Les témoignages de harcèlement de rue à Rennes se multiplient sur les réseaux sociaux. Pour y faire face, plusieurs initiatives ont vu le jour dans la capitale bretonne, dont une application de mise en sécurité des personnes en danger.
Elle ne s’est "jamais sentie aussi salie" que ce soir-là. Camille, étudiante en kinésithérapie à l’université de Rennes 1, rentre chez elle aux alentours de 22 heures. A l’entrée du métro République à Rennes, elle aperçoit un groupe de cinq hommes, sous un abri. "Elle n’a pas froid aux yeux de venir seule à cette heure-ci", lancent-ils. Surprise, Camille accélère la cadence, et tente de les ignorer.
"L’un d’eux s’est approché de moi, a posé ses mains sur mes hanches et s’est frotté à moi, sexuellement, confie-t-elle. Il me chuchotait des insultes salaces à l’oreille. Je suis incapable de me remémorer les termes employés". Comme pour de nombreuses victimes de violences sexuelles, le cerveau de Camille a mis en place un mécanisme de sauvegarde exceptionnel, face au stress qu’elle a subi.
86% des Françaises déclaraient en 2018 avoir déjà vécu le harcèlement de rue
Insulte, sifflement, agression, viol… Comme Camille, 86% des Françaises déclaraient en 2018 avoir déjà vécu le harcèlement de rue. Ce phénomène n’épargne pas la capitale bretonne. Maelisse a, elle aussi, été agressée. "C’était en pleine journée dans le quartier de Villejean, près de la piscine", précise-t-elle.
Un homme sans domicile fixe, qu’elle a l’habitude de saluer, lui demande l’heure. Maelisse lui répond mais il en profite pour lui faire des avances sexuelles, en lui serrant le bras. "Paniquée", la jeune étudiante s’enfuit en courant. Elle ne portera pas plainte, "elle ne savait pas". En France, le harcèlement de rue est sanctionné de 90 à 1 500 euros d’amende, selon les circonstances de l’agression.
De nombreuses femmes ne se sentent plus en sécurité à Rennes, et depuis le déconfinement, les témoignages de "mauvaises rencontres" s’y multiplient sur les réseaux sociaux. Pour prévenir et sensibiliser l’opinion face aux agressions dans l’espace public, Rose* a lancé "La nuit on veille" sur Instagram, une page entièrement dédiée aux témoignages de personnes agressées et violentées en pleine rue. Les récits sont écrits sur des fonds neutres, "loin de la violence des images".
"J’ai eu besoin de créer ce compte après m’être fait agresser à trois reprises en juillet : deux garçons m’ont prise à la gorge, trois autres m’ont craché au visage et j’ai été peloté par un groupe de dix jeunes dans la rue, énumère-t-elle. J’étais à chaque fois accompagnée par un ou une ami(e)". Rose appelle la police mais ne porte pas plainte, "trop compliqué", selon elle. Démunie, elle fait tout de même le constat que "peu de plateformes existent pour parler du harcèlement de rue".
Des applications et des groupes sur les réseaux sociaux
D’autres femmes se sont déjà mobilisées contre les agressions dans l’espace public à travers une application gratuite et disponible sur smartphone : "Garde ton corps". Arrivée à Rennes à la fin de l’été, elle consiste à prévenir un proche préalablement enregistré comme contact d’urgence, en cas de détresse, sur un trajet.
Sur leur écran, les utilisatrices voient aussi dans quel bar se réfugier en cas d’agression, en fonction de leur géolocalisation. Sur le mail François Mitterrand, le gérant du bar Les grands gamins essaie au mieux de rassurer la victime, de lui trouver un lieu refuge. "De l’autre côté, il faut s’occuper de l’agresseur comme on peut, en attendant l’arrivée de la police".
Quatre bars rennais sont partenaires de l’application. Les fondatrices espèrent mobiliser une quinzaine d’établissements, d’ici la fin de l’année, dans la capitale bretonne.
Sororité
Autre initiative, celle de groupes sur Facebook, comme SafeWalk Women Rennes. Lancée fin août, ce dernier permet à celles qui le souhaitent de se faire raccompagner, à plusieurs, selon les secteurs de sortie. Adelaïde Holley, âgée de 23 ans, auxiliaire de vie à domicile, est à l'origine de cette création. "Il y a un réel besoin. Tous les jours j'entends des témoignages de femmes victimes de harcèlement dans la rue. De mon côté, je ne sors plus seule."
Ici, le groupe est privé, afin de garantir la sécurité de ses membres. Pour le rejoindre, il faut d'abord remplir un formulaire avec des questions sur ses attentes, sur son genre sexuel. Il faudra désormais aussi fournir une photo de face avec sa carte d'identité. "Le risque zéro n'existe pas, deux garçons ont réussi à s'infiltrer pour nous narguer" concède Adelaïde.
SafeWalk Women Rennes rencontre du succès avec 2600 membres à ce jour. 600 sont en attente de validation. L'équipe de six personnes bénévoles (dont deux garçons) qui gère la page est en train de se renforcer pour répondre aux besoins. Les tâches sont réparties : validation des adhésions, modération sur tous les réseaux sociaux... "Au sein du groupe, on veille à une bienveillance générale, à orienter les membres. Nous donnons toujours une réponse."
Adelaïde espère structurer davantage la démarche, et pourquoi pas, développer une application mobile, "locale, sur Rennes." En tout cas, l'idée essaime. Adelaïde a été contactée par d'autres villes mais aussi des élus.
Un autre groupe SafeWalk For All Rennes, inclusif existe également, car "la sécurité doit être accessible à tout le monde".