Un square porte son nom dans le quartier de Cleunay à Rennes : Yannick Frémin, syndicaliste CGT, est devenu un symbole de la lutte ouvrière à Citroën. Giflé puis licencié par sa hiérarchie, des milliers de manifestants le soutiennent à Rennes, en 1967. Yvette, sa femme, témoigne aujourd’hui.

Tout a commencé par une gifle. En décembre 1966, Yannick Frémin, un des tout premiers syndicalistes CGT de Citroën, ose élever la voix contre son supérieur hiérarchique : le ton monte entre les deux hommes, et le cadre finit par gifler Frémin. C’est pourtant Yannick qui est licencié pour insulte.

Dans les années 1960, le syndicalisme entre à Citroën avec fracas. Les rapports entre militants cégétistes, qui opèrent dans la clandestinité, et la direction, sont électriques. Alors quand Yvette Frémin apprend que son mari est licencié, elle n’est pas vraiment surprise. « Je me doutais que ça arriverait », soupire-t-elle.

« Je pensais qu’il allait être réintégré, j’étais confiante. » 


Les deux jeunes gens sont alors mariés depuis un an. Yvette attend son premier enfant. Au départ, elle est optimiste : « Avec la solidarité qui s’est développée, je pensais qu’il allait être réintégré, j’étais confiante. » Des milliers de personnes descendent dans la rue en soutien à l’ouvrier et sa famille, et pour réclamer le respect des libertés syndicales. Le procès pour licenciement abusif passe, Yannick gagne et Citroën est condamnée. Pourtant, le syndicaliste, devenu symbole de la lutte opposant ouvriers et direction du site, ne sera jamais réintégré à Citroën.

Pendant les années qui suivent, la famille Frémin s’agrandit, avec la naissance d’un deuxième, puis d’un troisième enfant. Mais cet événement ne reste pas sans conséquence pour le foyer : « En 1970, on a reçu des menaces de mort, et du vitriol sur la porte de notre appartement à Villejean », raconte Yvette Frémin. « On n’a jamais pu vérifier qui était l’auteur. » La mère de famille, également militante CGT aux Postes, Télégraphes et Téléphones (PTT), veut protéger ses enfants. Mais cela ne l’empêche pas de continuer le combat dans lequel les époux Frémin se sont engagés : « Le licenciement, pour moi, ce n’était rien. Ça a fait bouger Rennes, c’était donc plutôt positif pour la société, pour qu’on se rende compte qu’il faut se battre. »

Yannick Frémin reste au chômage pendant vingt mois. « Toutes nos économies y sont passées », se souvient Yvette. « Mais on faisait avec, on a eu une vie heureuse. » Après cette période, pendant laquelle il est de tous les combats aux côtés des autres cégétistes bretons, Yannick finit par être embauché... à la CGT. Salarié à plein temps, il devient secrétaire général de l’union départementale d’Ille-et-Vilaine en 1971. C’est l’occasion pour lui de revenir dans l’enceinte de Citroën en 1981, pour négocier l’organisation des élections professionnelles. Un pied de nez à ses anciens patrons ?

« Quand on a des convictions, on va jusqu’au bout ! »


Aujourd’hui, à 77 ans, Yvette Frémin reste une militante active. Insoumise dans l’âme, elle a transmis la fibre syndicale à ses trois enfants, tous trois syndiqués à la CGT en région parisienne. Elle y croit dur comme fer, pour elle, « les difficultés sont une richesse ».

En juin 1991, quelques mois avant son décès, Yannick Frémin rentre à la maison, effondré. De retour d’une réunion syndicale, il confie à son épouse : « A l’allure où ça va, qui te dit que dans 10, 20, 30 ans, il y aura encore une usine à La Janais ? » Pourtant, Yvette Frémin en est convaincue : son mari aurait suivi à la virgule près toutes les revendications « des copains » de la CGT à La Janais, usine bien mal en point aujourd’hui.

Pudiquement, elle avoue ne pas aimer être sur le devant de la scène. « J’ai toujours cru que tout le monde pouvait faire comme mon mari ! » Pas question de rater une seule manifestation pour cette battante. Encore investie à la CGT et dans diverses associations, elle l’affirme : « Quand on a des convictions, on va jusqu’au bout ! »
C’est avec une grande fierté qu’Yvette Frémin a inauguré le 25 mars 2006 en présence d’Edmond Hervé, l’ancien maire de Rennes, le square portant le nom de celui qui fût l’emblème de la lutte contre les dirigeants de La Janais. « Tout ce qui se passera à PSA fera toujours partie de ma vie. » Elle continuera donc à porter le flambeau. Coûte que coûte, comme elle l’a toujours fait.

 


 

L’affaire Frémin en cinq dates
1956 : Yannick Frémin, 18 ans, est recruté à la Barre-Thomas comme ajusteur. Il milite déjà en tant que responsable départemental des Jeunesses ouvrières chrétiennes (JOC). Il adhère à la CGT en 1963.

1965 : La CGT emporte 58 % des voix aux élections des délégués du personnel. La CFDT n’emporte que 42 % des votes. Frémin est donc élu délégué avec ses compagnons cégétistes Michel Pilorge, Joseph Cussonneau et Amand Timouy. Le premier congrès de la CGT Citroën a lieu en novembre, Yannick en est le secrétaire général.

1966 : Un jour de décembre, Yannick Frémin veut quitter l’atelier pendant son temps de travail pour préparer une réunion syndicale avec ses collègues. Son mandat l’y autoriserait, mais on ne lui délivre pas le bon d’autorisation de sortie. Il sort quand même. A son retour, Monsieur Schwanhard, son agent de secteur et donc supérieur hiérarchique, lui donne un avertissement. Frémin rétorque que c’est Schwanhard qui devrait avoir un avertissement pour non-respect du droit syndical. Le ton monte entre les deux hommes, l’agent de secteur finit par gifler le syndicaliste. Finalement, Monsieur Schwanhard demande le licenciement de Yannick Frémin pour injure. Licenciement acté par un vote du CE le 27 décembre 1966.

1967 : Le 4 janvier, environ 4000 personnes manifestent à Rennes pour sa réintégration à l’usine et pour le respect des droits syndicaux. L’archevêque prend position en faveur de Yannick Frémin, le sujet est débattu en conseil municipal sous l’égide du maire Henri Fréville. Le président général de Citroën, Pierre Bercot, doit intervenir dans la presse pour se justifier. Le procès pour licenciement abusif donne raison à Frémin. Citroën et Schwanhard sont condamnés. Yannick Frémin ne sera pourtant jamais réintégré à l’usine.

1970 : Loin de calmer les ardeurs du militant, qui adhère au Parti communiste français en 1968, ce licenciement pousse Frémin à s’engager à plein temps dans le syndicalisme. Il devient salarié de la CGT, passant du bureau départemental au national, pour revenir au comité régional à Rennes, où il passera le reste de sa carrière. Il décède en 1991 à l’âge de 53 ans.
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