux est de rappeler les agents en congés. Quelques professionnels se voient refuser une partie de leurs vacances en été. Au centre hospitalier de Saint-Brieuc, dans les Côtes-d’Armor, Régis Pineau, de la CGT, vient justement de faire le tour des services et le moral n’est pas bon.
Ces rappels à domicile ne sont plus acceptés par les collègues. Ça génère de la fatigue. Des agents se demandent même s’ils ne vont pas changer de métier, que ce soit les anciens ou les jeunes qui n’ont qu’un ou deux ans de service.
Régis Pineau, délégué CGT du centre-hospitalier de Saint-Brieuc
La direction du centre-hospitalier Yves-Le-Foll à Saint Brieuc n’a pas trouvé d’interlocuteurs pour répondre à nos questions, mais nous a précisé par mail le dispositif exceptionnel lancé pour pallier le manque de personnel : la mise à disposition d’hébergements pour les candidats, des contrats plus longs, une majoration de 30% des aides supplémentaires pour les agents et surtout une prime de 350 euros par semaine pour les volontaires qui accepteraient de prendre leurs congés au-delà du 15 septembre.
Selon Régis Pineau, la majorité des effectifs refuse de décaler ses vacances. "Il risque d’y avoir des fermetures de services. Surtout à Guingamp et Paimpol. L’offre de soin va être dégradée et c’est parce que nous n'avons pas assez de personnes et de moyens pour remplir nos missions".
Du côté de Lorient dans le Morbihan, en revanche, il n’est pas question de toucher aux trois semaines de congés d’été. Il en va du moral des troupes. Le groupement a aussi réalisé un effort de 900 000 euros cette année pour revaloriser les salaires et faire en sorte que l’hôpital demeure attractif.
Sauver la situation
Car c’est bien là le nœud du problème. Travailler à l’hôpital fait-il rêver en 2022, après cette crise sanitaire ? Pas vraiment si l’on en croit les syndicats. Les conditions de travail se dégradent, les heures supplémentaires explosent, si bien que certains quittent l’hôpital pour... mieux y travailler.
Un paradoxe, et une tendance qui s’accélère depuis trois ans, selon Régis Sébillot : "nous avons de plus en plus d’agents hospitaliers qui quittent leur CDI ou se mettent en disponibilité de la fonction publique pour aller vers l’intérim. Ils sont ainsi libres de travailler quand ils le souhaitent, ils sont mieux rémunérés et ils sont sûrs d’avoir des congés"
Autre phénomène qui pèse sur les effectifs de l’été, le manque à l’appel des étudiants infirmiers et aides-soignants. Pour ces derniers, leur cursus a été allongé d’un mois et se termine fin juillet, donc c’est un réservoir de personnel en moins pour les hôpitaux. D’autres sont tout simplement épuisés et veulent "faire un break", indique Yannick Heulot du GHBS.
Les étudiants en stage ont en effet été, eux-aussi, fortement sollicités lors des différentes vagues covid, mais les hôpitaux, comme d’autres secteurs d’activités, sont aussi confrontés à un changement d’état d’esprit.
Les jeunes générations privilégient leur qualité de vie et désirent "travailler à la carte" analyse Régis Sébillot d’Agence Médical. "Cette nouvelle génération bouscule les choses et cela pèse sur la génération en activité qui finit par se dire qu’elle doit elle aussi se préserver. Pour cet été, on rappelle toute notre base de données, on les supplie de travailler. On rappelle les retraités, les libéraux. On va tout faire pour sauver la situation"
Une situation qui est en train de s’échauffer socialement. Le mardi 24 mai, les personnels de santé ont prévu de camper devant l’hôpital de Pontchaillou à Rennes, à l’appel de la CFDT.