Créé en 2010 pour répondre aux nouveaux enjeux de santé environnementale, l'Institut de recherche en santé, environnement et travail (Irset) de Rennes cherche à comprendre le rôle des facteurs environnementaux sur la santé humaine tout au long de la vie, dit "exposome" en langage scientifique.
"Au départ on s'est intéressé à des molécules comme le glyphosate, l'atrazine ou le Bisphénol A, puis petit à petit on en est venus à étudier leur mélange, car la vraie vie, c'est d'être exposé à des mélanges, c'est du cocktail", résume le directeur de l'Irset, Michel Samson.L'institut, qui compte 260 salariés, publie chaque année plusieurs centaines d'études sur l'impact des pollutions environnementales sur la santé, des pesticides aux composés industriels, en passant par les médicaments. Son principal atout : faire cohabiter des approches autrefois cantonnées chacune dans leur champ de recherche (biologie moléculaire, épidémiologie, toxicologie, génétique, modélisation, etc).
L'épidémie de Covid-19 a remis sur le devant de la scène les effets de la dégradation de l'environnement sur la santé : les personnes atteintes de maladies chroniques (obésité, diabète, Alzheimer, Parkinson, cancer, etc.), pour lesquelles le facteur environnemental est pointé du doigt, ont ainsi eu plus de probabilités de développer une forme grave du Covid-19. Pour effectuer leurs recherches, les chercheurs travaillent avec des fragments d'organes embryonnaires humains issus d'interruptions volontaires de grossesse et des données de cohortes épidémiologiques, dont "Pelagie" en Bretagne, qui suit quelque 3 000 adolescents depuis leur naissance.
"Effets cocktails"
En 2017, une équipe de l'Irset spécialisée dans les "effets cocktails" a montré pour la première fois, sur des tissus humains, qu'un mélange de molécules aux propriétés perturbatrices endocriniennes pouvait avoir un effet démultiplié sur l'organisme, avec un facteur allant de 10 à 1000. "On regarde si des molécules altèrent la formation d'un organe. Pour cela, on expose ces fragments d'organes à des molécules à très forte concentration qui vont tuer les cellules, puis on teste des concentrations de plus en plus faibles pour se rapprocher de celles observées dans l'environnement", explique Séverine Mazaud-Guittot, chercheuse à l'Inserm.
"Enfin, on teste différents mélanges de ces molécules à de faibles concentrations pour voir si elles ont un effet ensemble, alors que seules non", ajoute-t-elle. Depuis la création d'une chaire dédiée en 2016, l'Irset planche sur l'"exposome" chimique du foetus, à savoir l'influence de centaines ou milliers d'expositions aux polluants organiques avant la naissance sur l'apparition de maladies chroniques. "C'est la suite logique de l'étude de l'effet cocktail. Aujourd'hui nous sommes les seuls, dans le domaine de la santé humaine, à traiter de l'exposome de cette manière avec les dernières technologies", se félicite Michel Samson. En septembre 2019, la France a publié sa deuxième "stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens" pour réduire l'exposition à ces substances.
"L'enjeu est l'augmentation des maladies chroniques car on s'est aperçu, après avoir séquencé le génome, que l'ADN ne suffisait pas à expliquer leur survenue", rappelle Arthur David, professeur à l'EHESP. "Il y a eu une révolution technologique depuis cinq ans. On est capables de détecter un large spectre de substances présentes dans notre organisme, avec des empreintes chimiques contenant jusqu'à 10 000 signaux", poursuit le chercheur. Sur le "spectromètre de masse à haute résolution", des pics correspondant à des molécules apparaissent... Encore faut-il identifier à quoi ils correspondent. "Nous sommes face à un défi de taille, car même si la technologie est là, il faut une méthodologie pour décrypter les informations, d'autant qu'environ 100 000 substances chimiques sont utilisées actuellement", ajoute Arthur David.
Selon André Cicolella, président de l'association "Réseau environnement Santé", des affaires très médiatisées comme celle des "bébés nés sans avant-bras", ou des cancers pédiatriques montrent plus que jamais le besoin de recherche. "La santé environnementale n'est pas encore considérée comme une politique majeure et on s'intéresse surtout à la maladie quand elle survient. Or si on veut se préparer à de prochaines vagues épidémiques, avec 21 millions de malades chroniques en France, il faut agir sur l'ensemble des facteurs de risques", ajoute le chimiste.