Le rappeur Kery James se produit à Rennes dans une pièce de théâtre : "À vif", un brûlot acide sur les banlieues. Rencontre avec l'auteur et interprète de cette pièce qui fait salle comble à Rennes.
Le rappeur fait un crochet par le théâtre. Pour mieux nous balancer un uppercut. La pièce qu'il a écrite sonne comme un brûlot ciselé. À Paris l'année dernière, d'abord au Théâtre du Rond Point, "À Vif" tourne maintenant un peu partout en France. Fait rare, le Théâtre National de Bretagne à Rennes, comptait ce jeudi soir, une bonne part de moins de 25 ans dans le public. La pièce a été saluée d'une longue ovation.
Inégalités et préjugés au cœur de la pièce
Depuis une quinzaine d’années, Kery James, 40 ans, nourrit le rap français de sa plume acerbe, qu’il met actuellement au service du théâtre. "Lettre à la République", sa diatribe rappée sortie en 2012, vient d'ailleurs hanter la pièce: "On ne s’intègre pas dans le rejet/ On ne s’intègre pas dans les ghettos français, parqués/ Entre immigrés, faut être censés/ Comment pointer du doigt le repli communautaire/ Que vous avez initié depuis les bidonvilles de Nanterre ?"
Pourtant, dans sa pièce, Kery James choisit d'endosser le rôle d'un banlieusard sur le point de se hisser avocat, grâce à sa réussite scolaire. Face à lui, une autre jeune pousse du barreau, issue d'un milieu confortable. Tous deux sont engagés dans un concours d'éloquence, dont le vainqueur décrochera son premier contrat dans un cabinet d'avocats. Thème de la joute oratoire: "L’État doit-il être jugé coupable de la situation actuelle des banlieues ?"
Pour éviter tout simplisme, c'est au jeune blanc de bonne famille Yann (Yannik Landrein) qu'il revient d'accuser le gouvernement, tandis que le jeune noir Soulaymaan (Kery James) s'emploie à défendre l'État, pointant les responsabilités de chacun.
Les plaidoiries débordent rapidement sur la vie privée et l'histoire des deux adversaires, Yann et Soulaymaan ne pouvant s'empêcher de révéler leurs préjugés à l'égard de l'autre. Le metteur en scène, Jean-Pierre Baro, a privilégié le minimalisme d'abord, pour stupéfier ensuite le public, pris à témoin d'un débat quasi philosophique. La pièce parvient à rendre compte de la vision de Kery James : celle de deux France qui s'ignorent et ne se comprennent pas, éloignées l'une de l'autre par les inégalités matérielles davantage que par des distinctions culturelles.
"Le théâtre? je ne pense plus pouvoir m'en passer"
Kery James
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©France 3 Bretagne
Kery James envisage d'écrire à nouveau pour le théâtre. "Il offre une capacité d'écoute qui est extraordinaire, qu'on ne trouve pas ailleurs; au théâtre, les gens viennent pour se faire bousculer, pour être poussé à réfléchir." Débattre, réfléchir, "sans l'intermédiaire des médias ou de la classe politique", tel est le credo de l'ex-chanteur du groupe Idéal J.