Inquiétude face à l'instabilité du monde, crise économique et climatique, priorité pour les loisirs ou le militantisme... Ils sont de plus en plus nombreux à exprimer leur souhait de ne pas devenir parents. Rencontre avec des jeunes filles et garçons qui ont fait le choix de ne pas faire d'enfants.
Il s'appelle Taran, Sarah, Valentin, Laurence, ou encore Barbara. Tous sont bretons, âgés de 21 à 33 ans. En couple ou célibataires. Les uns ont une activité professionnelle, les autres étudient. Mais une question de société les réunit : ils ne feront pas d'enfants.
Il y a une pression sociale par rapport à la parentalité
Taran21 ans, étudiant à Brest
"Non, je ne veux pas faire d'enfant." La réponse est sibylline et claire. Dans l'esprit de Taran, 21 ans, étudiant en informatique à Brest, la décision est argumentée car la question est posée de plus en plus. "Le dérèglement climatique, l'instabilité économique sont des gros facteurs pour moi, pour ne pas mettre ces pauvres enfants dans cette situation".
Au pessimisme lié à l'évolution du monde, s'ajoute aussi une vision de la famille qui évolue. "Pour moi, la vision classique de la famille n'est plus d'actualité. Et il y a d'autres modèles de parentalité" précise Taran.
Je ne suis pas culturellement une maman
Laurence28 ans, salariée d'un groupe agroalimentaire breton
À 28 ans, Laurence, salariée dans un gros groupe agroalimentaire de la région rennaise a toujours eu en elle cette volonté de ne pas avoir d'enfants. "Même quand j'étais beaucoup plus jeune, je savais déjà que je ne voulais pas d'enfant, dit-elle. Mes parents me répondaient que je changerais d'avis en vieillissant mais cela n'a pas changé, bien au contraire."
Elle aussi s'inquiète du devenir du monde. Elle indique privilégier sa carrière et son indépendance financière. Dans son cercle d'amis, l'idée de ne pas faire d'enfants est majoritaire, constate-t-elle. Elle évoque une question plus intime "Je suis athée. Moi je ne suis pas culturellement une maman. Ce n'est pas quelque chose que je ressens."
Des médecins qui ferment la porte
Depuis deux ans et demi, Laurence est en couple mais son point de vue n'a pas changé. "J'en ai parlé avec mon ami avant qu'on se mette ensemble, confie-t-elle. Et lui est pareil que moi."
Il y a quelques années, la jeune femme s'était renseignée auprès de sa gynécologue pour effectuer une ligature des trompes afin d'être certaine de ne pas tomber enceinte. "J'ai eu une porte qui s'est refermée. Ma gynécologue m'a simplement expliqué qu'elle ne pratiquait jamais ce genre d'acte sur des jeunes femmes qui n'ont pas encore eu d'enfant" indique-t-elle amèrement.
Nous sommes trop dans la reproduction d'un modèle où il faut avoir des enfants
Sarah28 ans, graphiste
Même constat pour Sarah, 28 ans. Cette graphiste, originaire du pays de Vannes, exprime son désir de ne pas mettre d'enfant au monde. "Bien sûr, il y a les questions liées aux incertitudes du réchauffement climatique. Mais pas seulement. Pour moi, un enfant c'est une responsabilité qu'on prend pour quelqu'un d'autre, pour cet autre individu, observe-t-elle. Nous sommes trop dans la reproduction d'un modèle où il faut avoir des enfants. " Et d'ajouter : "Il y a tellement de parents irresponsables, de blessures qui sont faites dans le plus jeune âge. Un enfant, ce n'est pas un gadget. Il y a aussi un problème d'identité. L'enfant n'est pas l'enfant de ses parents. C'est un individu à part entière."
L'enfant aura forcément un impact carbone
Barbara27 ans, pâtissière
Barbara, 27 ans, parle sans tabou de son non-désir d'enfant. Pour cette pâtissière, pas question de changer d'avis. Et pour elle aussi, les raisons sont nombreuses. "Comme pour beaucoup, il y a l'écologie, le réchauffement climatique. Et faire un enfant a un impact carbone important et il faut faire attention à cela, note-t-elle. C'est aussi un travail à plein temps si on veut bien le faire. Enfin, il y a tellement d'enfants qui ont été abandonnés et qui n'ont pas de parents. Alors pourquoi ne pas s'en occuper".
Ne pas être parent biologique mais être parent d'une autre façon, Laurence y pense également. "Dans l'avenir, oui pourquoi ne pas imaginer l'adoption d'un enfant" glisse-t-elle.
Un choix radical
Valentin, 33 ans, a deux passions : l'univers d'internet, des youtubeurs et la comédie qu'il exerce sur de petites scènes rennaises. Il a fait un choix radical. Il y a un peu plus d'un an, il a décidé de subir une vasectomie. Une opération de stérilisation masculine qui consiste à sectionner les canaux qui transportent les spermatozoïdes depuis les testicules.
Pour lui, cette décision a mûri pendant près de dix ans. "À l’époque, j'étais en couple. Nous ne voulions pas d'enfant, relate-t-il. Ma copine prenait la pilule. Et je me suis posé la question de savoir pourquoi moi je ne trouverais pas ma propre solution." Entre-temps, Valentin s'est séparé de son amie. Mais l'envie de ne pas avoir d'enfant est restée.
Mon choix de faire réaliser une vasectomie a été un véritbale parcours du combattant
Valentin33 ans, comédien et vidéaste
Valentin a voulu aller au bout de ses convictions. "Cela a été un véritable parcours du combattant. Il y a un peu plus d'un an, j'ai pris rendez-vous avec mon médecin généraliste pour aborder la question de la vasectomie. Et je m'en suis pris plein la figure de la part de ce médecin qui n'acceptait pas. Il a quand même fini par me faire une ordonnance pour cette opération" raconte-t-il.
L'opération s'est déroulée en janvier 2023. "Elle est peu invasive" ajoute-t-il. L'urologue qui a pratiqué la vasectomie comprend la démarche de Valentin mais insiste pour qu'il fasse congeler des spermatozoïdes au cas où il changerait d'avis plus tard. "J'ai refusé de le faire car ma décision était très aboutie".
Il évoque l'un de ses sketches où il parle de vasectomie. "J'ai parfois eu des jeunes qui sont venus me voir après mes spectacles pour me dire que leur médecin avait refusé de faire cette intervention malgré leur envie" se souvient-il.
Valentin dit entendre le désir d'enfants de certains. "Lorsque j'ai dû retourner voir mon urologue trois mois après l'opération pour faire un spermogramme, j'ai croisé dans la salle d'attente des gens qui étaient à l'opposé de moi. Des gens qui venaient parce qu'ils n'arrivaient pas à avoir d'enfant. Donc je peux comprendre."
Une revendication militante ou un choix intime ?
Cette revendication de vie sans enfant est née dans les années 70 aux Etats-Unis avec le mouvement 'Childfree'. Toutefois, elle n'a pas connu le même écho en France. Même si les derniers chiffres du nombre de naissances sont en baisse régulière dans le pays et notamment en Bretagne, la France reste le pays européen le plus fécond.
Selon Charlotte Debest, sociologue et autrice du livre Le choix d'une vie sans enfant, "pas sûr qu'il y ait chez nous une revendication, une vraie cause militante même si les médias en parlent beaucoup."
Des raisons par défaut dans une société qui ne veut pas prendre en compte qu'il est possible de bien vivre sans enfants
Charlotte DebestDocteure en sociologie
Selon elle, des éléments ressortent clairement et ils sont plutôt de l'ordre de l'intimité. "Il y a beaucoup de jeunes filles et garçons qui disent ne pas avoir l'âme d'être une mère ou un père. C'est très personnel ce rapport à la parentalité " analyse-t-elle.
Dans un article intitulé "Choix d'une vie sans enfant au cœur des préoccupations sociétales" - qui paraîtra dans les prochains jours dans "La revue du praticien" -, la sociologue rennaise estime que les raisons exprimées pour ne pas faire d'enfant sont peut-être moins militantes et surtout à nuancer. "Les problèmes de logements, la crise écologique ou économique, ce sont des réponses données face à une société qui ne veut pas prendre en compte qu'il est possible de bien vivre sans enfant" relève-t-elle.
Ces jeunes gens qui témoignent ne veulent pas imposer leur choix aux autres. Ils souhaitent simplement que leur décision soit respectée. Une nouvelle donne alors que les dernières statistiques que l'INSEE vient de publier montrent une nouvelle baisse du nombre de naissances en Bretagne et en France.