Six enquêteurs travaillent au sein de la brigade des mineurs à Rennes. Pendant une journée, ils ont accepté de partager un pan de leur quotidien sensible, avec des affaires qui ne se ressemblent jamais.

"On a souvent affaire à de l’innommable. On n’arrive pas ici par hasard." Le ton est donné par Anthony. Il fait partie de la brigade des mineurs (BDM) de Rennes, avec cinq autres enquêteurs. 

Rendez-vous est pris un mercredi à 9 h, pour les rencontrer. Au premier étage du commissariat à Rennes, un joyeux brouhaha, une odeur de café. Tout le monde prend son service. Les discussions vont bon train sur ce qui s’est passé la nuit, sur le nombre de personnes gardées à vue à gérer.

Un bref rappel des consignes m’est adressé. Les photos ne sont pas autorisées. Vous ne verrez aucun visage. Une demande pour préserver le secret des procédures en cours et souhaitée par les enquêteurs. "On n’a pas du tout honte de ce que l’on fait", précise Christine, responsable de la brigade départementale de la protection de la famille. Sauf que la police n’a pas bonne presse. Tous préfèrent se protéger ainsi que leurs proches.

Christine, Mickaël, Anthony, Marie*, Emma*, Valérie constituent donc cette brigade des mineurs. Un adjoint de sécurité (ADS) vient leur prêter main forte, en charge des fugues notamment. Leur périmètre d’intervention inclut Rennes, Chantepie, Saint-Jacques-de-la-Lande ainsi que Cesson-Sévigné.

Pour eux pas d’uniforme. Répartis à deux par bureaux, "pas toujours simple pour créer une bulle et amener la confidence", les dossiers s’empilent. Plus d’une trentaine en moyenne par personne, jusqu’à 100, de mineurs auteurs ou victimes. Chacun jongle avec son portefeuille, "des dossiers rentrent, d'autres sortent". Vols, violences, harcèlement scolaire, viol, pédophilie, prostitution, voilà les sujets auxquels ils sont confrontés.

Tous les jours, l’un des membres de l'équipe est assigné au "Flag", une permanence pendant laquelle sont suivies les affaires quotidiennes. Cette fois, c’est Marie qui s’y colle. La veille, de très jeunes enfants ont été retrouvés, délaissés sur la voie publique. 


La brigade des mineurs, une matière vivante, qui heurte

Lorsqu’ils évoquent leur travail, ils utilisent ce mot, "la matière", comme pour mettre les choses à distance. Tous sont là par choix, après être passés par d’autres services (financière, violences conjugales…).

C'est lors d'un stage qu'Anthony a eu "le coup de coeur" pour la BDM. "C'était une évidence." "Cela n’est pas une matière où les gens se bousculent. On ne vient pas ici juste pour voir," relève-t-il.  Lui, ce qui l'interpelle le plus, ce sont les pédophiles. "En fait, je ne les comprends pas. Pour moi leurs victimes sont des victimes avec un grand V, des personnes auxquelles on brise l’innocence." Au fil de sa carrière, il en a vu passer des images sordides. "Ce ne sont pas des gens violents, ils sont plutôt intelligents et manipulateurs, pour obtenir ce qu’ils veulent. Ce qui est intéressant, c’est que cela touche toutes les classes sociales." Lors des auditions, il explique qu'il faut savoir garder son calme. "On ne va pas à l’affront, on est dans la psychologie."

Mickaël va plus loin "Ici personne ne veut venir, la matière fait peur, ça ne paye pas comme les stups, on ne ramène rien." Il évoque la dureté de certaines situations, les autopsies comme celles de bébés secoués auxquelles il faut assister, car l’OPJ (officier de police judiciaire) a la mission de s’occuper des scellés lorsque des prélèvements sont réalisés. "C’est parfois fatigant."

Christine, elle, a fait du droit. Elle aurait bien aimé être juge. Elle a toujours su qu’elle voulait travailler au contact de familles, d’enfants, "ça a une utilité".  Elle ajoute : "C’est une matière vivante, qui heurte. Le but ce n’est pas de pleurer avec eux mais de leur dire qu’on va les aider, pour éviter que ça recommence, qu’on va faire en sorte qu’ils soient protégés. On ne les sauve pas, on essaie de donner des repères."

Le discours d’Emma tranche avec celui des autres. Ce n’est pas forcément le côté "mineurs" qui l’a attiré, plutôt l’aspect enquête. "Quand j’étais petite, je disais que je voulais être enquêtrice d’enquête." A la BDM, elle aime le fait d’être rarement dessaisie d’un dossier, de pouvoir le suivre de bout en bout.   

On est un maillon important mais il y a toute une chaîne

Christine

Christine insiste sur les relations humaines, inhérentes à leur métier, les collaborations avec d'autres. "On a une palette d’interventions énorme, on va de l’école jusqu’aux Assises, on doit forcément travailler avec d’autres services que le nôtre, l'aide sociale à l'enfance, le Conseil départemental... Aucune affaire ne se ressemble."

Tous ont créé du lien avec ce qu’ils appellent en souriant leurs enfants administratifs, ceux qu’ils revoient souvent. Christine raconte : "A force, on connaît leur histoire. L’un des miens, je l’ai rencontré quand il avait 9 ans. A l’époque il m’a dit ‘j’ai pas demandé à naître’. Je l'ai suivi jusqu'à ses 19 ans."

Pour un mineur, une connerie c’est un symptôme

Christine


Le recueil de la parole de l’enfant

Les enquêteurs de la brigade des mineurs sont formés au protocole Nichd, une technique d’audition qui permet de recueillir le témoignage d’un enfant. Les auditions durent en moyenne 45 minutes, un temps assez court mais au-delà ce serait trop.

Valérie explique : "Il ne faut rien induire, rien suggérer, tout doit venir de l’enfant. On doit bien lui expliquer notre rôle. Au départ, on va voir comment il s’exprime, commencer par parler d’un événement heureux, lui faire reprendre le déroulé puis après rentrer dans les faits." Elle souligne : "Cela demande beaucoup d’énergie, il y a une sorte de pression pour ne pas se louper, créer le lien. Si ça ne va pas - car ça ne se commande pas- on peut passer le relais."

Christine abonde. "Pour un enfant ce n’est pas évident. Si les parents sont impliqués, il se retrouve pris dans un conflit de loyauté. Certains veulent aussi faire plaisir à l’adulte. Et parfois, ils ne savent pas, ne comprennent pas, n’ont pas envie. Il faut répéter qu’on est là, prêt à entendre la vérité."

En plus d’une méthode, ils disposent d’outils comme une salle Mélanie, qui se trouve au sein du commissariat. Mélanie c'est le nom de la première petite fille à avoir été entendue dans cette pièce spécialement aménagée pour les auditions de mineurs. Une autre existe à Rennes, au centre hospitalier, partagée avec la gendarmerie.

Christine m'emmène voir. La pièce se veut sobre, la plus neutre possible. On y trouve des chaises (petites ou grandes), une table ronde transparente, "pour remarquer tous les gestes". Tout est enregistré, via des micros et des caméras. L’enfant est prévenu de ce dispositif, dès le départ. Un miroir sans tain permet d’observer et de travailler en duo. Un collègue peut souffler des remarques à l’autre, à l’aide d’une oreillette. Tous ces enregistrements font l'objet d'une retranscription, une tâche fastidieuse mais nécessaire. Chaque mot comptera face à un juge. 


Message radio : le petit P. n'est pas rentré chez lui

Tout au long de la journée, entre les auditions et les rédactions de procédures, Christine garde l’oreille tendue. Sur son bureau un talkie-walkie crachote, la radio de la police tourne en boucle. Par ce canal, les OPJ rendent compte de leurs interventions sur le terrain, ou de tout événement important.

Pendant le déjeuner, un message arrive. Un enfant de 9 ans n’est pas rentré chez lui manger après l'école, comme prévu. Les heures passent, Christine s'enquiert de la situation car la mère qui a donné l'alerte ne s'est pas présentée au commissariat. Cette maman finit par appeler. Christine prend la description du garçon, se renseigne sur son état de santé. Elle pose des questions sur le contexte. S’est-il passé quelque chose le matin ? La mère évoque une dispute. Elle dit aussi qu’il n’est pas allé au foot, ce qui n'est pas habituel. D’autres enfants auraient vu son fils se diriger vers un parc.

Le garçon est très jeune. Christine contacte les BST (brigades spécialisées de terrain) qui sont dans le secteur. Elle décide aussi d’y envoyer une partie de son équipe. Valérie, Anthony et Emma filent. Dans ce genre de cas, elle doit aviser le parquet et faire une inscription au fichier des personnes disparues. Alors qu’elle patiente en ligne pour avoir un magistrat, la maman du garçon rappelle. Il est rentré sain et sauf. 

"On préfère toujours que ça finisse comme ça et déployer des moyens, plutôt que découvrir le pire." Christine se souvient d’avoir passé des heures à ratisser des parcs. 


Le bon et le mauvais rôle

Alors que j’interroge Valérie sur ce qu’elle aime dans son métier, une ombre passe sur son visage. C'est un jour sans. "Ce n’est pas le bon moment pour me demander ça… Aujourd’hui je suis dégoûtée de la réponse judiciaire que j’ai eu dans un dossier, j’en suis tombée de ma chaise hier soir. C'est une affaire de viol, l'agresseur présumé a reconnu les faits mais il est dehors. Je ne l'ai pas encore dit à la victime. Parfois je me demande quel signal on envoie."

Les gens nous confient une partie de leur histoire, se mettent à nu, ils ne comprennent pas toujours les décisions judiciaires, et c’est nous qui avons le mauvais rôle dans certains cas, car c’est nous qui annonçons les nouvelles.

Valérie

"On fait le tampon avec la justice", résume Anthony. Il se rappelle de son côté l’une de ses plus grandes récompenses. "Après une affaire de viol crapuleux - la victime avait fait une mauvaise rencontre via le réseau social Snapchat - je n’avançais pas. J’avais de l’ADN qui ne parlait pas, une photo. Cela a duré six mois. Finalement un gars a été interpellé et jugé. J’ai reçu une carte postale de la victime quelques temps après et ça m’a vraiment fait plaisir.

Parmi les motifs de satisfaction, les procès. "On est tous appelés à témoigner en cours d’assises, on attend souvent ça avec impatience, c’est une reconnaissance de notre travail", dit Christine. 


Une équipe soudée

La cohésion des membres de la BDM se sent d’emblée. Sur les murs des bureaux, des photos d'eux, des petites blagues. A côté des palmes académiques (une distinction honorifique) décernées à Christine, d’immenses palmes de plongée argentées. Ils se ménagent des temps ensemble, vont faire du sport entre midi et deux. Valérie devient alors la coach. Après leur séance, tout le monde revient les joues rougies par l'effort. 

Christine confie :"Nous sommes plus que des collègues. Il y a un esprit brigade des mineurs." Et d'ajouter. "On a besoin de moments entre nous pour se délester, évacuer."

C’est un boulot particulier, il y a une bonne ambiance qui permet de ne pas se perdre

Mickaël

Emma confirme la force du groupe. "S'il ne va pas bien, cela se ressent dans notre travail. Nos limites sont tacites (claires)."

Le commissariat de Rennes compte deux psychologues : l’un pour les victimes et auteurs, l’autre pour le personnel. Les affaires restent dans la tête, même une fois la porte du bureau franchie le soir. "Quand on a quelque chose en cours, on y pense. Est-ce qu’on l’aborde dans le bon sens ?"

Christine se veut attentive lors du recrutement. Et surtout dès qu’il y a un problème, elle ne force pas. "Si un collègue en a marre, on le laisse partir du service."

La journée touche à sa fin. Les personnes convoquées par Valérie ne se sont finalement pas présentées. "Ça arrive". Elle en a profité pour retranscrire un enregistrement fourni par une jeune fille qui confronte son agresseur lors d'une discussion. Elle verse cette pièce au dossier. C'est le juge qui décidera de s'en servir ou non. Mickaël achève lui une audition complémentaire, avec un adolescent de 15 ans placé, car maltraité par sa mère. Christine en avait une aussi, celle d'un frère d'une victime de viol, "peu concluante, il ne sait rien." Les bureaux se vident, personne ne peut anticiper de quoi demain sera fait. Christine rappelle, "On ne sait jamais ce qu'on va avoir".

*les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes concernées

 

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