Rennes. Le Blosne : un quartier à l’heure du coronavirus. Notre série

Pendant deux mois, la France a vécu confinée. Une situation difficile pour beaucoup d’entre nous mais parfois encore plus délicate dans les quartiers populaires. Au Blosne, à Rennes, les habitants ont pourtant fait avec et ont joué sur la solidarité. Notre série en 5 épisodes.
 


Le samedi, c’est jour de marché au Blosne. Un marché populaire, coloré et très prisé des gens du quartier. Le 16 mars, comme partout en France, les marchés ont été interdits pour faire face à la pandémie.

Certains, comme le marché du Blosne, ont rouvert 12 jours plus tard  mais sous certaines conditions : un nombre réduit de commerçants, uniquement des denrées alimentaires, un accès limité et contrôlé pour les clients.

Pour les habitués, des modifications un peu dures à avaler mais qui valent mieux que rien du tout dans un quartier ou les commerces sont peu nombreux.
 


S’adapter à la situation


Alors le samedi, il faut prendre son mal en patience, venir tôt, faire la queue entre les barrières sous le regard des policiers municipaux. Ils sont chargés de filtrer l’accès et de vérifier qu’un maximum de 60 personnes déambule dans les allées au milieu de la petite quinzaine de commerçants présents. Le marché ouvre à 8h et ferme à 12h30. Les derniers clients sont admis une heure plus tôt. Il ne faut donc pas trainer.

Forcément l’atmosphère a changé, plus morose. On y croise des mères de famille, seules avec leur gros caddy rempli pour la semaine, des couples de jeunes, peu d’enfants et pas mal de retraités dont le marché a été, ces dernières semaines, la seule sortie hebdomadaire.

Je me sens comme une pestiférée qui ne doit rien toucher.

 
C’est le cas d’Arlette, 83 ans, qui vit seule non loin de là, place de Zagreb. Sur ses six enfants, deux vivent à Rennes et lui font ses plus grosses courses. Pour le reste, elle se débrouille tout en reconnaissant qu’elle se sent un peu "comme une pestiférée, qui ne doit rien toucher et ne peut approcher personne ".

Arlette est peu sortie durant ces deux mois tout comme Yves, 82 ans, qui lui aussi vit dans le quartier et a dû adapter ses habitudes au coronavirus.

Fini le jardin, situé à une trentaine de kilomètres de Rennes. Il sort sa voiture une fois par semaine pour aller au supermarché et le reste du temps, il reste bien sagement chez lui avec la peur que le virus ne vienne contaminer le quartier même si pour l’instant la Bretagne et Rennes ont plutôt été épargnés.

Le principal, c'est d'en sortir vivant !


"Dans notre immeuble on n’a rien entendu. Mais j’ai un peu peur que ça redémarre si les gens ne sont pas assez sérieux. S’ils sont malades ou atteints, certains ne vont peut-être pas se déclarer. On verra. Le principal c’est d’en sortir vivant."


Quartier prioritaire


Yves et Arlette vivent au Blosne depuis 50 ans, quasiment depuis la naissance du quartier qui a vu le jour dans les années 60, en pleine période d’extension de la ville.

Créée au sud de Rennes, la ZUP a d’abord accueilli une population immigrée, essentiellement marocaine, et des classes ouvrières. La moitié des logements construits ici sont des logements sociaux, immeubles ou petits collectifs qui voisinent avec des pavillons.

Au fil des années, le quartier s’est étendu et couvre près de 300 ha. De nouvelles populations immigrées se sont installées, africaines notamment. Dans certains squares peu exposés à la vue, les petits dealers occupent le terrain et le trafic n’a pas vraiment cessé durant le confinement malgré le passage régulier de la police. Ici, c’est comme ailleurs, mais pas vraiment pire non plus, même si le Blosne est l’un des cinq quartiers prioritaires de Rennes.

Le salaire annuel moyen des 18 000 habitants tourne autour de 20 000 euros, le taux de chômage est de 17% avec environ 1300 personnes en chômage longue durée. La ville de Rennes voudrait d’ailleurs expérimenter le système Territoire zéro chômeur dans ce quartier dès cette année. Mais comme dans beaucoup de quartiers prioritaires, les difficultés que chacun rencontre aident aussi à se serrer les coudes.
 

Solidarité et engagement


Idriss et Rariba font partie de ses classes moyennes issues de l’immigration qui apprécient leur quartier et s’y investissent. Habituellement, lui est chauffeur de bus et elle, mère au foyer pour s’occuper de leurs trois filles. Mais avec le coronavirus, tous les deux se sont engagés davantage encore pour aider leurs concitoyens.

Président de l’Association Rennes Avenir qui réunit des musulmans rennais, essentiellement d’origine nord-africaine, Idriss a mobilisé les troupes pour offrir tous les soirs, pendant le Ramadan, des sacs repas aux habitants dans le besoin.
 

Musulmans ou non musulmans. Toute l’année, l’association aide déjà des réfugiés et des étudiants précaires mais là, elle a élargi ses bénéficiaires.

Les dons sont fournis par des particuliers  et des associations caritatives rennaises comme la Banque alimentaire ou la Croix-Rouge qui pendant les deux mois de confinement, est passé de 4000 équivalents repas distribués chaque semaine à 20 000.

Une partie des produits frais est transformée en plats préparés par un cuisinier bénévole, le reste atterri dans les sacs qui sont distribués le soir sur la place du Blosne avec des gâteaux, des conserves, du chocolat ou du café.

Des sacs qui sont préparés chaque après-midi par les membres de l’association et les bénévoles. L’occasion pour eux de se retrouver et de parler de « l’après ».

Le confinement permet de revenir à soi. Même faire la bise à nos mamans, on a compris la valeur que cela avait.

"Il faut voir plus loin. C’est vrai, il y’a des morts, des malades, explique Idriss. Mais grâce au COVID,  des guerres se sont arrêtées, en Palestine, en Syrie. Donc des vies ont été sauvées. Dieu fait bien les choses. C’est vrai que le confinement permet de revenir à soi, de faire une retraite spirituelle. On ne se pose jamais dans la vie. Cela nous a permis de réfléchir aux questions essentielles. Même le lien social a pris de la valeur." 

"Faire la bise à nos mamans, on a compris la valeur que cela avait. Les gens commencent à réfléchir à de vraies questions sur l’environnement, la solidarité, des questions qu’on a oubliées et qui sont essentielles dans la vie d’un être humain. »  
Et de conclure en souriant : « Je n’ai pas vu de négatif, pour moi c’est que du positif. C’était comme une alerte, une maman qui gronde son fils. Par amour. Ça va changer des choses. Il y’a eu beaucoup de belles suprises. C’est l’un de mes meilleurs ramadan !"
 


Rariba, elle a rejoint le petit groupe de femmes musulmanes qui s’est constitué pour coudre des masques. Tous les jours pendant une semaine, elles  se sont retrouvées au centre Philippe Grenier. Toutes ne savaient pas coudre et ont du rapidement apprendre.

Armées de leur fer à repasser et de  trois machines à coudre, elles ont fabriqué une centaine de masques qui ont pu être distribués gratuitement juste avant la fin du confinement, sur la place du Blosne.

"Les besoins risquent d’être présents pour longtemps, alors s’il y a de la demande, on est prêtes à continuer, explique Raja qui a initié le projet. Au-delà de ça, faire ces masques ensemble a créé une vraie solidarité, une vraie cohésion et puis ça permet de sortir de ce quotidien qui n’est pas très joli en ce moment."

"Le fait de faire des masques pour d’autres, ça nous fait une occupation vraiment utile, se réjouit de son côté Rariba. Là, ce qu’on est en train de faire, permet de protéger les gens. Et puis ça change les idées."

Car pendant près de deux mois, elle a du faire la classe à ses filles âgées de 13, 10 et 6 ans. Si l’ainée, en 5ème au collège s’est débrouillée toute seule avec ses cours en ligne et l’aide de son professeur principal, les deux plus jeunes ont eu besoin de leur maman pour ne pas perdre pied. Surtout la cadette, élève en CM2 qui appréhende le passage en 6ème et a eu des moments de flottements durant le confinement.

On n'a pas d'enfants parfaits et j'espere que les parents vont se remettre en question.

"C’était difficile de gérer l’école et le travail à la maison. Mais les professeurs ont été super. Ils me disaient : appelez-moi si il y a des problèmes pour qu’on puisse avancer. Je les remercie vraiment car voir l’amour qu’ils donnent à leurs élèves, y’a pas mieux. Parce qu’on n’a pas d’enfants parfaits et j’espère que les parents vont  se remettre en question."

Le 14 mai, Aya et Ihsen, les deux plus jeunes, ont repris le chemin de l’école primaire, l’école Volga ou elles sont scolarisées. Mais jusqu’au premier juin, elles n’iront que deux jours par semaine, de 9h à 16h avec déjeuner froid servi sur place et une organisation bien particulière pour pouvoir respecter les gestes barrières.

Chaïma, l’ainée a dû attendre la semaine suivante pour retrouver son collège et reprendre un semblant de vie d’avant.

Quant à Rariba, elle a vécu ce confinement comme un cadeau : " j’ai redécouvert mon mari, qui n’est pas souvent à la maison, mes enfants. On a recrée des liens qu’on n’avait jamais eu avant. On avait un rythme de vie fatigant. Le fait qu’il y ait eu ça, ça m’a fait du bien, j’ai rechargé les batteries. "


Lutter contre la précarité


Mais dans le quartier, tous les enfants n’ont pas eu la chance de pouvoir suivre leur scolarité dans de bonnes conditions. Faute de parents en mesure de les aider. Faute aussi de posséder du matériel informatique malgré l’appui de la Mairie de Rennes qui a distribué des ordinateurs et des tablettes à de nombreuses familles des quartiers prioritaires de la ville. Et puis rester motivé quand on est fermé chez soi avec pour seul horizon, la tour voisine ou le square d’en bas, un défi pas toujours simple à relever.

Pour d’autres familles, la priorité n’était de toute façon pas là. Car durant ces deux mois, les populations le plus précaires, familles monoparentales, chômeurs, sans-papiers, réfugiés ou salariés sans revenus, ont vu leur condition de vie se dégrader. Pour certains, faire trois repas par jour est devenu un luxe qu’ils ne pouvaient plus se permettre.

Certes, les épiceries du quartier ont plutôt bien vendu comme en témoigne Hussein qui tient, l’un des deux grands magasins d’alimentation de la place d’Italie et dont le chiffre d’affaires a triplé pendant le confinement. Pour d’autres en revanche, pas d’autres solutions que de se tourner vers les associations caritatives.

Le P’tit Blosneur est installé dans le centre commercial Ste Elisabeth, près de l’hôpital sud de Rennes. Cette conciergerie de quartier a été créée en 2016 par Claire-Agnes Froment, une habitante du Blosne désireuse d’apporter du service et de créer du lien.

Mais depuis le début du confinement, le local du P’tit Blosneur s’est transformé, chaque mercredi et vendredi, en un centre de distribution  de produits de première nécessité pour les bénéficiaires des CCAS du quartier et tous ceux qui ont besoin d’être aidés.

C’est plus de 160 familles qui bénéficient ainsi de la nourriture mise à disposition par la Banque Alimentaire ou la Croix Rouge. Des bénéficiaires, discrets, qui préfèrent ne pas parler de leurs difficultés devant une caméra.

Quelques-uns tout de même acceptent comme Farhatte, président d’une association qui vient en aide aux personnes handicapées ou fragiles ou Maureen, une jeune étudiante gabonaise qui vit à Rennes depuis trois ans avec sa sœur. Coupée de sa famille qui lui envoyait de l’argent, elle a perdu le petit boulot qui lui permettait de vivre et a dû se résoudre à venir chercher à manger ici.

Dans ces quartiers, la misère est silencieuse et se cache à l’ombre des tours.

Dans le quartier du Blosne, plusieurs associations organisent ainsi des distributions alimentaires pour les plus démunis et bientôt, l’épicerie sociale pourra aussi écouler les légumes cultivés au potager des cultures, le jardin participatif crée par l’association les Cols Verts à l’automne dernier, juste derrière le centre culturel du Triangle.


Développer les initiatives


Mais le confinement a permis de développer d’autres initiatives comme celle de Fanny, une jeune mère de famille privée d’emploi depuis que le coronavirus a obligé le restaurant ou elle travaille à fermer ses portes.

En 2019, Fanny a créé Merci Babeth, une association qui propose des produits locaux aux habitants du quartier. Jusqu’à présent, seule une quinzaine de personnes avaient adhéré et venaient récupérer chaque semaine des légumes ou du pain.

Mais avec le confinement, la peur de sortir de chez soi et d’aller faire ses courses au supermarché a incité de nouveaux habitants à se rapprocher de l’association. Désormais, ils sont près de 80 à venir chaque jeudi au P’tit Blosneur -qui offre l’hospitalité à Merci Babeth- récupérer leur colis d’autant que l’offre est plus importante.

On peut trouver désormais  des volailles, du fromage, des patisseries et même des fruits de mer en provenance de la baie de Saint-Brieuc à des prix très raisonnables.

"Notre démarche, c’est de soutenir l’économie locale, producteurs mais aussi commerçants du quartier qui travaillent bien, explique Fanny. On veut montrer aux gens que ce type de produits est accessible à tous. On a du bio mais aussi de l’agriculture raisonnée, comme cela, les gens peuvent choisir. J’espère qu’on a pu sensibiliser des gens qu’on n’aurait pas forcément touchés sans cela."

Pour les producteurs qui fournissent l’association, comme Claudy et Julien, coquillers à Rennes, cela a permis de pallier le manque à gagner lié à l’interruption de certains marchés. Quand nous les avons croisés, ce jeudi-là, ils venaient pour la première fois livrer des coquilles Saint-Jacques et des araignées, plus d’une quarantaine de commandes au total auxquelles s’ajoutaient des volailles fermières élevées par l’un de leurs voisins. De quoi rentabiliser le déplacement.

Parmi les nouveaux clients de l’association, Caroline, une jeune mère célibataire, qui a passé tout le confinement avec sa petite fille, Alicia. Difficile avec un enfant d’aller faire ses courses en supermarché, pas envie non plus de prendre des risques. Alors, grâce à Merci Babeth, elle a pu chaque semaine remplir son frigo de produits frais et à l’avenir, elle a bien l’intention de continuer.

"C’est devenu mon petit rituel, c’est génial, hyper pratique. Du coup, on n’a pas mis les pieds dans un supermarché depuis le début."

Au Blosne, malgré les difficultés de certains, cette période de confinement n’a donc pas toujours été vécue de façon négative. Si le temps a semblé long pour certains comme Chirinne, croisée sur son petit balcon, et inquiète pour la suite des évènements, pour d’autres en revanche, la solidarité l’a emporté et a renforcé des liens parfois distendus. C’est le cas d’Aurore, une intermittente du spectacle qui a profité de ce moment pour créer un potager avec ses voisins.   

Reste à savoir si "l’après" gardera un peu la saveur du moment où si le quotidien "d’avant" reprendra très vite ses habitudes.
 
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