Depuis 2006, ce quadragénaire travaille pour Pôle Emploi. Il y a 6 ans, il a repéré des dysfonctionnements dans le versement de certaines allocations. Il a décidé de prévenir chaque personne concernée pour qu'elle active les procédures de rétribution. Une action mal vue par sa hiérarchie selon lui.
"J'obéis d'abord à la loi, et la loi est au-dessus de la hiérarchie. Donc si la hiérarchie fait des choses qui ne correspondent pas à la loi, il y a un choix à faire. Et ce choix, il est clair, c'est celui de la loi." Les relations apparaissent tendues entre la direction de Pôle Emploi Bretagne et son conseiller Yann Gaudin. Ce dernier accuse ses supérieurs de ne pas respecter le devoir d'information de Pôle Emploi, et de l'empêcher d'appliquer ce principe dans son travail.
Une première anomalie
C'est en 2014 que ce conseiller de Rennes a commencé à repérer des dysfonctionnements dans le versement de certaines allocations. Il avait alors identifié "une première anomalie" : des intermittents demandeurs d'emploi en fin de droit n'étaient pas informés qu'ils pouvaient toucher une aide de 300€, l'allocation de solidarité spécifique (ASS).
D'autant qu'"en 2012, une dame avait gagné un procès contre Pôle Emploi, car elle n'avait pas été informée qu'elle pouvait être bénéficiaire de l'Allocation Équivalent Retraite (AER)" explique-t-il. Grâce à cet exemple, il souhaitait informer sa hiérarchie que Pôle Emploi pouvait donc être condamné pour défaut d'information. Yann Gaudin avait alors retrouvé une cinquantaine de personnes pouvant demander cette aide dans les mois précédents.
Frictions avec la direction
Suite à cette alerte, la direction de Pôle Emploi a effectivement contacté les personnes identifiées par Yann Gaudin pour leur transmettre le dossier permettant de recevoir l'ASS. "Mais, après quelques mois, plus rien. Je n'ai pas compris pourquoi, mais on m'a dit que ce n'était pas mon affaire." Là, commencent les premières tensions entre le conseiller et sa hiérarchie.
À partir de cet événement, Yann Gaudin a donc décidé de contacter l'ensemble des intermittents pouvant recevoir l'ASS en Bretagne. Par un mail, il leur a expliqué l'existence de ce dossier et les a invités à le remplir pour faire valoir leurs droits.
Par la suite, Yann Gaudin estime avoir fait l'objet de harcèlement moral par sa direction. "J'ai fait l'objet d'un premier entretien avec la directrice départementale, pour me 'recadrer'. Il m'a été reproché de dépasser mon périmètre". Alors qu'en parallèle, "Pôle Emploi demande à ses conseillers d'être pro-actifs, d'aller informer directement les bénéficiaires. Dans nos règles internes, rien ne m'empêche d'informer un demandeur d'emploi, au contraire !" assure le conseiller.
Depuis ce premier cas de tension avec sa direction, Yann Gaudin aurait subi 25 cas de harcèlement, selon lui. Il dénonce des pressions en interne pour que ses initiatives personnelles cessent. Il n'exclut pas d'intenter une action aux prud'hommes si cette situation continue. En mai 2019, il a été mis à pied cinq jours, puis arrêté plusieurs mois par son médecin. Il a repris le travail en septembre.
Aucun "système visant à priver les demandeurs d’emploi de leurs droits"
De son côté, la direction de Pôle Emploi Bretagne se défend de toute malversation. Malgré nos propositions de réaction, elle nous a répondu que par communiqué.
Elle déclare que "jamais Pôle emploi n’a organisé de système visant à priver les demandeurs d’emploi de leurs droits financiers. Au contraire, les conseillers de Pôle emploi aident au quotidien les demandeurs d’emploi dans leurs démarches."
Contrairement aux déclarations de Yann Gaudin, qui estime être empêché dans son action, Pôle Emploi assure que "c'est le rôle normal d’un conseiller d’indiquer à des demandeurs d’emploi les démarches nécessaires à effectuer afin de bénéficier pleinement de leurs droits. Il s’agit là de faire simplement son métier de conseiller au service des usagers de Pôle emploi."
Lanceur d'alerte ?
Si Yann Gaudin propose désormais de partager son action sur la place publique, c'est parce qu'il se considère lanceur d'alerte. Par ce statut, il serait protégé par la loi Sapin 2 (Chapitre II), prenant effet au 1er janvier 2018. Ainsi, la direction de Pôle Emploi ne pourrait pas prendre des mesures de licenciement contre lui. Yann Gaudin continue de travailler dans son agence.
Aussi, il souhaite que le grand public soit au courant de ces anomalies et que tous puissent faire valoir leurs droits, s'ils sont concernés. Depuis ces premières alertes concernant les intermittents, Yann Gaudin continue de chercher les failles dans le fonctionnement de Pôle Emploi. Le conseiller a ouvert un blog sur Médiapart. Il publie des articles expliquant en quoi Pôle Emploi ne respecte pas les règles internes ou la loi.
Il a notamment trouvé que les conditions d'obtention d'aides pour le permis de conduire sont anormalement différentes en Bretagne, ou encore que les artistes peuvent cumuler leurs allocations avec les revenus issus de la vente de leurs créations originales.
Au total, Yann Gaudin estime avoir fait récupérer 115.000 euros d'indemnités aux chômeurs concernés.