Rennes : victimes et acquittés de l'affaire Outreau s'apprêtent à revivre un nouveau procès

Victimes et acquittés de l'affaire de pédophilie d'Outreau, considérée comme l'un des pires fiascos judiciaires de ces dernières années, s'apprêtent à revivre un nouveau procès, avec l'ouverture ce mardi à Rennes de celui de Daniel Legrand fils, l'un des 13 acquittés dans cette affaire en 2005.  

"On est reçu à Matignon, on est indemnisé... et là, on me rejuge, c'est absurde. On s'acharne sur moi, j'ai déjà tout dit et maintenant il faut encore y revenir", a confié à l'AFP Daniel Legrand, 33 ans. Défendu par une demi-douzaine de ténors du barreau, anciens défenseurs des "acquittés", il se sent "plutôt serein et confiant, même si un peu anxieux"Poursuivi pour des viols et agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans en réunion qu'il est accusé d'avoir commis alors qu'il était mineur et qui n'ont jamais été jugés, il encourt 20 ans de réclusion. Son acquittement en 2005, après 33 mois passés derrière les barreaux, portait sur des faits qui auraient été commis quand il était majeur. 

L'affaire éclate en 2001, avec deux procès en 2004 et 2005


Le dossier d'Outreau (Pas-de-Calais) a éclaté en février 2001 et débouché, après deux procès, à Saint-Omer en 2004 puis en appel à Paris fin 2005, sur l'acquittement de 13 personnes sur les 17 initialement mises en examen, après parfois trois ans de détention provisoire.

Trois des quatre fils Delay, partie civile


Côté victimes, chez les fils de Thierry Delay et Myriam Badaoui Delay, condamnés à 20 et 15 ans de réclusion pour les avoir violés avec un couple de voisins, la souffrance n'est pas moindre, selon leurs avocats. Trois d'entre eux, les plus âgés, Chérif, Dimitri et Jonathan Delay, ont finalement décidé de se constituer partie civile. "Les enfants Delay ont été laissés à la rue, on ne s'est pas beaucoup penché sur la destruction qu'ils ont subie et le désemparement qui est le leur, sur leurs souffrances", explique Me Léon Lef-Forster.  Seul le troisième de la fratrie, Jonathan, a annoncé qu'il viendrait à la barre.

"Ils ne sont pas parties civiles pour dire que Daniel Legrand ne leur a rien fait, mais au contraire qu'il a fait partie de ceux qui, à l'époque de la minorité de l'intéressé, leur ont fait subir des sévices", ajoute Me Lef-Forster. Néanmoins, les défenseurs des enfants Delay "ne vont pas essayer d'obtenir des jurés et des magistrats qu'ils considèrent que la décision (d'acquittement) doit être remise en cause", souligne-t-il, en réponse aux attaques de certains défenseurs de Daniel Legrand.

"Un troisième procès d'Outreau"


L'un d'eux, Hubert Delarue, ne mâche pas ses mots: "Derrière tout ça, en réalité, quoi qu'ils disent, il y a toute l'équipe des révisionnistes qui de manière très couarde, passent leur temps à dire que les acquittés étaient coupables, sans donner les noms". Au final, même si les défenseurs des enfants Delay récusent le terme de "troisième procès", les principaux acteurs de l'affaire initiale vont défiler pendant trois semaines à la barre de la cour d'assises des mineurs d'Ille-et-Vilaine pour ce procès qui risque fort de s'apparenter à une étrange reconstitution.
Les dix acquittés encore vivants, le juge Fabrice Burgaud, plusieurs personnalités du système judiciaire de l'époque, sont convoqués. Mais aussi des experts, des enquêteurs ainsi que les quatre personnes condamnées pour les viols des enfants Delay, parmi lesquelles leur mère, dont les déclarations contradictoires avaient été vilipendées lors des procès...

"Vider les abcès"


"Oui, c'est un troisième procès d'Outreau sur la forme, parce que nous estimons qu'on ne peut pas imaginer de faire comparaître Daniel Legrand et l'interroger sur le contexte de l'instruction sans entendre aussi ceux qui l'ont vécue", reconnaît Julien Delarue, un autre de ses avocats. "Le seul mérite que pourrait avoir ce procès c'est qu'aujourd'hui, les arrêts de cour d'assises doivent être motivés et que, ce faisant, on aura une décision qui devra motiver l'acquittement de Daniel Legrand", espère-t-il. "Même si cela bénéficie à Daniel Legrand, aucun souci: il faut vraiment aller jusqu'au bout, vider les abcès là où il y en a, que tout le monde puisse s'exprimer, que tout soit dit, qu'on vide tout ce qu'il y a à vider", renchérit, pour la partie adverse, un des avocats de Jonathan Delay, Patrice Reviron.


Le reportage à Wimereux (62) et à Lille (59) de Yann Fossurier et Bruno Espalieu (France 3 Nord Pas de Calais)

(images d'archives France 3 National - 2005)
Le reportage à Wimereux (62) et à Lille (59) de Yann Fossurier et Bruno Espalieu (France 3 Nord Pas de Calais) (images d'archives France 3 National - 2005) Interviews : Daniel Legrand - Jonathan Delay - Sylvain Cormier, avocat de Jonathan Delay - Julien Delarue, avocat de Daniel Legrand
Interviews :
- Daniel Legrand
- Jonathan Delay
- Sylvain Cormier, avocat de Jonathan Delay
- Julien Delarue, avocat de Daniel Legrand
Les grandes dates de l'affaire d'Outreau
Voici les principales dates de l'affaire de pédophilie d'Outreau, qualifiée de "naufrage judiciaire", après l'acquittement final de 13 accusés sur 17, alors que s'ouvre le 19 mai à Rennes un nouveau procès contre l'un des acquittés, Daniel Legrand fils.

  • 2000
- décembre : les services sociaux signalent des soupçons d'abus sexuels sur des enfants par leurs parents à Outreau (Pas-de-Calais).

  • 2001
- 22 février : ouverture d'une information judiciaire. Thierry et Myriam Delay sont écroués, entraînant une cascade d'autres arrestations jusqu'à la fin de l'année.

  • 2002
- 10 janvier : un suspect, Daniel Legrand fils, dénonce le meurtre d'une "fillette belge" au cours d'une orgie. Il se rétracte le 19 avril en disant avoir voulu prouver les mensonges de l'accusatrice Myriam Delay, qui a confirmé ses dires.
- 9 juin : un suspect de 33 ans, François Mourmand, meurt en prison, des suites d'une intoxication médicamenteuse accidentelle.

  • 2003
- 1er juillet : 17 personnes sont renvoyées aux assises.

  • 2004
- 4 mai : début du procès à Saint-Omer (Pas-de-Calais). Après de multiples rebondissements, l'avocat général requiert dix condamnations. La cour le suit en acquittant le 2 juillet sept accusés. Six des dix condamnés font appel, les quatre autres, le couple Delay et un couple de voisins, qui ont reconnu avoir violé les enfants, acceptent leurs peines.

  • 2005
- 7 novembre : procès en appel, à Paris, de six condamnés qui sont tous acquittés le 1er décembre. Le ministre de la Justice, Pascal Clément, annonce des enquêtes dans les services judiciaires, policiers et sociaux, et le président de l'Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, une commission d'enquête parlementaire.
- 5 décembre : le président Jacques Chirac présente "regrets et excuses" aux 13 acquittés, dont certains ont passé trois ans en prison.

  • 2006
- 10 janvier : début des travaux de la commission d'enquête parlementaire jusqu'au 8 avril. Les acquittés y accablent le juge d'instruction Fabrice Burgaud qui dit "avoir rempli (sa) mission honnêtement". Le 7 juin, après 200 auditions, elle présente 80 propositions pour la justice.
- 9 juin : l'enquête administrative conclut à l'absence de faute disciplinaire des magistrats.
- 24 octobre : le Conseil des ministres adopte le projet de réforme de la justice dont la mesure phare est l'enregistrement des interrogatoires.

  • 2008
- 19 mai : le procureur de Boulogne, Gérald Lesigne, comparaît devant le Conseil supérieur de la Magistrature (CSM) jusqu'au 22 mai. La Chancellerie l'accuse de "manque de rigueur" et d'avoir insuffisamment tenu informé le parquet général, mais le CSM considère le 18 juillet qu'il ne mérite aucune sanction.
- 29 juillet : au nom des "traumatismes" de l'affaire, Gérald Lesigne est prié par la ministre de la Justice, Rachida Dati, de quitter ses fonctions. Il est nommé à Caen. Les syndicats dénoncent une sanction déguisée.

  • 2009
- 24 avril : le CSM inflige au juge Burgaud une "réprimande avec inscription au dossier", la sanction la plus basse possible, pour son instruction de l'affaire.

  • 2011
- 1er mars: placement en garde à vue de Sandrine et Franck Lavier, deux des acquittés d'Outreau, pour des violences sur deux de leurs cinq enfants.
- 11 mai : L'aîné des enfants Delay, Chérif Delay, publie "Je suis debout", qui met de nouveau en cause pour viols, outre ses parents et leurs voisins condamnés, plusieurs des acquittés.
- 6 juillet : l'ex-juge d'instruction Fabrice Burgaud est nommé auditeur du 1er grade auprès de la cour de cassation.
- Septembre: libération, aux deux-tiers de sa peine, de Myriam Badaoui ex-épouse Delay, condamnée à 15 ans de réclusion en 2004 pour les viols de ses enfants.
- 8 décembre: Chérif Delay condamné à 6 mois de prison avec sursis pour "menaces de mort réitérées" à l'encontre du couple Lavier.

  • 2012
- 23 février : Franck et Sandrine Lavier condamnés à 10 et 8 mois de prison avec sursis pour "violences habituelles" sur 2 de leurs enfants mais relaxés du chef de corruption de mineurs.
- 2 juillet: décès de Daniel Legrand père, l'un des acquittés, à 59 ans.

  • 2013
- 26 juin: le parquet de Douai annonce le renvoi de Daniel Legrand fils devant les assises pour mineur pour viols et agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans alors qu'il était mineur.
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