La cour d'appel de Rennes a finalement relaxé ce mercredi 4 septembre 2024 le fondateur du site d'extrême droite Breizh-Info, son journaliste et le directeur de l'Alvarium pour "diffamation" et "injure" raciste à l'encontre d'un journaliste Ouest-France à Angers (Maine-et-Loire).
Le site identitaire Breizhinfo, fondé à Angers en 2013 par Yann Vallerie - l'ancien président du mouvement identitaire Jeune Bretagne - et dont le directeur de publication est Philippe Le Grand avait pris l'habitude de critiquer nommément les chroniqueurs judiciaires angevins du quotidien régional. Il leur reprochait en particulier leur traitement de l'actualité autour de L'Alvarium, un "groupement de fait" d'extrême-droite à Angers dont la dissolution avait été confirmée par le Conseil d'Etat en novembre 2023.
Le journaliste avait été particulièrement pris pour cible à l'occasion d'une interview de Jean-Eudes Gannat, le fondateur de l'Alvarium : le fils de Pascal Gannat, ancien chef de cabinet de Jean-Marie Le Pen et chef de file du groupe FN à la région Pays de la Loire, l'accusait de passer son temps à "écrire (...) des articles anxiogènes et à la limite de la diffamation". Le fondateur de l'Alvarium relevait aussi ses "considérations politiques d'extrême gauche" et ses "liens avec les antifas".
"Sans doute se rêve-t-il en Sartre qui "prenait la plume pour une épée"... Sauf qu'à force de relayer grossièrement la propagande de l'extrême gauche, notre plumitif guadeloupéen jette des sagaies vers son propre camp", avait déclaré Jean-Eudes Gannat dans cette interview à Breizh-Info.
"Une contradiction" dans le jugement de premiere instance
En première instance, le tribunal correctionnel de Rennes avait infligé 2.500 € à chacun des trois prévenus : ils avaient aussi été condamnés à verser 1.000 € de dommages et intérêts au journaliste, 1 € symbolique à son employeur Ouest-France et prendre en charge leurs frais d'avocats. Ils avaient donc fait appel.
Lors de l'audience le 19 juin 2024, la présidente de la 11e chambre des appels correctionnels de Rennes avait d'emblée rappelé qu'une "contradiction" dans le jugement laissait encourir son "annulation". Et en effet, il y a "incontestablement une contradiction entre les motifs du jugement et son dispositif", confirme la cour d'appel dans son arrêt.
En première instance, la "diffamation" avait en fait été retenue au regard du "caractère public de l'article" : Le journaliste et son employeur Ouest-France étaient "nommément désignés" et les propos avaient pour but "d'alléguer que les journalistes de Ouest-France seraient subventionnés par l'Etat pour critiquer la mouvance identitaire".
Pour les premiers juges, les "termes employés" laissaient "clairement entendre que le journliste serait nuisible" : ces allégations étaient "manifestement infâmantes pour la personne (...) visée et mettent en cause ses qualités professionnelles de journalistes". Ces imputations portaient par ailleurs "atteinte à la réputation du journal Ouest-France".
Le "ton incisif, acerbe, ambigu et ironique" du journaliste
Devant la cour d'appel, l'avocat de Ouest-France avait concédé cette "contradiction" du jugement ; il avait sollicité la confirmation des condamnations pour "injure publique à caractère raciste", et non pour "diffamation".
Les "termes" employés constituaient bien "une comparaison négative" avec Sartre et "le terme "plumitif" employé avec le possessif "notre" avait une connotation péjorative et révélait une marque de mépris", insistait Me Jérôme Stéphan. Pour lui, "l'intention de nuire" était "évidente" et les propos excédaient bien "les limites de la libre critique".
L'avocate générale avait pour sa part considéré qu'il y avait lieu de relaxer les trois prévenus du chef d'injure : les propos retenus n'étaient "pas dissociables des propos diffamatoires". Elle avait donc requis la condamnation des trois prévenus pour "diffamation" mais s'en était rapportée à la décision de la cour s'agissant des "peines".
"Depuis plusieurs années, tant avant qu'après les faits du 3 juin 2021, le journaliste, sur son compte Twitter, s'opposait franchement et ouvertement aux idées, aux personnalités et aux associations d'extrême droite dont l'Alvarium et Jean-Eudes Gannat" (...) d'un ton incisif, acerbe, ambigu et ironique" écrit la cour d'appel dans son arrêt.
Un journaliste "sympathisant voire un militant de gauche"
Or, pour les magistrats, les propos tenus dans l'article ne constituent pas "une comparaison négative" avec Jean-Paul Sartre. "Ces mots laissent d'ailleurs plutôt entendre que le journaliste de Ouest-France chercherait à atteindre le niveau de cet écrivain-philosophe renommé et engagé, ce qui en soi est plutôt positif, au plus ironique, mais nullement injurieux".
Et si les termes "plumitif guadeloupéen" sont "incontestablement péjoratifs et empreints de moquerie", ils doivent néanmoins "être replacés dans un contexte d'opposition idéologique récurrente et publique entre la personne visée (...) et l'auteur des propos". Les propos ont été prononcés "sur un mode satirique, dans un contexte polémique" et ne "dépassent pas les limites admissibles de la liberté d'expression". "L'infraction d'injure n'est pas caractérisée", en déduisent les juges.
De plus, "il est établi (...) que [le journaliste], à titre personnel, est un sympathisant voire un militant de gauche" : le fait de dire qu'il a "des liens avec les antifas" ou qu'il "passe son temps à écrire sur les prévenus des articles anxiogènes" ne renferme "aucune allégation (...) qui porterait atteinte à l'honneur ou à la considération" du journaliste et de Ouest-France.
"Les propos litigieux (...) s'inscrivent dans un débat idéologique et politiques", conclut la cour d'appel de Rennes : s'ils sont "acerbes", ils ne sont toutefois "pas excessifs ou outranciers" et relèvent bien de "la liberté d'expression". Le journaliste a fait savoir ce mercredi qu'il était "fort probable" qu'un pourvoi soit déposé devant la Cour de cassation pour "poursuivre le débat".
SG/CB (PressPepper)