En juillet, la SPILF, présidée par le Pr Tattevin, infectiologue au CHU de Rennes, avait porté plainte auprès du Conseil départemental de l'Ordre des médecins des Bouches-du-Rhône contre le Pr Raoult pour manquement à 9 articles du code de déontologie. Ce dernier est aujourd'hui poursuivi.
"C’est une bonne nouvelle si l’ordre a décidé de donner suite. Ca veut dire que ses membres reconnaissent qu’il y a eu un vrai problème". C'est nous qui lui apprenons la nouvelle. Le Pr Pierre Tattevin était en consultation toute cette matinée du jeudi 12 novembre et n'a pas vraiment eu le temps de lire la presse consacrée aux poursuites engagées contre le Pr Didier Raoult par le Conseil départemental de l'Ordre des médecins des Bouches-du-Rhône. "Et nous n'avons pas reçu de communication officielle de la part de l'Ordre nous indiquant que notre plainte allait avoir une suite".
Le Conseil départemental a été destinataire de très nombreux courriers, mails, appels téléphoniques et c’est comme ça qu’il a décidé de réunir ses membres le 12 octobre dernier et de porter une plainte devant la chambre disciplinaire de première instance des médecins.
De nombreux signalements
Nous, ce sont les membres de la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF) que préside l'infectiologue du CHU de Rennes. En juillet dernier, cette association loi 1901, créée en 1974, a porté plainte auprès du Conseil de l'Ordre des médecins des Bouches-du-Rhône contre le Pr Didier Raoult de l'Institut de Marseille. "Le Pr Tattevin ainsi que d’autres plaignants ont sollicité le Conseil départemental de l’Ordre des médecins pour faire des signalements, porter des plaintes ou apporter des témoignages en demandant au conseil départemental de réagir en saisissant la chambre disciplinaire, explique Me Philippe Carlini, avocat de l'ordre des médecins des Bouches-du-Rhône. Le conseil départemental a été destinataire de très nombreux courriers, mails, appels téléphoniques et c’est comme ça qu’il a décidé de réunir ses membres le 12 octobre dernier et de porter une plainte devant la chambre disciplinaire de première instance des médecins. C'est une plainte qui concerne uniquement la déontologie médicale".
Il y a au moins 9 articles du code de déontologie qui sont vraiment totalement enfreints.
Manquements au code de déontologie
Et c'est bien des manquements au code de déontologie médicale que le Pr Tattevin et la SPILF reprochent au Pr Raoult. "Il y a au moins 9 articles du code de déontologie qui sont vraiment totalement enfreints, déplore le Pr Tattevin. Par exemple : ne pas communiquer dans le grand public des données préliminaires pour ne pas mettre la panique dans la tête des gens. On parle de liberté de prescription mais le code de déontologie, auquel on fait référence dans notre plainte, indique bien qu'on ne doit proposer pas à des patients des traitements qui n’ont pas été bien évalués ou dont ils n’ont pas besoin. Ce qui n’est pas du tout le cas quand on décide de donner de l’hydroxychloroquine à tout le monde parce que la covid, ça guérit sans traitement dans plus de 90% des cas".
Paris Match ou BFMTV, ce n’est pas du tout le lieu pour donner des informations qui ne sont pas en plus avérées.
"C’est vraiment la communication beaucoup trop large, disproportionnée par rapport aux données dont il disposait à l’époque qui nous a inquiétés, explique l'infectiologue. Il y a plein d’exemples de sa communication désastreuse depuis une dizaine de mois : quand il disait qu’il ne fallait pas s’inquiéter, qu’il n’allait pas y avoir de deuxième vague".
Surmédiatisation du débat scientifique
C'est d'ailleurs l'un des axes de la plainte du conseil départemental de l'ordre des médecins des Bouches-du-Rhône : "Mettre un débat aussi technique dans la sphère publique n’est pas du tout une bonne idée parce que ça aboutit à un nombre incalculable de gens qui n’y comprennent rien et qui se croient autorisés à avoir un avis, ose Me Carlini. Des avis les plus tranchés possibles évidemment et donc beaucoup de crispation dans la société à un moment où on n’a pas besoin de ça. Parce qu’évidemment tout le monde est très inquiet à propos de cette pandémie. Et Paris Match ou BFMTV, ce n’est pas du tout le lieu pour donner des informations qui ne sont en plus pas avérées. Le deuxième groupe de reproches, c’est donc cette gestion médiatique qui, de notre point de vue, désastreuse".
Donner ce traitement dans le cadre de la covid fait courir un risque probablement injustifié et qui ne correspond pas à une bonne pratique de la déontologie médicale.
Les deux autres griefs portent sur le traitement lui-même de la covid par l’hydroxychloroquine et les risques liés à l'administration de ce traitement. "Le problème qui a été identifié, c’est que le traitement prescrit par le Pr Raoult est facteur de risques cardiaques importants, insiste Me Carlini. Et les statistiques et les études qui ont été faites depuis illustrent que donner ce traitement dans le cadre de la covid fait courir un risque probablement injustifié et qui ne correspond pas à une bonne pratique de la déontologie médicale".
De l'avertissement à la radiation
Suite à ce dépôt de plainte, le Pr Raoult devra produire un mémoire et des pièces pour sa défense. Puis le jugement sera rendu quelques mois plus tard lors d'une audience publique. Les sanctions vont de l’avertissement à la radiation de l'Ordre des médecins en passant par le blâme et la suspension.
C’est insupportable de penser que, à cause de cette promotion obstinée, on se retrouve avec des patients qui sont traités avec des traitements qui ne leur rendent pas service.
La radiation, ce n'est pas l'objectif poursuivi par la SPILF. S'il affirme que l'influence du Pr Raoult est bien moindre en France qu'au coeur de la pandémie, le Pr Tattevin s'inquiète pour d'autres populations : "Didier Raoult jouit encore d’une certaine aura dans d’autres pays, notamment l’Afrique. On sait, par des collaborations qu’on a là-bas, que l’hydroxychloroquine continue à être prescrite, recommandée dans des pays qui sont, en plus, un peu obligés de faire des choix sur les traitements puisqu’ils ont des budgets qui sont plus serrés qu’en France. C’est insupportable de penser que, à cause de cette promotion obstinée, on se retrouve avec des patients qui sont traités avec des traitements qui ne leur rendent pas service et qui, peut-être, en plus les empêchent d’avoir accès à d’autres traitements qui se seraient plus efficaces".
Et de conclure : "nous, ce qu’on veut, c’est que les patients soient bien traités et que Didier Raoult arrête sa communication toxique".