Une association entre les cadeaux des firmes pharmaceutiques et des prescriptions plus chères et de moindre qualité, c'est ce qu'a relevé une équipe de médecins et enseignants- chercheurs rennais, en travaillant notamment sur deux bases de données françaises.
Vérifier s'il existait une association entre les avantages offerts par l'industrie pharmaceutique aux médecins généralistes français en 2016 (équipement, repas, frais de transport, logement, etc.) et le coût de leurs prescriptions médicamenteuses, ainsi que l'efficacité de leur prescription au regard des objectifs fixés par l'Assurance maladie, voilà l'objectif d'une étude menée depuis trois ans, par des médecins, des enseignants-chercheurs de Rennes 1, de l'INSERM, du CHU de Rennes ainsi que de l'École des Hautes Études en Santé Publique (EHSP). Les résultats de leur travail viennent d'être publiés en ligne, sur le site du British Medical Journal.
Leurs conclusions ? Les cadeaux sont associés à de plus mauvais indicateurs de prescription. L'étude montre qu'en moyenne, comparativement aux médecins qui reçoivent des cadeaux, ceux qui n'en reçoivent pas ont des prescriptions moins coûteuses, favorisant notamment l'utilisation des médicaments génériques. Ils prescrivent également moins de médicaments dont la balance bénéfice-risque est jugé défavorable et dont l'Assurance maladie voudrait limiter la consommation (traitements contre l'anxiété ou les troubles du sommeil).
Le médecin précise d'emblée ne pas avoir de liens d'intérêts avec les industries pharmaceutiques.Cette étude pose la question de l'influence des firmes pharmaceutiques, sur la prescription. Elle interroge : pourquoi ces firmes dépensent autant dans leur promotion, plutôt que dans la recherche (23 % dans la promotion, 17 % dans la recherche et le développement) ? Cela pose aussi la question du conflit d'intérêt explique Bruno Goupil, médecin généraliste et premier auteur de l'étude
Il relève que cette pratique des cadeaux existent depuis longtemps. "Ce n'est pas vraiment un tabou, c'est surtout une norme. À 90 % les médecins reçoivent un cadeau mais ces professionnels n'ont pas conscience d'être influencés, donc sont parfois moins vigilants."
Il ajoute : "On n'a peu ou pas de formation sur les techniques d'influences des laboratoires. J'ai par exemple eu deux heures de cours facultatifs sur cette thématique pendant mon cursus."
Il faudrait selon lui aller vers une formation plus généralisée, à destination des médecins et des étudiants, qui permettraient de comprendre ces techniques.
L'étude montre que le cadeau n'est qu'une technique d'influence parmi d'autres. "Si on arrête les cadeaux, d'autres moyens peuvent aussi avoir des conséquences, comme les visites des délégués médicaux."
Méthodologie
L'étude a porté sur plus de 41 000 médecins généralistes (sans formation ou spécialité supplémentaire), des médecins traitants. Aucun cas individuel n'a été étudié, ils ont été classés en groupes. Les chercheurs se sont appuyés sur deux bases de données publiques et pour la première fois :
- La base de Transparence Santé qui existe depuis 2013. Dans cette base, les firmes pharmaceutiques ont l'obligation de déclarer les liens d'intérêts donc les cadeaux donnés aux médecins. "Les données de ce site seront plus lisibles via Eurofordocs", souligne Bruno Goupil.
- le système National des Données de Santé (SNDS) qui rassemble de manière anonyme des renseignements de santé de 99 % des Français.
Avec cette méthodologie, "l’étude ne peut pas montrer de lien de cause à effet". "Les résultats de notre analyse concordent avec les études existantes qui concluent en faveur d'une influence sur les prescriptions."