Passer la nuit sur une ancienne péniche de travail centenaire, accostée au canal d’Ille et Rance, voilà une idée insolite. Mais quand vous êtes née à bord 77 ans plus tôt, ce séjour prend alors une toute autre dimension… Plongée dans les racines familiales d'Odette Boulerry.
Au moment de franchir la coupée et de pénétrer dans la timonerie, le pas d’Odette Boulerry est un peu hésitant. Pourtant, tout lui est très familier… Cette péniche, elle l’a connu depuis la première seconde de sa vie. Sa maman, prise par surprise, a accouché à bord, un jour de 1941. Odette y a vécu jusqu’à l’âge de 6 ans.
C’est la première fois qu’elle rembarque depuis plus de sept décennies. Ce pèlerinage est un cadeau de Noël de ses deux filles Véronique et Karine. L’occasion d’un retour aux sources familiales, du temps où Robert Perigaud, le père d’Odette et leur grand-père était marinier.
Une péniche remise à neuf
Elisabeth Hubert est la nouvelle propriétaire de l’Armor. Avec son mari éclusier sur le canal d’Ille et Rance, ils ont acheté en 2004 une coque d’acier envahie par la végétation et à moitié coulée, avec l’ambition de lui redonner vie, qui avait fini sa vie de labeur en 1996 et croupissait depuis entre deux écluses du côté de Hédé (35). Leur ambition était simple, lui redonner une nouvelle vie. Les deux cales et le logement marinier ont été entièrement réaménagés. Philippe Hubert y a consacré cinq années d’effort et de talent, aidé par son beau-père.
Une cuisine, un salon et sa cheminée, trois cabines confortables et deux salles d’eau. Voilà ce qu’est devenue cette péniche de 1912 qui transportait alors du sable, du charbon, des pommes et toute autre cargaison sur les canaux bretons. A l’époque Odette Boullery se souvient : "Le logement marinier était minuscule, 15 m² au plus, et pas beaucoup d’endroit pour jouer, en tant qu’enfant". Pourtant, elle y a grandi avec deux frères et ses parents. "De très bons souvenirs" et aujourd’hui une certaine fierté de transmettre cette page d’histoire à Juliette sa petite fille de 9 ans et demi. Une histoire qui n’avait pas été vraiment partagée jusqu’alors. La péniche devient ainsi le creuset de la mémoire familiale.
"C’est intéressant, ils ont des choses à raconter et on apprend encore des choses sur notre bateau. On est très contents." ajoute son épouse."C’est émouvant, ils font partie de l’histoire de la péniche, tous ces gens qui sont nés sur la péniche, au moins cinq et quand ils viennent, ça me touche." confie Philippe Hubert, après avoir proposé un petit montage vidéo résumant la longue vie de la péniche.
Philippe Hubert a également retrouvé un des carnets de bord, écrit de la main de Robert Périgaud : les cargaisons, les destinations, les durées de navigation. Des témoignages qui pour Odette prennent tout leur sens. Au moment de trinquer, c’est à son père disparu à l’âge de 37 ans quand elle n’avait que dix ans, que chacun pense, ainsi qu’à sa femme.
Une nuit d'émotions
Au matin, autour du café, chacun raconte sa nuit un peu agitée par les souvenirs, l’émotion… Odette a eu du mal à trouver le sommeil, Karine a pleuré au moment de se coucher, ébranlée par ce retour dans l’histoire familiale, le souvenir de leur grand-mère si proche qui a élevé, dans des conditions très sommaires, ses trois enfants dans ces cales aujourd’hui splendides. D’ailleurs, chacun exprime aussi beaucoup de reconnaissance pour le travail accompli par Philippe et Elisabeth Hubert qui ont redonné vie à cette péniche. Véronique Boullery est heureuse de cet hommage à son grand père. "Même si on l’a pas connu, il est quand même là. La preuve, il nous a peut être emmené là, on ne sait pas, qui sait…".Pour aller plus loin :
Pour passer une nuit sur l’ArmorUn site : La batellerie bretonne
Un livre : La batellerie bretonne, la vie quotidienne des bateliers de l’Ouest de Jacques Guillet (Editions de l’estran, Chasse marée, 1989)
Un lieu : Musée de la batellerie à Redon