Diabétique, Gilles Lucas a croisé au cours de sa vie de patient des kinés, médecins, infirmières. Aujourd'hui il se rend dans des centres de formation pour futurs soignants pour les former à l'écoute, pour les aider à ne jamais oublier que derrière une maladie, il y a un malade.
Ce matin-là, dans la salle de cours de l’IFPEK de Rennes, les futurs kinésithérapeutes, ergothérapeutes et podologues n’ont pas un professeur face à eux, mais un patient. Gilles Lucas souffre d’un diabète de type 1, diagnostiqué quand il avait 19 ans.
Avec ses mots et son vécu, Gilles Lucas raconte aux futurs soignants ses longues heures à l’hôpital, ses passages à répétition dans les cabinets médicaux. "Parfois, j’ai eu l’impression de n’être plus qu’un diabète raconte-t-il. Les médecins entraient dans ma chambre. Il y avait tout un groupe en blouses blanches. Moi, j’étais allongé dans mon lit, je ne comprenais rien, c’est très violent !"
"Nous ne sommes pas que des organes"
Gilles Lucas a longtemps œuvré dans des associations de patients pour partager son expérience et son savoir sur la maladie. Un jour, il s’est dit que ces connaissances pouvaient aussi être utiles au monde médical. Il est parti en Suisse pour suivre un stage à l’hôpital Universitaire de Genève. Il est devenu patient-référent, a commencé à participer à des réunions Focus à l’hôpital de Saint-Brieuc où les malades sont invités à témoigner de leur séjour dans l’établissement. Et puis, il a proposé aux instituts de formation de venir raconter son expérience.
"La médecine est organisée en spécialités. Il y a la cardiologie, la pneumologie, la diabétologie... Et au bout d’un moment, pour les soignants, on n’est plus que la pneumonie, le diabète, l’infarctus du myocarde."
Nous sommes des êtres humains, la vie avec la maladie, c’est avant tout la vie
Gilles Lucas
"Je ne veux culpabiliser personne, explique Gilles Lucas, je sais que les soignants n’ont pas beaucoup de temps, il faut qu’ils aillent vite, ils se concentrent sur le problème à gérer, mais, nous ne sommes pas que des organes. Nous sommes des êtres humains, la vie avec la maladie, c'est avant tout la vie. Nous ne devons pas vivre pour la maladie, mais vivre avec notre maladie !"
"Comment allez-vous ?"
Gilles Lucas propose aux élèves de faire un jeu de rôles. "Ce groupe-ci, vous serez des patients, vous, vous jouerez les soignants. Le premier groupe, vous préparez une histoire, vous, vous préparez les questions que vous allez poser à votre malade pour mieux le comprendre. Ok ?"
Dans la salle, les deux groupes phosphorent. "Si on était un vieux monsieur, genre 81 ans, qui sort de l’hôpital après une chute. Il a eu une prothèse de hanche, mais son vrai problème, c’est qu’il ne voit plus très bien, c’est pour cela qu’il tombe", proposent les malades.
L’autre groupe est plus inquiet. "Rappelez-vous, posez des questions ouvertes, soyez bienveillants, c’est comme cela que l’autre peut se confier", les guide Gilles Lucas.
23 secondes 1 centième
"Il y a une étude récente qui a montré que lors d’une consultation, le médecin laisse son interlocuteur parler 23 secondes 1 avant de l’interrompre, explique Gilles Lucas. Évidemment, dans ces cas-là, personne ne peut se confier."
"Demandez à votre patient ce qu’il sait de sa maladie, comment il la vit. Par exemple, moi, si je suis diabétique et que mes parents l’étaient et que ça s’est mal terminé pour eux, évidemment, j’ai peur que ça s’achève aussi très mal pour moi… parlez lui aussi de ses proches. A-t-il des soutiens ? De la famille, des amis ? Tout cela, c’est important."
Les deux groupes ont fini leurs préparatifs. Les élèves s’installent deux par deux et commencent les entretiens.
Le sens de notre métier
"C’est génial, parce que ça nous rappelle vraiment ce qu’est le sens de notre métier, s’enthousiasment Océane et Amicie, étudiantes en 3ème année d’ergothérapie. On comprend le ressenti, on se met à la place de l’autre."
Comme les autres, les deux étudiantes ont passé des heures à apprendre les gestes techniques pour améliorer la vie de leurs patients. "C’est dur, mais en même temps, cette technicité est rassurante, les soignants savent ce qu’ils ont à faire. Tel acte, puis tel acte etc… Parler avec le patient, c’est davantage un grand saut dans l’inconnu. Chaque individu est différent, c’est normal que ce soit plus angoissant pour eux rassure Servane Boujard, responsable pédagogique à l’Institut de formation ergothérapeute à l’IFPEK de Rennes. Ils sont là pour apprendre. Par exemple, les patients ne sont pas toujours prêts à accepter les soins, nous formons les étudiants à les comprendre pour qu’ils aillent mieux."
"Cela pourrait vous aider si je vous prends un rendez-vous ?"
Les face à face entre soignants et soignés s’achèvent. "Est-ce que cela pourrait vous aider si je vous prends un rendez-vous chez un ophtalmologue ? Cela pourrait vous éviter de tomber et vous permettrait de rester chez vous", suggère une "kiné" à son "patient".
"Oh, oui, c’était ma femme qui faisait ça, je ne connais même pas les numéros."
Gilles Lucas observe ses élèves avec le sourire et le sentiment du devoir accompli. "J’aurais aimé, leur dit-il, avoir la chance de n’avoir que des soignants comme vous."